9 octobre
Lu: "La Vérité sur Marie" de Jean-Philippe Toussaint (Les Editions de Minuit).
Il suffit parfois d'une phrase pour s'attacher à un roman. Je lis (page 57): "Je l'aimais, oui. Il est peut-être très imprécis de dire que je l'aimais, mais rien ne pourrait être plus précis". Puis (page 58): "La main et le regard, il n'est jamais question que de cela dans la vie, en amour, en art". Est-ce vrai? Suis-je d'accord? Peu importe. Je mords à l'hameçon, j'avalerai tous les appâts, tous les leurres - Jean-Philippe Toussaint s'y connaît, il est un as à la pêche à la mouche! C'est gagné.
Pourtant, je n'ai pas été si conquis par ses premiers romans: "La Salle de bains" (1985), "L'Appareil-photo" (1989). Très Minuit, sans falbalas, peut-être trop dénués, trop cadrés, trop surveillés, à mon goût - du moins à l'époque. Ai-je changé? Oui, sans doute. Et lui aussi, semble-t-il. Je viens de lire d'une traite "La Vérité sur Marie", je découvre un auteur maître de sa forme, libre de ses penchants, moins tenté par l'objectif - ondoyant, impressionniste, musical. Un petit Debussy en prose.
L'écriture de Toussaint est très gouvernée mais elle cède ici à des sommations, des élans, des caresses, qui le dépassent: la chaleur, l'eau, la nuit, la lumière s'insinuent dans les phrases, et le sexe, et la mort, et le temps qui fuit, artiste et vandale, à l'insu des vivants. Avec cela, une odeur de brûlé - "...et sur ta peau, mon amour, subsistait encore une forte odeur de feu" . Cela donne un roman haletant, impulsif, orageux, sensuel. Avec je ne sais quoi de fugitif et d'inéluctable. Et pour emblême la course éperdu d'un pur-sang surgi de la nuit sur l'aéroport de Narita.
Tout un ressac de motifs baroques conspirent sous l'écriture formant une sorte d'algèbre sensible. Comme si Sponde ou Rotrou avait eu vent de Robbe-Grillet sous la férule d'Irène Lindon. Comme si ce nouveau roman abritait en douce une poétique de la sensation oscillant entre l'humour et la mélancolie. Ah, la mélancolie de Toussaint - je n'en connais pas de plus sèche. "Il n'a jamais été question que de forme et de mélancolie le soir de cette finale", écrivait Toussaint à propos d'un certain France-Italie, en 2006 ("La Mélancolie de Zidane"). On aurait aimé ce jour-là, devant la défaite des Bleus et le chagrin brutal de millions supporters, que M. Domenech s'inspire du style de Toussaint au lieu de se montrer au micro si évasif et piteusement sentimental.
"La Vérité sur Marie" n'est pas à proprement parler une suite, mais un prolongement de "Faire l'amour" (2002) et "Fuir" (prix Médicis, 2005), nous dit l'auteur. Une trilogie? Non, l'auteur a juste de la suite dans les idées, il déroule, il file sa laine. Ne rêvez pas non plus d'un aveu sincère, ni même d'un dévoilement moqueur, vous seriez déçu, ce qui ne serait pas pour lui déplaire. Non, Marie a horreur des questions, et ce titre, "La Vérité sur...", devient vite presque amer, insidieux, ironique. Et finalement joyeux.
Avec Toussaint, nous ne sommes pas chez Montaigne ou le commissaire Maigret. C'est un moderne, il dit bite s'il le faut, et parfois il le faut. Quant à la vérité, de bons auteurs lui ont appris à la traiter rondement, comme la dernière illusion dont il importe de s'affranchir. Tout est relatif, tout est récit et point de vue. Heureusement, si tout est improbable et suspect dans cette belle narration, rien n'est perdu. Que tout soit douteux ne prouve pas que rien ne soit vrai; et que rien ne soit certain ne prouve pas que tout soit faux.
Cela pour rappeler que Toussaint n'écrit pas naïvement, au petit bonheur. "Il lui parlait en français, il avait toujours parlé français à ses chevaux, la langue de l'amour, le français - et de la perfidie, aussi, parfois, son ombre vénéneuse". Il y a de ça. Le français accueille tous les soupçons. Toussaint joue cartes sur table mais il a un roi et une reine dans sa manche. Cela suscite la vigilance du lecteur.
