7 mai
Il publie en même temps "Impardonnables", roman (chez Gallimard) et le sixième tome de "Doggy Bag" (chez Julliard). Il tient le cap et la forme. Il a un côté "Johnny", Djian. Sous son allure de vieux rocker fourbu et désabusé, quelle fécondité, quelle vitalité! Les écrivains ont des lecteurs, Djian a des adeptes, des fans. J'en suis et je vais dire pourquoi. Peu de romanciers, contrairement aux apparences, osent être absolument contemporains, à la fois d'eux-mêmes et de leur époque. C'est un risque qu'il prend, il adore ça, prendre des risques, Djian. Ecrivain, c'est son métier.
Un roman de Djian - celui-là, très réussi, le prouve -, c'est l'occasion de parler de plein de choses: la critique littéraire (ce qu'elle est devenue dans les journaux d'aujourd'hui), le couple, l'écriture (les affres de l'écrivain), les enfants, l'éducation, la sexualité des quinquas, les rapports père-fille, le climat du Pays basque, l'abus de l'alcool et des calmants, le choix d'une baby-sitter, la mort, le pardon ou encore Ernest Hemingway, l'un des grands maîtres américains qu'il ne cesse de relire avec humilité. ("Superbe écrivain, dit-il. Puissant. Econome. Rusé". Djian a raison: Hemingway, sous son allure de fier-à-bras, est un styliste, parfois précis jusqu'à la préciosité).
Difficile d'être écrivain et père en même temps. Son héros - ce n'est pas exactement le mot tant Djian expose ce pauvre Francis aux brimades et aux désillusions - est un écrivain et un père. Ce n'est pas Djian lui-même bien sûr mais l'auteur se sert de ce personnage fictif pour dire des choses qu'il a sur le coeur. A moins qu'à travers lui, il ne s'amuse à revêtir un costume à la fois piteux et tragique, pour rire, pour voir l'effet que ça fait.
"Que je fusse cassé, définitivement mort pour le roman, se pouvait fort bien... Rien n'était plus dur que d'écrire un roman. Aucune besogne humaine ne réclamait autant d'efforts, autant d'abnégation, autant de résistance. Aucun peintre, aucun musicien n'arrivait à la cheville d'un romancier. Tout le monde le sentait bien". Cet aveu, ce cri du coeur, c'est évidemment le sien. Il en ricane, il se moque de lui-même, mais quand Francis se désespère: "Perdre un lecteur est pire que de recevoir cent coups de fouet" ou encore: "Aucune femme saine d'esprit ne peut se réjouir très longtemps de partager la vie d'un écrivain!", c'est Djian qui est sincère!
Et quand il avoue: "Je n'avais pas spécialement brillé en tant que père (chacun peut prendre la phrase pour soi), on se demanderait presque si sa suprême élégance n'est pas d'avoir fardé des lambeaux de journal intime en roman.
Etrange livre. On croit avoir tout compris au bout de trente pages, on a tort. Djian étale son jeu d'emblée mais il conserve quelques bonnes cartes dans sa manche. Tout se rembobine à coups de réminiscences et de flash-back. C'est une machine à retardement, une construction savante, mais ça ne se voit pas. Tout est là, insidieusement, le lecteur ne se méfie pas. Il devrait. Car Djian a une aptitude insensée à imaginer le pire, avec désinvolture, avec humour: cancer, accidents tragique, drogues, impuissance sexuelle subie ou rêvée.
En même temps, aux plus bas étages de la douleur, il y a toujours, chez Djian, une idée de la paix, de la joie, de la douceur. Il a même un côté midinette dont il s'amuse: "Rien ne valait une fin qui ne tendît vers un peu de lumière. Rien ne valait une fin qui ne baignât d'injuste douceur l'autre rive du roman". Car il s'amuse de tout, et plus c'est tragique, plus il s'amuse, entre deux imparfaits du subjonctif, et plus il enquête: "Détective. Moi ça ne m'aurait pas déplu, quand j'y pense. Suivre des gens. C'était un peu ce que je faisais en écrivant, remarque".
Et quand il suit des gens, il ne les lâche pas.
