21 janvier
Revu: "Tout sur ma mère " de Pedro Almodovar (sur Ciné-Cinémas). Il est des films qu'on aime comme si c'était des livres, comme si c'était des romans. C'en est un exemple. Il y en a d'autres: "La Nuit du chasseur" de Charles Laughton, "The Music Room" de Satyajit Ray", tout Ozu, je ne vais pas vous imposer la litanie de mes préférences. Je ne vais pas non plus me justifier en zézayant comme Godard: le cinéma, c'est aussi une écriture, une grammaire, ce n'est pas cela que je veux dire. Je parle d'un lien mystérieux aussi fort que si c'était de l'encre. Ca ne vous quitte jamais complètement, ça réaffleure toujours, on l'oublie, et puis ça vous remord comme une épine.
Une mère célibataire, un enfant mort, une transsexuellle, une innocente jeune fille qui attend un bébé. Almodovar n'a pas froid aux yeux, il n'a pas peur de prendre le toro par les cornes; il sait que la pureté n'est pas toujours là où on croit, et qu'elle est dangereuse. Il sait l'âpreté des vains combats. Il n'a pas peur de montrer le pire de la douleur, comme le ferait un petit Sophocle ("petit" est bonificateur en français). Il filme une transplantation cardiaque comme une scène d'amour. Il dit la perte et les pleurs, et aussi le miracle d'une naissance, les retrouvailles avec la beauté d'un jour. Et l'on pense au "Conte d'hiver" ou à "La Nuit des Rois".
Comment définir son style? C'est un réalime enchanté qui alterne la crudité et les larmes, avec une sorte de dégueulasserie inhérente à la vie qu'il ne craint pas d'exhiber, mais aussi une idée de la douceur, des mains froides sur un front brûlant de fièvre, de très humaines chimères, qu'on soit homme, femme, transsexuelle, enfant ou prêtre. Il part du deuil; il puise de la beauté dans la laideur. Oui, il ne craint pas d'embellir ce qui est moche, ce qui est triste sans le nier, pour en extraire un éclat de vérité.
C'est un artiste qui fait comédie de la vilénie des choses, Almodovar, il la transcende, il la rend sensible, il la rend plus que réelle, à la limite (largement franchie) du mélo et à la lisière du fantastique. Il montre aussi que la sainteté et la cruauté, ça se touche - on sait cela en Espagne. Bref, je m'étonne du long acharnement à tenir pour baroque un cinéaste à ce point classique (*). La musique du film, déchirante mélopée mi-tango mi-cante jondo, est une des plus belles qui soit.
(*) Ma définition: Est classique ce qui donne envie d'être imité et ne peut l'être.
J'aime tout Almodovar, mais je crois que mon préféré est celui-ci ! je l'ai vu 5 fois au moment de sa sortie au cinéma, et j'ai appelé mon fils Esteban... Mais La mauvaise éducation arrive juste derrière, avec le temps, il se bonifie Almodovar !
Et souvent la musique joue un grand rôle dans ses films, et là, avec Dino Saluzzi, il a frappé très fort !
Rédigé par : zimbo | 21/01/2009 à 09:21
Les vieillards s'admirant dans l'eau
J'ai entendu les vieux vieillards
Dire " tout passe,
L'un après l'autre nous coulons ".
Leurs mains étaient des griffes
Et leurs genoux tordus
Comme les vieux arbres d'épines
Au bord de l'eau.
J'ai entendu les vieux vieillards
Dire " tout ce qui est beau
S'en va à la dérive
Ainsi que l'eau ".
William Butler YEATS
Bien à vous Frédéric Ferney.
Rédigé par : Céline | 21/01/2009 à 09:23
J'ai une anecdote sur ce film, je l'ai passé plusieurs fois en classe à des lycéens du temps où j'étais prof d'espagnol. En première s, un élève m'interpelle : je peux pas regarder ce film, madame! Moi : pourquoi? Lui : parce que c'est un film de tapette, m'dame. Je ne sais plus exactement ce que j'ai répondu mais je l'ai obligé à regarder le film, à la fin il était ému et j'ai senti que son regard avait changé. Bravo Almodovar!
