30 décembre
Trois romans de Russell Banks en poche d'un coup, sous coffret, quelle aubaine! Ce sont: "Sous le règne de Bone", "De beaux lendemains" ("The Sweat hereafter", joli titre) et "American Darling" ("The Darling"), à mon goût le meilleur des trois. Oui, je sais, il y a débat, en France où il a le plus grand nombre de lecteurs et où certains s'interrogent: Russell Banks n'est-il pas en train de devenir un auteur bankable, c'est à dire prometteur, et même un peu trop... vous voyez... commercial, quoi!
Peut-être. N'empêche, de temps en temps, ça fait du bien de lire un auteur qui réconcilie habilement la politique et le roman, la littérature et l'émotion, l'aventure et les idées, comme faisaient les anciens, Hemingway, Orwell ou Graham Green. Russell Banks est de surcroît un critique passionné de l'Amérique, éperdûment américain, mais tout aussi curieux de l'Europe et du monde. Et puis, dans la vie, c'est un homme aimable, élégant, cool au moins en apparence.
"American Darling" (2004): peut-être l'un de ses meilleurs romans. On est transportés en Afrique noire, au Libéria, dans les années 70. (Les guerres civiles, c'est excellent pour la poésie, d'Aggrippa d'Aubigné à Lorca, de Ronsard à Neruda! Difficile à admettre mais c'est ainsi, au moins en France: les guerres de religions, la Fronde, la Révolution ou même l'Occupation ont été les époques les plus fécondes). De la fièvre, des fumées, de l''histoire. Le sexe est là aussi et les destins qui se croisent comme dans une tragédie antique sur un air de Jimi Hendrix. Tout est vu par les yeux d'une femme de 59 ans, de gauche mais très comme il faut, qui se souvient des engagements de sa jeunesse. Ca pourrait être assommant, c''est captivant de devenir cette femme-là.
Banks décrit bien la séduction de l'Afrique, ce mélange de sagesse et de barbarie, mais son vrai sujet, c'est l'Amérique. D'ailleurs, son modèle, c'est "Huckleberry Finn" de Mark Twain. Pourquoi? Parce qu'à trvaers la longue errance d'un petit orphelin et d'un nègre analphabète, ave des mots qui sont les leurs (pas dans une langue noble), Mark Twain nous conte la genèse violente d'une nation. L'Amérique, dit-il, c'est depuis l'origine "une histoire de races."
Voilà en tous cas quelqu'un qui redonne tout son sens au mot: romanesque. Tout à déjà eu lieu de la catastrophe et chaque destinée s'accomplit, comme s'il n'y avait pas d'autre monde possible, comme s'il y avait une sorte de perfection dans ce qui doit advenir.. Dans une interview pour "Le Point" l'an dernier, Russell Banks m'avait dit: "Quand c'est incompréhensible, il faut raconter une histoire. Même Socrate faisait pareil!" Il ne doute pas de la faculté des romanciers à traduire dans une fiction la complexité du monde où nous vivons.
Russell Banks s'attache à ne pas rompre le pacte aventureux qui le lie au lecteur: il écrit des romans d'évasion, presque des romans de gare, lestés par de l'histoire et du destin. Des écrivains aussi différents que Duras, Somerset Maugham ou encore Malraux et Camus (avec lesquels, je ne sais pourquoi, je lui trouve une obscure filiation) ont connu le succès avec en gros les mêmes ingrédients. Est-ce la raison du dédain qu'il suscite chez certains petits snipers poudrés.
SANS POUDRE ET SANS REPROCHE
Le nègre est toujours analphabète, qui devine sans problème que tout est dans l'Aleph et qu'il est inutile de s'emplafonner une injection aux solvants de poussière en gravant des adjectifs pseudos-réels mais, en fait, totalement surréalistes, sur les battements de paupière que l'air étouffant du large enivre aussi bien qu'une sucette à la méthédrine non synthétisée. L'incompréhensible règne sans conséquence et en total épanouissement, n'en déplaise aux névrosées des chiffres abscons pour qui les mathématiques libidinales renvoient toujours aux calendriers grecs ou aux idées de Mars, volonté téméraire des rois qui pataugent dans la semoule de couscous aromatisée à la salsa flamboyante que le sel dépose sur les plaies. Se déchirent les griffes des parcs d'attraction quand, d'un coup de baguette magique, la fée électricité réinvente le chauffage glacial à la mousse de coriandre, laissant poindre la libido des virginités d'autre part bien qu'ici, une émulsion sur un téton, un riff de Telecaster sur un contrepoint de slow death, la flamboyance du groove en arpège des clefs de voûte que repeint en permanence le mouvement des balances sans overdub. Puzzle complet, un fragment d'abondance sourit devant les mines imaginaires qui tracent des rotondités symphoniquement silencieuses de leurs yeux abasourdis par le toucher polarisé des mots qu'une grenouille atomique laisse essaimer sur un nuage de vapeur transgénique, histoire de lancer un téléphérique souterrain sur les pentes planes d'une journée sans souci.