"Les passions sont les vents qui enflent les voiles du navire; elles le submergent quelquefois, mais sans elles il ne pourrait voguer."
Voltaire
Rédigé par : Anne B | 04/06/2009 à 00:31
Anne B. , ces phrases toutes faites, c'est désespérant ! retirez la coque, et tout le monde coule. "Apprendre à nager".
Rédigé par : alistrid | 04/06/2009 à 07:43
"Surcorps, anticorps"... Et le justaucorps, ça compte ? Je le trouve vaseux, moi, Pascal Quignard. Essayer de nager dans un marécage, pas terrible comme sensation. Non, décidément, je continue à préférer Clooney. Voire, si Clooney manque à l'appel, "Trois hommes dans un bâteau", au-moins, je rigole. Ce que je reproche à certains auteurs français, c'est ce parti pris quasiment absolu de larmes terribles, de souffrances terribles, de pronfondeurs terribles, de désespoirs terribles, bref, c'est terrible, comme ma cousine canadienne qui fait des muffins à la mélasse, c'est terrible.
Rédigé par : Yasmine | 05/06/2009 à 12:49
J'ai entendu FF dire qu'il avait aimé Good morning England. Je suis allée le voir pour voir, j'ai adoré. Une histoire de bateau. Ca finit un peu comme En pleine tempête avec Georges Clooney, dont on avait parlé ici.
Rédigé par : ororea | 05/06/2009 à 18:19
un siècle sans amour
C'est un siècle sans amour
sans tambours, sans troubadours
où on se dit "bonne bourre"
au pire on devient sourd
et là ça devient lourd
le roi avec sa cour
c'est un siècle où on savoure
au jour le jour
l'amour
mais le vingtième siècle fut balourd
Breillat, Despentes, moi je suis pour
pas très romantique, je fais un four
toujours la guerre à Oradour
Le vingtième siècle ou je me gourre
c'est le siècle où on accourre
pour voir Lova Moor
ou Roger Moore
personne ne reste dans sa tour
Il n'y a pas de siècle sans amour.
Rédigé par : ororea | 05/06/2009 à 21:29
Comment rendre compte de l'originalité de la "voix" de Phiippe Djian qui est telle qu'elle laisse au lecteur la liberté de voir et de penser par lui-même sans se sentir limité par ce ton singulier ? F.Ferney donne des clés intéressantes qui se trouvent dans la construction du récit et ses tréfonds ignorés, suspendus et révélés. Il y a aussi cette sorte de behaviorisme qui décrit les gestes et raconte les faits en en confiant l'interprétation au lecteur, et la musique de ce vocabulaire et de cette syntaxe, soutenus et relâchés."Impardonnables", que l'on m'avait prêté, je ne l'ai plus sous la main pour ajouter d'autres commentaires plus précis mais je crois comprendre ceux, élogieux ou bien critiques, qui sont donnés ici. Souvent les propos de Djian sur la littérature en général m'agacent par leur exclusivité, semblant rejeter tout ce qui n'est pas assez "moderne" dans le sens où il l'entend. Mais depuis "Maudit Manège", que j'avais racheté pour l'offrir aussi, je l'ai lu aussi régulièrement que possible. J'ai évité "Doggy Bag" dont les critiques m'ont fait craindre que ce ne soit la caricature de lui-même, mais je suis persuadé en même temps que je me trompe et que j'en serai convaincu quand je lirai la série en version complète dès qu'elle sera publiée en intégralité.
Rédigé par : Critiquator | 06/06/2009 à 07:07
A ceux qui s'interrogent sur Djian (et je les comprends),
je recommande de le regarder et de l'écouter dans la première émission du bateaulibre.net qui sera mise en ligne demain matin, le 7 juillet, à 11h.
Ils découvriront un autre visage de Djian: lucide, exigeant, à la fois cool et grave, éperdument amoureux de la littérature et en parlant très bien.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 06/06/2009 à 10:18
A tous ceux qui s'interrogent sur Djian (et je les comprends)...
Je vous invite à le regarder et à l'écouter dans la première émission (www.lebateaulibre.net) qui sera mise en ligne demain matin, 7 juillet, à 11h.
