26 février
LU: quelques textes de Roger CAILLOIS, notamment "La Pieuvre", "Le Fleuve Alphée" ou l'admirable "Noé", dans "Oeuvres" (collection Quarto, Gallimard).
Certains mots lui vont comme un gant: oblique, lapidaire, savant, diagonal. Ses livres parlent de la guerre, du rêve, des pierres, des insectes, de la fête, de Ptolémée et de Lamarck, de Ponce Pilate et de Hitler, rarement de lui-même; il oscille entre la science et l'onirisme, la poésie et le positivisme, la physique de Lucrèce, la tête de Méduse et la table de Mendeleïev. Caillois est un touche-à-tout étincelant avec une seule obsession: l'aventure, la poésie, qui est "le jeu le plus grave". On songe à un Bachelard promu psychanalyste de la raison, à un Auguste Comte touché par l'ange du bizarre. Ses armes: un scalpel ou un filet à papillons, c'est selon. Son expression préférée: "Trêve de balivernes!"
Une enfance paysanne près de Reims, juste après la guerre de 1914-1918. Des influences d'abord silencieuses dont celle de son camarade du côté de l'occulte: René Daumal. Plus tard, Roger Caillois se frottera aux avant-gardes issues de Marx et de Freud, au surréalisme, à André Breton avec qui il rompt sèchement: "L'irrationnel, soit; mais j'y veux d'abord la cohérence" (1). C'est plus fort que lui: il explore, il doute, il diverge. Il déteste le flou, les défaillances de la forme, les bavures de l'expérience, surtout devant l'ésotérique. Tout jeune, il note: "Quand Rimbaud écrit: "Je fixais des délires", c'est fixer qui définit la tâche du poète". Parfois sa trop claire ironie - il n'est ni hypocrite ni sage tout en sachant être prudent - devient presque méprisante, froide, mortelle: il "n'aime pas ne pas comprendre", et il refuse de faire secte. Dans le collège de Sociologie qu'il fonde en 1938, avec Michel Leiris et Georges Bataille, ce sera pareil: il ne va pas s'attarder à tenir boutique.
Notre cher Caillois, c'est un peu Hermès, le dieu des carrefours, alternant la flûte et le caducée, et qui s'amuse à soumettre nos faibles savoirs aux contagions de l'étrange sans renoncer, ah! ça jamais! à un ordre supérieur, cartésien, grammatical. Il exècre la parade foraine, les alibis, même sincères et passionnés, les vaines récriminations. Il désapprouve tout ce qui exalte la foi contre la raison, le songe contre la réalité, la fantaisie par dégoût de la rigueur. Il tolère la démence, le chaos, les ténèbres mêmes, à condition que ces excès (qui sont dans la nature) ne soient pas érigés en principes de négation. Il admet la foudre, la frénésie, le vertige, il se défie du fulgurant, du frénétique, du vertigineux, comme d'une complaisance trop moderne. "J'imagine que ce doit être une grande tentation de discourir ainsi de préférence sur le miracle et l'émeute", concède-t-il poliment, en essuyant ses lunettes. Cette tentation, ce n'est pas la sienne.
Il y a, en effet, une secrète "cohérence" sous le disparate de ses curiosités: ce n'est pas le poète qui délire, c'est la matière qui rêve. (Il faut pouvoir la suivre dans ses trouvailles et ses sublimes processus). Le fantastique est une catégorie de l'univers, un écart ou un accroc dans les lois du cosmos qui régissent l'amour, le saut à la perche et la politique. Procureur et poète, aventurier systématique, Caillois semble vouloir arracher le costume des choses, les désaccoutrer de ce qu'on sait ou de ce qu'on nie et, disons, désacraliser le sacré. Mi-alchimiste mi-encyclopédiste, qu'il parle de la mante religieuse ou de l'immortalité (des cailloux), il ne cesse de vouloir démontrer comment l'imaginaire humain s'enracine dans le matériel, dans l'animal ou dans le minéral, comme si sous chaque mythe il lui fallait faire affleurer un phénomène, et encore en-dessous un sol. Il s'y emploie sans s'émouvoir.