Rédigé par : gmc | 30/12/2008 à 08:33
Je devrais éviter de lire tous les commentaires, j'ai déjà l'impression d'être sur le blog d'Assouline...
Décidément je sors de chez ma libraire qui me disait elle aussi ce matin tout le bien qu'elle en pensait ; à ma prochaine escapade je verrai ce que je peux faire pour lui.
Rédigé par : Loïs de Murphy | 30/12/2008 à 13:33
Quelle belle surprise, ce blog !
Rédigé par : ecaterina | 30/12/2008 à 14:47
Graham Green !!!Oh!!!! Graham Greene
Bravo quand même pour ce blog...
Rédigé par : Musique | 30/12/2008 à 16:56
Oups, sorry! Je devrais pourtant savoir qu'en Angleterre, quand les Green sont de bons écrivains, ils gagnent un "e".
Rédigé par : Frederic ferney | 30/12/2008 à 17:49
Je ne le connaissais pas et compte tenu des ses affiliations vous me convier à faire un tour en librairie.
Et comme je suis sobre encore j'en ajouterai un qui pourrait aussi être dans ce contexte :
"Some people never go crazy, What truly horrible lives they must live." C. Bukowski
Votre billet est enthousiasmant. Même un ilote aurait envie de lire. Et j'espère que chacun a ses lunettes...
Et gente damoiseau qui parlâte si beau...je finis l'année avec notre vieux frère...Alcofribas
"...Leur manière de vivre estoit telle. La chair Lucifer commençant apparoistre sus terre, ils s'entrebottoient,
et esperonnoient l'un l'autre, par charité. Ainsi bottez et esperonnez dormoient, ou ronfloient pour le moins :
c'est dormants avoient bezicles au nez, ou lunettes pour pire..."Ed. Pléiade page 789. (Je n'ai jamais pu le lire
en une seule traite !)
Tous mes vœux et se joindrait un ami "Le Poisson-scorpion ".
Rédigé par : Sylvaine Vaucher | 30/12/2008 à 20:00
J'aime votre "?". Et votre enthousiasme pour Russel Banks. Et votre façon d'en parler. Votre blog me plaît bien ! J'en redemande...
Rédigé par : Majuscule | 31/12/2008 à 07:18
J'aime Russell Banks dont j'ai lu deux des trois ouvrages de votre coffret, "American Darling" et "De beaux lendemains", à l'époque de sa première sortie chez Acte Sud, il y a quelques lointaines années déjà.
J'y avais adoré sa capacité à alterner les points de vu les plus disparates sur un même drame universel, la perte d'un enfant (enfin plusieurs) et surtout, son humanisme.
"American Darling" a pâtis quelque peu de ma lecture antérieur d'"Accouplement" de Norman Rush, au sujet si proche et si lointain à la fois. C'est le risque des associations et des comparaisons, cela se termine par un petit préféré.
Néanmoins, American Darling reste un vrai plaisir, une subtile approche comparative, et Russell Banks un observateur de son époque auquel je prêterai toujours mes deux yeux et oreilles.
yG
Rédigé par : yannick G | 03/01/2009 à 17:34
Plutôt Tom Sawyer que Huckleberry Finn ...
Rédigé par : annemarie | 03/01/2009 à 21:29
Je ne lis pas les revues littéraires et n'ai pas la moindre idée du genre de sniper qui se paye le luxe de dézinguer Russel Banks.
C'est un ami qui pour la première fois m'a parlé de cet auteur, en m'expliquant que Pourfendeur de nuages était son roman préféré. Je l'ai lu, avec peine au début, puis passionnément. Banks m'a contrainte à voir en moi des choses que je ne soupçonnais pas et dont j'ai eu honte : il est de ceux qui parlent de l'amérique et vous parlent en même temps de vous mêmes, vous plonge en vous, vous torture, vous contraint à voir votre propre noirceur.
C'est un immense conteur de l'amérique, des rapports de race, de la manière dont ces rapports sont le fondement même de la société américaine, toute plongée dans ses contradictions : liberté/esclavage, égalité/discrimination, idéaux/capitalisme.
C'est immense, magnifique, superbement écrit.
Je sais que le goût est une affaire subjective, mais ceux qui se donnent le droit de le haïr doivent être de petits péquenots prétentieux...
Rédigé par : Daniela Quelhas | 06/01/2009 à 10:34
Je ne sais pas s'il deviens trop quoi que ce soit, mais en tout cas, il y a longtemps que j'ai envie de lire cet auteur. C'est peut-être l'occasion, surtout qu'Huckleberry Finn est une de mes grosses révélation de l'année.
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