Vous découvrirez un autre visage de Djian: lucide, exigeant, à la fois cool et grave, éperdument amoureux de la littérature et en parlant avec une totale ferveur.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 06/06/2009 à 10:26
Ah! non, pas de blague, pas le 7 juillet, l'attente serait trop longue...
A demain !
Rédigé par : Anne B | 06/06/2009 à 22:49
Bravo, Anne, je voulais dire le 7 JUIN, évidemment!
A demain.
F.F.
Rédigé par : Frédéric Ferney | 06/06/2009 à 23:29
Merci de ne pas pas avoir attendu 11 heures ! (j'ai des trucs à faire)
Je viens de regarder le passage avec Ph. Djian (la suite plus tard). Un bon moment. Philippe Djian me semble plus à l'aise que l'autre jour, cet hiver.
Frédéric, vous avez un petit air penché ;o)
Le cadre est agréable. Je vais peut-être m'abonner.
(en ce qui me concerne, je n'aime pas Céline et pourtant, j'abuse des petits points. Les petits points n'ont donc rien à voir avec Céline. Quoique)
Al...
Rédigé par : alistrid | 07/06/2009 à 09:46
Fred,
Magnifique ! Belle émission "sérieuse" et légère. Et puis cette intimité renforcée avec les auteurs - et les textes ! - que permet le format. Le nouveau grand bonheur du dimanche matin.
T'embrasse
Eric
Rédigé par : Eric Poindron | 07/06/2009 à 10:08
Toujours cher Fred,
Oublié d'ajouter : décor sobre et très très réussi. Réalisation (habillage et le reste) parfaite.
Et comme disait le beau Brummel : "élégance, art de ne pas se faire remarquer".
Immanquable, la web-culture est l'avenir...
Eric
Rédigé par : Eric Poindron | 07/06/2009 à 10:23
j'ai vu en direct donc je savais déjà que c'était bien. Super qualité d'image,770 mégaoctets.
Rédigé par : ororea | 07/06/2009 à 11:57
Ohmondieumanman je suis trop triste!
Voilà une heure que j'essaie de télécharger l'émission mais mon ordi n'est pas assez puissant!
C'est une vieille bécanne et je suppose que le téléchargement est trop "lourd" pour ce Ptit Con (PC)!
C'est décidé je vais m'offrir un nouvel ordi.
Je n'ai pu profiter que de la photo du beau Frédéric et je comprends que Ororea se soit entichée de cet homme;-)
770 méga! Bouhhh!
Cà ne m'empêchera pas de prendre ma cotisation. Faut soutenir les belles idées.
Rédigé par : Ambre | 07/06/2009 à 12:23
J'ai regardé la vidéo chez Poindron...et j'ai trouvé ces deux ados très mignons...I can't get this satisfaction...cause le Rhône ne monte pas à Paris...
Rédigé par : Sylvaine | 07/06/2009 à 12:28
Cher Frédéric,
Entièrement d'accord avec tout ce que dit Eric!
"Le nouveau grand bonheur du dimanche matin" est de retour.
L'émission est "solaire et intime", "vivante et légère", merci!
Le langage de l'écriture, le langage de la musique, le langage du cerveau, le langage de l'amour, l'amour du langage, l'amour de la musique, l'amour de l'écriture, le cerveau de l'amour..................(pas trois petits points, une multitude de petits points...........)
J'ai ressenti (mais je peux me tromper) chez Philippe Djian, une touchante "timidité" que je ne lui connaissais pas, "ce ciel bleu" que je ne perçois que trop rarement dans ses livres, une émotion qui ne m'emporte pas toujours. Aujourd'hui j'ai entendu ses mots parlés, avec une oreille neuve, avec des yeux neufs, je suis prête à pour une "relecture" de Djian, que je n'ai pas lu depuis longtemps.
Je me laisserais bien tenter par le livre de Lucy Vincent, mon cerveau a besoin de lumière scientifique, à force de ne s'intéresser qu'à l'art, il va s'évaporer.
Mais le livre pour qui mon coeur-cerveau est "foudroyé", c'est celui de Pascal Dusapin,( dont je ne connais que la musique), il est vrai que l'on peut "s'évanouir" à l'écoute de la musique, c'est de l'air magique.