Il se définit lui-même comme un "infinitésimaliste", soucieux du détail infime ou dérisoire qui altère le regard et contribue à la vérité du tableau. S'il est musicien et enquêteur en songe, il est aussi peintre: tout semble posé, inerte, comme dans une nature morte, et soudain tout s'ébranle, tout s'anime. Tout paraît ressenti, rêvé, vécu, avant d'être écrit, les yeux fermés. Ce qu'il ne sait pas, les mots, l'intelligence des mots, le devinent.
C'est un thriller amoureux et autobiographique. Car tout est fantasmé, recréé, imaginé... par l'auteur!
Bravo, très beau texte, sensuel...
Rédigé par : ororea | 09/10/2009 à 17:47
Beau texte et phrases magiques, notamment celle-ci à laquelle je souscris avec ferveur :
"un infinitésimaliste, soucieux du détail infime ou dérisoire qui altère le regard et contribue à la vérité du tableau".
Ces détails, infimes et insidieux mais qui invariablement me marquent au mépris de l'ostensible et de l'apparent.
L'infinitésimal qui dévoile la substance...
Rédigé par : Anne Burroni | 10/10/2009 à 00:25
J'ai entendu quelques critiques élogieuses de ce livre mais là, vous me donnez vraiment envie de le lire séance tenante.
Un vrai plaisir de VOUS lire.
Rédigé par : Je | 10/10/2009 à 12:20
Jean-Philippe Toussaint baroque ?
Son nom sonne baroque.
Quant à "La Salle de Bain" et "l'Appareil-photo j'ai trouvé cela insipide et ennuyeux...mais s'il a changé...
Rédigé par : Anne b | 10/10/2009 à 21:41
L'orage, la nuit, le vent, la pluie, le feu, les éclairs, le sexe et la mort... Autant de sujets qui font de ce roman un rêve éveillé, comme si la main & le regard pouvaient, à eux-seuls, ressusciter l'hymne à l'amour inachevé, la douceur d'une peau...
D'Elles
D’elles pourrait jaillir
Une cascade de sang
D’elles pourrait parler l’avenir
D’elles viendrait le chant
D’elles la chair s’enflammerait
D’elles et de leur unité
L’agilité sublimerait
Je les regarderais
Le temps se réaliserait
Elles m’inviteraient
La tendresse exploserait
Je m’avancerais
Ma peau existerait
D’elles ô d’elles
D’elles je serais éperdument éprise
D’elles je rêverais
Elles se poseraient
La lumière pénètrerait
Elles glisseraient
Mon désir s’exprimerait
Elles s’essuieraient
Ma joie éternelle vibrerait
D’elles ô d’elles
La vie se sculpterait
Les étoiles renaîtraient
D’elles ô d’elles
D’elles ô d’elles
D’elles j’en pleurerais
(RBF, Paradis Métissé, Juin 2002)
Rédigé par : DaDa | 12/10/2009 à 00:07
Pour rentrer vraiment dans La vérité sur Marie il faut absolument commencer par lire les deux précédents : Faire l'amour et Fuir.
J'ai dévoré ces trois ouvrages et l'écriture de J.P. Toussaint est d'une beauté fulgurante. La vérité sur Marie est un sublime livre d'amour.
Je viens de commencer La salle de bain qui est son premier roman (1985) et je peux dire que son style très épuré dans ce livre s'est enrichi dès Faire l'amour pour atteindre un sommet dans La vérité sur Marie.
C'est beau, d'une beauté lumineuse.
Rédigé par : Je | 13/11/2009 à 11:02
I cannot even begin to tell you how much I love our poohts! They are very artistic and just what John and I were looking for. Every one of them is beautiful. You are awesome! We look forward to seeing the rest of our images and hopefully working with you again. You made us feel very comfortable during the shoot. Thanks for everything, Toussaint!
Rédigé par : Adam | 30/05/2012 à 06:21
I remember this. He was the ffhgiierter who was struck by a vehicle because he had to bike to work because of the illegal MTA strike. Jeez, who could forget walking to work in the freezing cold for over 2 hours each way, over two freezing bridges over two freezing rivers each day? Or facing a long cold horrible walk home to Brooklyn after working like a dog all day long. My ankles still hurt from that. Or the $20 dollar cab rides, while Toussaint partied it up like a king in Harlem in out of his heated limo paid for by NYC subway riders.WHO the hell asked these idiots to be MTA workers anyway? I couldn't care less about them. They chose these jobs, not me. And they get paid more than many do in the private sector.
Rédigé par : Sebastiano | 30/05/2012 à 07:25
I think HAAFA could have more air time if more sponsors join Solstice Realty, Baignets Restaurant and Dr Michel in surtopping Konbit Radio Show .
Rédigé par : Gulnur | 30/05/2012 à 08:52