PS : je vous conseille le resto AlmodoBar dans le 17EME, avec un décor en hommage au cinéaste et un accueil chaleureux...
Rédigé par : ororea | 21/01/2009 à 11:31
Bonjour,
La collection de poche "La Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma" propose le scénario en version bilingue.
Ne parlant pas l'espagnol, j'ai commencé à en lire la version française. Au fur et à mesure, j'ai été de plus en plus curieuse de jeter un coup d'oeil sur le texte espagnol.
Un nouveau plaisir de lecture qui m'a fait faire un beau voyage dans l'univers - si étranger, si attrayant - d'Almodovar.
Rédigé par : Valérie | 21/01/2009 à 12:26
Almodovar est un artiste à part entière, un poète, parce qu'il impose un univers singulier, original, qui lui est propre et qui pourtant nous renvoie à nos obsessions, à nos peurs, à nos fantasmes. Comme les plus grands cinéastes et écrivains, il mèle les thèmes légers et graves, la mort et le désir, la folie et la perversion, l'enfance et la vieillesse, la bas et le haut, le pur et m'impur. Il y a aussi dans ses oeuvres un onirisme fabuleux, d'une audace incroyable. Ce qui chez d'autres serait ridicule et prêterait à sourire prend chez lui une autre dimension et fait sens. N'est-ce pas cela le talent ? Et puis, ses femmes sont belles, douces et vulgaires, mère et putains, soeurs et amantes ; il y a en elles une force qui inspire le respect. Il est sans conteste le cinéaste des femmes ; tous ceux qui l'ont dit ont bien raison. Mais ses personnages d'hommes sont également beaux parce qu'ils sont fragiles, parce qu'ils assument leur sensibilité, et surtout parce qu'ils osent pleurer. En fait, à bien y réflechir, des films d'Almodovar je garde cette image qui toujours me bouleverse : celle d'un homme qui pleure, qui pleure en gros plan...
Rédigé par : Franck Bellucci | 21/01/2009 à 12:28
Antonio Machado aurait répondu à Yeats "tout passe ET tout demeure"...que la poésie bien vivante de Lorca n'aurait pas renié ... lui qui savait aussi bien causer du Duende dans ses fameuses conférences. Le Duende ni l'épreuve de la Beauté n'ont d'âge. Pourquoi toujours présenter la vie comme une leçon incomprise ; on peut bien se passionner pour ce qui incite la vie sans pour autant en être l'éternelle victime. Almodovar est aimable justement parce qu'il ne fait pas la leçon et s'accepte humainement et tout autre humain avec. Il chante la Colombe ou les larmes de Purcell, il frappe du talon et expose par le menu ses crises de nerfs hautes en couleur, ses plongées dans les entrailles des femmes, leur quotidien, leur cinéma, émouvant de banal et fantaisiste anonymat.
Je ne l'aime pas comme j'aime Ozu dont le sens du sacré dans ses films est une brise ou une femme à genoux mais je reconnais à Almodovar de savoir s'intéresser à l'autre en l'intéressant aux autres, capable de vous assoir à la terrasse impromptue d'un bistro sous la pluie et vous entretenir des facéties de sa grand-mère ou de la confection d'une crème joyeuse pour rajeunir, à base d'huiles essentielles. Si les poètes étaient complètement détachés de ce monde pourquoi éprouveraient-ils le besoin de chanter, de communier avec le monde en feu et à sang, de reconnaître en chacun la capacité de beauté, sans besoin de chasser d'une pichenaude les émotions qui traversent la vie d'un être humain qu'il élève sans jamais rabaisser. Avec l'âge, c'est justement la beauté qui nous reste, tout ce qu'il nous reste à goûter, qu'on peut toujours encore mieux vivre. Almodovar est un cinéaste du désir, il chante ses vibrations les plus vives, n'est-ce pas lui qui mène la vie et qui la dirige loin du dépit narcissique quand il incite à recevoir ce qui est ?