L'homme, écrit-il dans son dernier livre, "Le Fleuve Alphée", "est un être précaire, membre interchangeable d'une espèce provisoire". Et encore ceci: "La pierre me restitue à une longue et obscure histoire, antérieure à l'homme, qui ne le concerne en rien, et dont je suis issu en fin de parcours"... Son style est ardu, solide, parfois coupant, comme une arête de quartz, parfois translucide, toujours éminemment syntaxique. J'ai noté cette petite phrase qui m'enchante: "Je regarde mieux, afin de détailler le mystère".
Sur ce qu'on appelle, en littérature, le romantisme, il est implacable: "J'appelle romantique tout écrivain qui prétend que ce qu'il écrit n'est pas de la littérature et qui, à proprement parler, se défend d'être écrivain, qui méprise les lettres et affirme produire ses ouvrages malgré soi et comme poussé par une force irrésistible. Il ne publie ainsi que confessions déchirantes, cris d'alarme ou de désespoir, blasphèmes, messages ou prophéties dont la valeur, à l'entendre, ne vient nullement du plaisir esthétique qu'on en peut retirer, mais de leur sincérité, de leur audace, de leur authenticité et de toute vertu qui, si l'on y réfléchit bien n'est pas littéraire". Caillois écrit cela en 1945 ou 1946, on dirait qu'il vient de l'écrire pour nous, aujourd'hui (2).
C'est quelqu'un de la race des intransigeants, il a d'ailleurs écrit, tout jeune homme, un éloge de Robespierre, coupant comme une palpitation d'éventail.
(1) Roger Caillois dénonce, dans le freudisme, non pas la théorie de Freud mais "l'emploi mécanique et aveugle d'un symbolisme imbécile" et "l'insuffisance de la documentation"; dans le marxisme, non pas ce que dit Marx mais la vulgate brandie par ses apôtres, lui-même refusant de "tirer argument contre la doctrine des faiblesses de ses fidèles": "Chaque système est vrai par ce qu'il propose et faux par ce qu'il exclut".
(2) Ce texte est paru sous le titre "Au-delà de l'existentialisme", dans le recueil intitulé "Chroniques de Babel", Denoël-Gonthier, 1981. Pour Caillois, l'existentialisme succédant au surréalisme et ,à travers lui, au romantisme, est l'ultime rejeton d'une lignée qu'il fait remonter aux précurseurs mêmes du romantisme, et à laquelle la formule de Senancour dans "Obermann": "Que suis-je? Pour l'univers, rien; pour moi, tout" pourrait servir de devise. "Cette voie est sans issue, écrit-il. Il entre dans le romantisme une duperie fondamentale..."
Tous les matins je termine mon tour d'horizon de la planète et de mes différentes boites électroniques et sites, par votre site, Frédéric Ferney... C'est comme si je me lavais la tête, les pensées qu'elles contiennent, avec d'autres choses que la crise économique, la politique décadente, etc. Je fais partie des personnes qui garde le meilleur pour la fin. MERCI
Rédigé par : rocheclaire | 26/02/2009 à 07:28
"Mais je me disais que cet homme dont j’allais avoir à parler devant vous, non pas n’était plus, car tout ce qui fut dure encore, mais se trouvait rentré dans son royaume. Il était allé jusqu’au bout de « l’acquiescement profond » qu’à l’en croire, vivant, il avait déjà donné. Il n’avait plus besoin de s’interroger ni de penser ; comme le dit si bien un personnage de Ionesco dans Le Roi se meurt, il n’avait plus besoin de respirer. Les minéraux qui le composaient appartenaient de nouveau à ce sol dont sont nés les beaux objets qu’il ne se lassait pas d’aimer. Mais il nous avait laissé son exemple, celui d’un homme qui, disait-il, « essayait de se diriger dans le sens des choses ». Cher Caillois, il m’arrivera encore de penser à vous en m’efforçant d’écouter les pierres."
A votre évocation de Caillois, j'associe volontiers la belle péroraison de Yourcenar à son propos (lors de sa réception à l'Académie Française en 1981).
