7 septembre
Vu: "Le Funambule" d'après Jean Genet, dit et dansé par Angelin Preljocaj, au Théâtre des Abbesses (31 rue des Abbesses, 75018-Paris).
En 1958, Genet écrit ce texte à l'intention de son amant Abdallah, un danseur de cordes: "Tu dois risquer une mort physique définitive. La dramaturgie du cirque l'exige. Il est avec la poésie, la guerre, la corrida, un des seuls jeux cruels qui existent". On peut le lire comme une invective éperdue, un chant d'amour, un art poétique. C'est un poème de l'envol et de la chute. Un portrait de l'artiste en saltimbanque. Une féerie mortelle.
Seul en scène, Angelin Preljocaj dit ce texte et il le danse, il le murmure et il l'incorpore. Il n'est pas funambule ni comédien mais il a été danseur, il se souvient qu'il a été danseur et qu'il a aimé cela. Par là, il retrouve le risque, le danger, il s'expose, il se mouille - Genet ne parle que de cela. "Narcisse danse? Mais c'est d'autre chose que de coquetterie, d'égoïsme et d'amour de soi qu'il s'agit. Si c'était de la Mort elle-même?" Du pur Genet. A quoi répond dans la salle le silence fasciné du public qui devine l'enjeu, pèse la gageure, admire le rêve sacré du récitant.
Tout n'est que métaphore et pourtant quelque chose subsiste de la gravité, de la pâleur, de la solitude de l'acrobate dans la primauté solennelle de son apparition. Un petit Hercule avec des pieds de femme.
Genet interpelle son amant: "Et ta blessure, où est-elle? Je me demande où réside, où se cache la blessure secrète où tout homme court se réfugier si l'on attente à son orgueil, quand on le blesse?" Il célèbre sa confrérie, sa lignée: "Vous êtes les résidus d'un âge fabuleux. Vous revenez de très loin. Vos ancêtres mangaient du verre pilé, du feu, ils charmaient des serpents, des colombes, ils jonglaient avec des oeufs, ils faisaient converser un concile de chevaux". Lui-même, Genet, le charmeur de rats, se sent appartenir à cette tribu maudite. Il s'accointe en songe à sa funeste liturgie.
Et le public? "Le public est la bête que tu viens finalement poignarder". Un petit sacrifice, ça vous dit?