27 février
LU: "Est-ce ainsi que les femmes meurent?" de Didier DECOIN (Grasset).
"Est-ce ainsi que les hommes vivent?", s'étonnait Aragon? "Est-ce ainsi que les femmes meurent?", s'étonne Didier Decoin. Inspiré d'un fait divers, ce roman est écrit dans une forme presque documentaire; c'est à la fois une enquête fondée sur différents témoignages recueillis par l'auteur et une méditation personnelle, inquiète, passionnée, sur la culpabilité et la responsabilité. Decoin ne passant pas pour un révolté, c'est encore plus fort.
Nous sommes le 13 mars 1964, à Kew Gardens, dans le Queens (New York): ce soir-là, Kitty Genovese, une jeune femme employée dans un bar, blanche, a été assassinée puis violentée par Winston Moseley, bon père de famille, employé modèle, noir. L'enquête établira que trente-huit personnes ont été des témoins visuels ou auditifs de son agression sans qu'un seul ne songe à intervenir.
Kitty Genovese n'eut droit qu'à une ligne dans la presse locale: "Une habitante du quartier poignardée devant chez elle". A l'époque, la violence urbaine (avec 10 000 agressions par jour) ne fait plus recette dans les journaux. Quinze jours après sa mort, pourtant, un article paru à la une du New York Times allume la mèche. Quarante ans plus tard, la passivité des témoins devant ce crime est devenu un cas d'école entré dans les annales de la psychologie sous le nom de "syndrome Kitty Genovese" ou bystander effect - on peut définir le bystander comme une personne qui assiste à un événement sans s'y impliquer.
Decoin cite dans l'épilogue de son livre les travaux de deux psychologues, les professeurs Bibb Latané de l'Université Columbia et John Darley de l'Université de New York. Leurs conclusions: "Quand un seul témoin est présent dans une situation d'urgence, il porte la responsabilité de devoir l'assumer; mais si d'autres sont présents, la charge de la responsabilité se diffuse". C'est ainsi que Winston Moseley a pu, "pendant trente-cinq minutes", supplicier à mort Kitty Genovese "au su et au vu d'un tas de bons citoyens". On a beau savoir que "la non-assistance à personne en danger n'est pas un délit au regard de la juridiction américaine", on est glacé. Decoin fait tout pour qu'on le soit et qu'on s'interroge: qu'aurait-on fait à leur place?
Decoin parle bien de l'Amérique, des rues désertes sous la neige, du "ciel ventre de loup de l'hiver", de la frustration, de la solitude, du vent de l'East River qui plaque les journaux contre les réverbères. Dans Jamaica Avenue, avant qu'elle ne devienne une des principales artères du Queens, il voit l'ombre empennée des Algonquins, chasseurs de castors, puis le premier tramway, les premières échoppes, les bars, l'odeur des beignets frits mêlée aux relents nauséeux des pressings. C'est ça, un romancier, ça imagine et ça résume, et parfois une sensation devient une idée, alors là, c'est magnifique. Decoin a, par endroits - et ce n'est pas rien - ce don-là.
De Decoin, on parle parfois avec sévérité, on a raison: c'est un notable de la corporation, un écrivain qui a des lecteurs nombreux et fidèles, membre de l'académie Goncourt, et pourquoi pas de l'autre, celle des habits verts? etc. Il est parfaitement exact qu'il n'est ni nègre ni femme ni marchand de voitures d'occasion mais il est non moins exact qu'il n'a aucun mal à devenir en songe un nègre, une femme ou un marchand de voitures d'occasion. Le calvaire de Kitty Genovese, c'est le sien, et c'est toute la force de ce petit roman. (C'est ainsi, quand Flaubert décide enfin de tuer Madame Bovary, il ne va pas arrêter de dégobiller pendant plusieurs jours!) Et puis, après tout, Decoin est un écrivain catholique: on a beau être en Amérique, il est plus proche, sur un sujet pareil, des doutes de Bernanos (sans aller jusqu'aux affres de Mauriac) que des fascinations morbides de Truman Capote ou du chagrin inconsolé de James Ellroy. S'il tire d'ailleurs discrètement le Bon Dieu par la manche, c'est parce qu'il se sent perdu, il a besoin d'un allié.
J'ajoute que ce livre, faussement anodin, est un modèle de construction (le scénario est presque écrit!): deux chapitres d'exposition, on croit avoir tout deviné, on n'a encore rien compris. Surgit un narrateur inopiné, un habitant du quartier, écrivain d'occasion, et absent la nuit du crime. Cela nous rassure d'abord: s'il n'a rien vu, on se verra épargner les détails horribles. On a faux sur toute la ligne! Car on saura peu à peu tout ce que ces gens ont dans la tête: celui qui tue, celle qui est tuée, les témoins et le juge. Pire que ce qu'on voit: ce qu'on pense.
