5 septembre
Lu: "Le Grand exil" de Franck PAVLOFF, roman (Albin Michel).
Ce n'est pas moi qui vais médire des vieilles odeurs mais, bon, le roman français, on a beau dire, ça sent parfois un peu le renfermé - la chambre close, l'armoire de famille, le cabinet. Pavloff, non. Avec lui, on n'est pas au chaud at home, on est ailleurs, même s'il s'agit toujours d'être au plus près de la vérité qui n'est qu'en soi. Un roman, c'est à dire une fuite ou une quête...
De l'air! Pavloff ouvre la fenêtre, il épie l'horizon, il préfère les grandes largeurs; il dévore page après page la prose du monde; il aime l'étrangeté des pays qui ne sont pas le sien - ceux d'où l'on vient, ceux où l'on va, ceux dont on rêve.
Nous voici en Equateur, dans une petite ville de la cordillère des Andes, au pied du volcan Tungurahua. Le personnage central du "Grand exil" est un homme solitaire, étranger dans ce pays - il a beaucoup roulé sa bosse, il a été marin, bûcheron, charpentier, comme un romancier américain. On l'appelle: Tchaka, ce n'est pas son vrai nom. Aujourd'hui, il travaille comme jardinier dans l'hacienda d'un gros propriétaire terrien.
On ne sait, ni d'où il vient, ni ce qu'il cherche, ni quels lourds secrets il cache sous son panama. On devine qu'il a connu un pays en guerre et qu'il a perdu un fils - on le devine seulement car ce n'est pas le genre d'homme à se galvauder en confidences, ce qui attire les femmes et suscite l'insatiable curiosité des gens. C'est un taiseux. Un héros de western ou de roman noir, mi-stoïcien mi-desperado, et qui aurait chiadé la botanique. Le genre à "se hisser vers la plus pure des solitudes".
Seul vestige de son existence passée, son couteau à manche de corne, qui parle pour lui: "Sa lame si fine d'avoir été tant aiguisée gardait les traces de son exil, la taille des vignes au printemps, la sculpture d'une branche d'olivier pour conduire les brebis, la dépouille fauve d'un lièvre d'automne pris au collet, l'abattage des cannes à sucre, la saignée des troncs d'hévéas sous un ciel de plomb, et tout récemment la poussière de pierres ponces". Une vie au grand air!
Tchaka sait par exemple que, si votre poncho est mouillé, il ne faut pas le tordre car on ne tord pas la laine d'alpaga, on la frappe à coups de bâton pour lui faire rendre l'eau! Il s'enchante de tous les processus, observe les cycles dans la flore et dans le climat, invente des croisements inédits d'orchidées - "une Embreea à fleurs jaunes avec une espèce sauvage au labelle pourpre", quelle beauté! Il n'est peut-être si fascinant que parce qu'il est lui-même fasciné, à la fois subjugué et libre devant ce que la nature accomplit.
Le personnage central, c'est lui, mais le héros, c'est le volcan, qu'on croit éteint parce qu'il est sage, si sage qu'il s'ennuie, et qu'il se met en colère. Le Tungurahua émet des signes dans son sommeil que seul cet homme, ce gringo, est capable de déceler - "d'imperceptibles turbulences tièdes comme une haleine de bergerie". La terre tremble, la terre parle, et lui, il l'entend, comme s'il était "responsable de l'équilibre du monde".
Il y a dans ce roman de Pavloff, irrigué par les croyances ancestrales des paysans de là-bas qui vénèrent la Sainte Vierge (sans renoncer aux murmures et aux semonces des dieux incas) une forme de sagesse: géographique, climatique, tellurique. Comme si l'écologie était un engagement spirituel. Le sexe même n'est pas une chose sacrée, obsessionnelle - juste un épisode dans un processus, un cycle, un peu comme la pollinisation des orchidées grâce aux abeilles.
Quelles sont les possibles passerelles d'une culture à une autre? Un pont, à quoi ça sert? Est-ce que ça sépare ou bien est-ce que ça relie? Quel est le sens obscur de l'hybridation, du métissage? Et surtout: pourquoi partir? Faut-il quitter son pays dans l'espoir d'échapper à la misère? N'est-ce pas une illusion? Car la plupart de ces paysans pauvres n'ont qu'une idée en tête: partir en Amérique. Pas tous.