Rédigé par : Tania | 26/02/2009 à 07:58
« J'appelle romantique tout écrivain, etc. » donc Daumal est romantique pour Caillois, ce qui pourrait à la limite se concevoir, dumoins dans la première partie de son oeuvre, mais le fait est qu'il y a ici une manière de juger qui me semble pour le moins vaniteuse, comme s'il pouvait sonder le coeur et les reins de tous ceux qui écrivent, et examiner, en entomologiste un peu sadique, les papillons qu'il viendrait d'épingler (« Ses armes: un scalpel ou un filet à papillons, c'est selon » écrit M. Ferney).
On aura du mal, cependant, à considérer que Benjamin Fondane, par exemple, lorsqu'il écrit son fameux poème « c'est à vous que je parle, hommes des antipodes » dans lequel on peut lire : « Ce n'est qu'un cri, qu'on ne peut pas mettre dans un poème parfait, avais-je donc le temps de le finir ? » faisait démonstration de romantisme ou d'excès de coquetterie.
Ca me rappelle la thèse de Kundera dans « la vie est ailleurs » où il présente les poètes lyriques, dont, si j'ai bonne mémoire, Rimbaud et Maïakovski, comme des frustrés onanistes paliant à leurs insuffisances en donnant à la parole poétique une importance que, selon lui, elle ne saurait avoir, et par laquelle ils se feraient valoir.
De quel côté est la frustration, finalement, je me le demande. Ne pourrait-on pas, en changeant radicalement de point de vue, la voir du côté de ces « écrivains adultes et raisonnables » — qu'on rencontre d'ailleurs souvent parmi les lyriques déçus — qui tiennent à peu de prix « les balivernes » dont leurs confrères puérils n'auraient su se départir parce qu'ils n'auraient pas su admettre que la parole serait toute et seulement « littérature » ?
Il faut des littérateurs, soit, pour que fonctionne le commerce de la librairie, pour que Philippe Sollers puisse déjeuner à la brasserie assez coûteuse de la rue Sébastien Bottin, et pour que les commentateurs et universitaires gagnent leur vie. Mais de là à réduire toute parole humaine qui tend vers l'authenticité à de la littérature...
Rédigé par : Antonin de La Ferme du Bocage | 26/02/2009 à 08:20
Cher Antonin de la Ferme du Bocage,
Je n'imagine pas Roger Caillois traitant Rimbaud et Maïakovski de "frustrés onanistes" mais, bon, j'entends ce que vous dites. Ce que Caillois dénonce, ce sont les postures (et les impostures) de la poésie, le conformisme de la révolte, les gesticulations de la sincérité. On dirait aujourd'hui: la médiatisation.
Poète et procureur...
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 26/02/2009 à 10:01
DETAXE EN SUBPRIME
La trêve des balivernes
Est un jeu grave sérieux
Pour la cohérence insensée
Qui se pique de comprendre
Ce qui échappe à sa raison
Mortifère de saison
Le poète ne fixe pas
Plus qu'un nomade
Dans l'absence de tâches
Qui incombe à sa tache claire
Dégagée des précarités
Concentrée sur le délire
Les palpitations d'éventail
Ne coupent que l'air du temps
En tranchant dans le lard
Sans avoir l'ardeur
Qui scalpe grammaire et syntaxe
Ces chaînes de forçat pour l'art
Rédigé par : gmc | 26/02/2009 à 12:28
Oui, "coupant comme une palpitation d'éventail", c'est fort, c'est suggestif...Devrait faire un recueil de poèmes le FF...Je verrais bien un truc sensuel sur les petits taureaux, les corridas, les éventails...C'est sur quoi le prochain roman?
Rédigé par : ororea | 26/02/2009 à 14:35
Merci, Anne Burroni, pour cette précision. J’ai effectivement mal compris vos propos. Désolée d’avoir contribué malgré moi à votre fatigue. (J’ai vu, oui, que vous écriviez tard, dans votre commentaire précédent déjà..)
Rédigé par : Yasmine | 26/02/2009 à 17:23
A quoi reconnait-on un fan de FF? Il se couche tous les soirs vers minuit quinze.
Rédigé par : ororea | 26/02/2009 à 19:23
Je ne retiens que cela "Trêve de balivernes"
Rédigé par : Anne B | 26/02/2009 à 21:44
Merci pour ce billet très intéressant!
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