Au fond, le principal personnage du roman, le plus insistant, le plus obscur aussi, c'est: la conscience, comme une fenêtre ouverte, comme un regard indolore et mortel, oui, un oeil. Depuis, la plupart des témoins ont quitté le quartier, Winston Mosley est toujours en prison, il va avoir quatre-vingts ans. On croit que c'est réel, non, c'est vrai, c'est un battement d'ailes et un trou noir, c'est une allégorie. Il y a ça aussi, en plus mystique, chez Chessex.
Glaçant, en effet. De la complexité de l'âme humaine et de ce qui peut devenir aussi, en quelques instants, son inhumanité. Ou encore des méfaits de l'instinct (terme qui ne renvoie pas à l'humain mais plutôt à l'animal) grégaire qui peut nous ôter toute dignité.
Rédigé par : Franck Bellucci | 27/02/2009 à 07:20
Monsieur Ferney,
Je lis vos commentaires comme une gourmandise, gourmandise de style, le sens y étant toujours .
Et je me dis, quel bonheur les personnes qui savent si bien s'exprimer!
Et aujourd'hui, au détour d'une parenthèse, le mot dégobiller vient émailler votre propos; d'abord il m'étonne, ensuite il me fait rire, et puis j'en fais un petit balluchon de souvenir ; voyons, quand ai-je utilisé ce mot pour la dernière fois? Je glisse immédiatement vers l'enfance, quand nous aimions parler sale hors le périmètre parental. Et puis je dictionnarise sauvagement : gober, gobiller? dégobiller. Et je m'aperçois que je préfère ce vocable à celui plus classiquement admis de vomir. Et d'ailleurs votre phrase prendrait presque une autre tournure si vous aviez employé vomir.
Aussi, je vous rend grâce d'avoir eu votre seconde stylistique enfantine dans ce texte sur Decoin qui, par ailleurs ne parle pas d'autre chose que de cela : dégobiller sur nous même pauvres humains si peu fiables dans leur humanité!
Rédigé par : albertine | 27/02/2009 à 09:23
Une gourmandise qui fait pas grossir : profitez en, ça va bientôt se vendre cher ;-)
Rédigé par : ororea | 27/02/2009 à 10:43
Non. C’est simple, il suffit de dire non. Je peux choisir de dire oui, et je bave vite fait quelques mots très bôs et qui n’ont rien dit, variante du célèbre “ah mon bon monsieur, ce que c’est que de nous, pov bestiaux humains, bon ben c’est pas l’tout m’âme Michu j’ai mon omelette à baver vu qu’ l’Alphonse va pas tarder à réclamer sa pitance té !”
Vé vé. C’est une option. Pas plus nulle qu’une autre.
Je peux choisir de brouiller savamment les pistes, d’éluder la question et d’oublier la réponse, parler d’autre chose tout en ayant l’air de parler du même, et terminer par la version jolie du célèbre “ah mon bon….” Voir la suite plus haut.
Autre option : je m’en tamponne le coquillard, et c’est la plus honnête des positions.
Je peux être doctorale et psychiatrique et sortir de grandes théories qui n’expliquent rien et justifient tout, parce que ça, n’est-ce pas, c’est quand même rassurant, et par les temps qui courent “ mon bon monsieur…”
Je peux encore dire oui en admettant qu’après tout je prends un plaisir extrême à voir enfin du sang, du sexe et de la violence grandeur nature et sans caméra pour filtrer et doser, mais ça, c’est déjà nettement moins rassurant.
Dans tous les cas, je m’en retourne “à mon p’tit manteau, mon pt’it dodo, ma p’tite toto” comme dirait Jacques.
Mais la liste n’est pas exhaustive. Et je peux, et ça aussi c’est un choix, dire : Non.
Rédigé par : Yasmine | 27/02/2009 à 12:27
Today, I went to the beachfront with my kids. I found a sea shell and gave it to my 4 year old daughter and said "You can hear the ocean if you put this to your ear." She placed the shell to her ear and screamed. There was a hermit crab inside and it pinched her ear. She never wants to go back! LoL I know this is completely off topic but I had to tell someone!
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Rédigé par : www.supremehats.biz | 11/09/2013 à 22:22
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Rédigé par : pewdokfyoj | 11/09/2013 à 22:37
|Mon développeur essaie de convaincre. Moi de passer à net de PHP. J'ai toujours détesté l'idée en raison coûts. Mais il n'est aucun tryiong le moins. Je me sers WordPress nombreuses pendant environ un an et am concernées sur le passage à une autre plate-forme. J'ai entendu bonnes choses au sujet de blogengine.net. Y at-il une manière que je peux transférer tout mon wordpress content Toute aide serait vraiment
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Rédigé par : hollister coupons | 18/09/2013 à 03:37