Vous êtes Frédéric, le plus mélodieux des chefs d'orchestres littéraires !
Bonne route sous le "ciel bleu" du web!
A bientôt
Anne
Rédigé par : Anne B | 07/06/2009 à 13:08
J'ai envie d'envoyer un grand Merci à Catherine Vial!
Rédigé par : Anne B | 07/06/2009 à 13:10
Un détail que je n'avais pas vu lors de l'enregistrement, et que j'ai trouvé très touchant, les doigts de Pascal Dusapin pianotant doucement sur la table pendant l'entretien.
Un autre plaisir, la complicité entre le public et le plateau lors des éclats de rire qui ont parcouru l'émission (avec Lucy Vincent, entre autre).
Un lieu superbe, pour des livres, des sujets, des personnes qui laissent des traces dans nos esprits au travers de leurs échanges. Un rayon de soleil qui nous éblouit enfin, il manquait tellement.
Merci encore, pour tout cela.
Rédigé par : Claire Ogie | 07/06/2009 à 13:30
Fred,
A la lecture des commentaires, c'est la gloire - mérité !
Oui, la littérature est plus forte que la télévision. Et Internet un un merveilleux vecteur et contre-pouvoir.
Enfin l'intelligence - et le "beau" - est aux commandes.
Félicitations encore.
Eric
P.S. La deuxième lecture est tout aussi passionnante.
Rédigé par : Eric Poindron | 07/06/2009 à 14:47
Oui, Claire, les mains de Pascal Dusapin, jouent, s'évadent, il se sent bien, on entend des notes, des notes majeures.
Rédigé par : Anne B | 07/06/2009 à 15:15
J'oubliais....
Ravie de retrouver vos chroniqueurs (coeurs?), Frédéric, et notamment Frédéric Bonnaud, dont les yeux pétillent de malice et de passion pour la littérature.
Rédigé par : Anne B | 07/06/2009 à 15:19
Le Shangaï Express
Je suis toujours en lecture du récit de voyage de Paul Théroux, qui décidément me plait beaucoup; "La chine à petite vapeur". Mais si je mets autant de temps c'est parce-que je lis d'autres livres entre deux.
J'aimerais insister sur le chapitre "Le Shangaï Express". A propos des Gardes rouges... et des conditions de vie de la population chinoise à cette époque pas si loin lointaine.
extrait : (p.149)
- Un soir, dit-il, en septembre 1966, quarante Gardes rouges se présentèrent devant ma maison. Quarante. Ils entrèrent, ils firent irruption à l'intérieur, il y avait des hommes et des femmes. Ils me mirent en accusation, pour ainsi dire. Nous eûmes des "séances de rééducation". Ils me critiquèrent - Vous connaissez l'expression ? Le groupe entier s'installa chez moi pendant quarante et un jours, et ils ne cessèrent de me prendre à partie et de m'interroger. A la fin, ils me déclarèrent coupable d'être un bourgeois réactionnaire, c'était mon crime. On m'envoya en prison.
- Quelle était la sentence - la durée ?
- Il n'y en avait pas. J'ignorais quand je serai relâché. C'était le pire.
- Quarante Gardes rouges - c'est plutôt effrayant. Et ils restèrent chez vous pendant presque six semaines ! En connaissiez-vous certains ?
- Bien sûr. Beaucoup étaient mes étudiants. ( Il émit le même petit rire. ) Ils sont toujours dans les parages.
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Excusez-moi Frédéric Ferney, mais je voulais juste faire un petit rappel, au sujet de la Liberté... A méditer.........
Rédigé par : alistrid | 07/06/2009 à 18:34
Merci de faire vivre votre émission, d'être allé au bout de votre promesse. Oubliée la pluie de ce jour de printemps, vous ensoleillez à nouveau nos dimanche matins.
Rédigé par : Valérie | 07/06/2009 à 18:38
Beaucoup de gens, dont mes parents et des amis, n'arrivent pas à lire la vidéo, il faudrait peut-être ajouter un format plus léger en plus si c'est possible, sinon c'est dommage...
Rédigé par : ororea | 07/06/2009 à 22:54