"Une fois parti, que tu sois pauvre ou que tu sois riche, tu fais quoi de tes nuits? Je vais te le dire, tu te mets à rêver au pays que tu as quitté, ceux que tu as laissés te manquent à mourir, et même si tu as quelques dollars de plus en poche, tu crèves pareil, à petit feu, mais loin des tiens". Ca, c'est ce que pense une certaine Dolorès. Le volcan exigera son tribut et son lot de sacrifices. Tchaka, lui, repartira en sauvant un enfant.
Je traverse le pont pour vous dire bonjour, Frédéric. Je n'ai pas pris mon parapluie. Vous croyez qu'il va pleuvoir ?
Vous me prêterez un imperméable
Bon retour
Christine et compagnie
:-)
Rédigé par : christine | 05/09/2009 à 15:02
« Tu fais quoi de tes nuits ? »
Le noir. Le noir n’est pas que dans ta chambre. Le noir est aussi dans ta tête, ta petite tête qui veut penser l’infini de l’espace. Tu imagines une sphère, la plus grande que tu peux. Tu en cherches les limites. Tu les atteins, comme ces frontières d’où la capitale est si loin. Et la curiosité devient la peur, car, rendu là, tu réalises que c’est impossible, seul est infini le nombre de fois où il faudra aller plus loin, tu ne sais qu’avancer, plus tu vas plus tu te perds, tu ne retrouveras jamais ton centre, tu n’auras plus de calme, tu ne peux rien de ce vide, même pas le quitter, te dire : arrête, dors, ne bourdonne plus, n’écoute plus le sang qui bat tes tempes – commande-t-on à ça, à cette terreur définitive même si elle se tapira le temps qu’elle voudra, maîtresse des lieux faisant coucou à sa guise, et là pour toujours comme les cicatrices faites à jouer avec ce couteau à flancs d’écaille que tu n’as jamais su manier.
Rédigé par : PMB | 05/09/2009 à 17:06
Hola, qué tal ? Qué paso ?
Es un gusto conocerle. Soy de Nicaragua.
Ellos no entienden lo que decimos.
"Dos gatos duermen en mi cama( Yo duermo todos los dias siete horas).Por qué estas aqui, no me digas!"
Buen viaje !
Quine
Rédigé par : Quine | 05/09/2009 à 19:01
Ca sépare et ça relie, un pont. Le métissage, c'est très compliqué. Enfin, je trouve. Mais ça relie et ça sépare aussi. Tout dépend. De soi, mais des autres aussi, en face, de l'autre côté du pont. Ca me rappelle une histoire d'Astérix, une histoire de Fossé. Bref, c'est une position quelquefois inconfortable, le cul entre deux chaises, question d'équilibre. Faut équilibrer constamment, parfois toute sa vie, jongler avec les cultures, les mentalités, les mots, les émotions, les susceptibilités, les "ego". Certains jours, j'aimerais être une amibe. C'est simple, au-moins. Pour la bonne raison que les chaises n'existent pas au royaume des amibes. Elle est pas belle, la vie ?
Rédigé par : Yasmine | 05/09/2009 à 19:26
Dis, Ephèfe, tu viens me polleniser l'orchidée?
Rédigé par : ororea | 05/09/2009 à 23:56
Quel bonheur que de retrouver un billet avec vos impressions de lecture, l'ensemble toujours écrit avec passion et finesse !
Rédigé par : Franck Bellucci | 06/09/2009 à 13:40
A PARTIR D'UN FILM
Que fait la nuit
Quand le satin des opales
Fait croire au jour
La nuit sculpte et polit
L'aérodynamisme des climats
Qui émerveille le chaland
Que fait la nuit
Si le pont danse
D'un clin d'oeil
Au-dessous du volcan
De temps à autre
Un chien s'ébroue
Et un jappement
Annule le canin
Rédigé par : gmc | 07/09/2009 à 13:37
Cher Fred, je partage ton enthousiasme pour ce Pavloff.
J'ai fort apprécié l'utopie en ULM (et en kit s'il vous plaît) de Dolores, qui veut faire passer gratis au Nord des quidams pas toujours aussi volontaires qu'on croirait…
Mais quel portrait de ce Tchaka !
Rédigé par : Papalagui | 09/09/2009 à 01:06
Jupp, lang bekannt und echt nice!Der aerbitet mit dem gleichen Programm wie ich, btw.Ableton Live ist absolut der Hammer!
Rédigé par : Elizathe | 15/04/2012 à 07:35
J'espere que vous avez d autre article de cette trempe pour nous !
Rédigé par : Travailler moin | 27/12/2013 à 14:00