16 février
LU (et cela m'a arraché à la lecture délicieuse du nouveau Julian Barnes): une enquête sur "Les Françaises" dans l'excellent Courrier International (n° 948). Les résultats sont surprenants. Je dis cela parce qu'en général la presse étrangère (anglo-saxonne en particulier) ne nous rate pas: notre déclin intellectuel crève les yeux; on est sales (les études sur la propreté des toilettes publiques nous placent derrière la Grèce et la Turquie), arrogants, mal élevés, politiquement archaïques et stériles, etc. Franchement, ce n'est pas toujours faux.
Là, au contraire, le tableau est flatteur: comme si le glamour gaulois de Rachida qui diore et de Ségolène qui zénithe sans parler de Carla qui brunit ou de Nathalie qui baye (soit deux quadras, une quinqua et une sexa, on y insiste dans ce dossier) avait ressuscité la primauté du chic, du charme, du fascino, un peu sexuel, des Françaises, aux yeux des étrangers. Ce n'est pas encore une réalité sociologique mais c'est déjà un buzz; c'est une affaire d'images (dans cette concurrence-là, les Françaises sont redevenues à la mode) et de melting-pot: on se doit à travers elles de rendre hommage au Maroc, aux Charentes et à l'Italie. C'était un peu ça, dans le temps, le génie français: piquer des formes ailleurs pour en faire des idées, des modèles exportables, classiques, universels, Saint-Laurent, Sartre et le croissant au beurre.
Voici, par exemple, ce que je lis dans un article de John Lichfield paru dans The Independent de Londres. D'abord, il y a les choses qu'on sait, plus ou moins. Les Françaises font plus d'enfants que leurs voisines européennes: nous avons supplanté l'Irlande avec le plus fort taux de fécondité de l'Union européenne (c'est Michel Debré qui serait content). Dans moins de 50 ans, nous serons le pays le plus peuplé d'Europe, bon. Ensuite, on nous explique que la France est un pays heureux, dynamique, confiant dans l'avenir! Pardon? Oui, un pays qui évolue rapidement et qui renonce à ses vieilles certitudes en hochant les épaules. M'étant bêtement imaginé le Français morose, grincheux, inquiet de l'avenir, à la fois conservateur et émeutier (dès les beaux jours), je me frotte les yeux.
Quelques chiffres:
51%: c'est la part de la population de la France qui se dit catholique, contre 62 % il y a quatre ans. 50%: c'est la proportion d'enfants nés hors mariage. 35 000: c'est le nombre de divorces prononcés l'année dernière (2 fois plus qu'il y a 25 ans). Enfin, ajoute l'auteur avec humour, 24: c'est "le nombre d'enfants ayant des parents divorcés dans la classe de ma fille de 12, sur un total de 30 élèves". (A ce moment-là, un souci d'ailleurs mineur: l'article étant signé John Lichfield, je me demande si John peut être un prénom maternel).
Ca veut dire quoi, tout cela? Les sociologues considérant la progression de l'espérance de vie et un fort taux de natalité comme des indices de la satisfaction et de la confiance en soi d'une société, on ne sait plus trop quoi penser. "Le plus étonnant, écrit John Lichfield, c'est que lorsqu'on interroge les Français, ils prévoient majoritairement un avenir désastreux pour leur pays, menacé par la mondialisation, par une Europe toujours plus tentaculaire, par l'immigration, par la fiscalité, par l'ultralibéralisme et le réchauffement climatique. En revanche, ils sont bien plus positifs quand on les interroge sur leur vie personnelle".
La moitié des enfants français naissent hors mariage (même si les mères célibataires restent rares): les Français se mettent en couple sans se soucier du mariage, signe de l'effondrement de l'influence de l'Eglise catholique. Le taux de divorce progresse rapidement: un mariage sur deux débouche sur un divorce. Et John Lichfield de conclure: si, en termes de comportements sociaux, la France est loin d'être un pays immobile, de nombreux Français restent obstinément opposés, voire réfractaires, aux changements économiques et politiques. Paradoxe: le pays est plus conservateur à gauche qu'à droite. Bref, la France doute de son avenir mais fait tout pour s'en (pro)créer un.
Selon Pamela Druckerman de The Observer, "contrairement aux Anglo-Saxonnes, les Françaises d'âge mûr continuent d'avoir une vie sexuelle épanouie" (1). La raison? Les normes sociales et sexuelles seraient plus contraignantes en Angleterre et aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis, l'adultère est une faute qui se paie cher; en France, c'est "un aléa inhérent au mariage, qu'il vaut mieux gérer par le secret ou par le pardon". Selon Ruth Sutherland de The Guardian, "en Grande-Bretagne, passé 40 ans, la plupart des femmes succombent au style mamie. En France, elles continuent à cultiver l'élégance, quitte à devenir esclaves de l'apparence". Enfin, selon Edward Coly de The Washington Post, "la France assure le renouvellement des générations grâce à une politique familiale généreuse tandis que le reste de l'Europe lutte contre la dénatalité" (2).
A ce concert de louanges, l'historienne Zoe Williams apporte un bémol dans The Guardian: tous ces livres qui encensent des Françaises (Carla Bruni, Rachida Dati, Rama Yade, Valérie Pécresse ou Ségolène Royal) ne font que perpétuer un discours sexiste! Et elle s'interroge: "Pourquoi les femmes politiques françaises sont-elles aussi belles? Où sont les moches?"
Peut-être la France est-elle restée ce pays où, malgré tout, le dialogue entre les sexes n'est pas rompu. Cocorico?
(1) Selon une étude réalisée en 2004 par un des observatoires régionaux de la santé, seuls 15% des Françaises âgées de 50 à 59 ans et 27% de celles âgées de 60 à 69 ans n'avaient eu aucune relation sexuelle au cours de l'année écoulée. A titre de comparasion, une étude réalisée récemment pour The Observer donnait des taux de 34% et 54% pour ces deux classes d'âge.
(2) Plus de la moitié des petits Français âgés de moins de 3 ans sont accueillis dans des crèches financées par les fonds publics.