Almodovar me touche autrement que les cinéastes russes ou asiatiques, il m'est moins indispensable, mais c'est le seul qui rend si vivace la fleur de nos secrets, qui rend hommage à la midinette, comme dans les Bas-Fonds de Gorki et Kurosawa, que la jeune femme qui ment sa vie, faute d'en avoir eu une qui vaille son souci, en rappelant par la voix d'un vieux sage qu'il ne faut surtout pas la démentir ni la contrarier dans son délire, car, pour elle, ses rêves sont ce qui lui restent de ce qu'elle n'a pas su vivre ; c'est le seul qui n'intellectualise pas la beauté. Chez lui rien ne nous ai interdit de rêver, d'un rêve libre et sans moral, et sans qu'on s'en rende compte il nous approche de l'absolu, de ce qui est dans toute sa splendeur, ce qui est qu'on ne nous demande plus de vivre que dans de vieux livres empoussiérés d'or fin et invisible.
Rédigé par : ardente patience | 21/01/2009 à 13:14
rayé "que" devant la jeune femme qui ment sa vie
et mille excuses pour mes coquilles.
Rédigé par : ardente patience | 21/01/2009 à 13:23
A propos d'ALMODOVAR.
Me revient, à vous lire (aujourd'hui, c'est mieux que des commentaires, ça relance!) une phrase du metteur en scène allemand Klaus Michael Grüber: "...il faut que le théâtre passe à travers les larmes" (le théâtre étant le lieu où l'on observe comment le sacré résiste au sacrilège).
C'est un peu ça, le cinéma d'Almodovar, pour moi.
Ozu filmait avec sa caméra Mitchell à genoux, à hauteur d'homme. Lui, Almodovar, on ne sait pas s'il rue ou s'il s'agenouille.
Il filme les femmes comme des reines en armure.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 21/01/2009 à 14:45
CINEMA DES HAUTEURS
La femme est toujours
Une reine en armure
Qui porte un enfant
Dans les voiles de ses ramures
Les narcisses ne sont femmes
Que par la chance
D'un reflet dans l'eau
Qui fleurit les organes
Quand le miroir se brise
La femme est nue
Près du feu qui la berce
Dans un souffle prégnant
Rédigé par : gmc | 21/01/2009 à 15:01
http://www.dailymotion.com/relevance/search/almodovar/video/x2hnze_tout-sur-ma-mre-part-2_shortfilms
Rédigé par : Odile | 21/01/2009 à 16:01
Et bien moi qui croyait avoir vu tous ses films...j'ai découvert et vu à la fois...il y a quelques jours à la télé....celui-ci :
Kika sorti en 1993.
Synopsis
Kika (Veronica Forqué) est en couple avec Ramon, un photographe voyeur. Elle le trompe avec Nicholas, beau-père de Ramon (Peter Coyote). Il y a aussi Juana, la femme de ménage de Kika (Rossy de Palma) qui est amoureuse de Kika ..., et dont le frère, Pablo, acteur de films porno, sort subitement de prison. Tout ce petit monde est secrètement filmé par Andréa Balafrée (Victoria Abril) journaliste de choc pour son émission en direct, «Le Pire du jour».
Un Coyote et une Abril énigmatiques et implacables.
Autrement rien à ajouter sur la belle description de ce pervers tendre dont je suis une inconditionnelle, et aussi de la belle description @ardente patience.
Rédigé par : Sylvaine | 21/01/2009 à 16:55
On pourrait imaginer un immense tableau peint...
couleurs insolentes,exubérantes, couleurs de la passion, du feu, du sang, de la volupté,mélange de Picasso et de Vélasquez, un festin pour les sens.
Une oeuvre d'art sur un solide châssis, toile lin et coton, rudesse et douceur, imprégnée de colle de peau et de blanc d'espagne,une caméra pinceau.
Almodovar sculpteur de lumière, artiste roi au milieu de ses femmes à modeler.
Rédigé par : Anne B | 21/01/2009 à 17:36
"Tout passe ET tout demeure"
c'est un état d'esprit, ça.
On ne peut pas demander l'Impossible quand ce n'est pas Possible.
La vie, ce n'est parfois "plus du cinéma" ardente patience. Je vais demander à mon amie, morte en octobre dernier, si elle a compris pourquoi Elle...
et je vais me mettre à l'écriture du poème qu'elle n'a pas eu le temps d'écrire. On en fera peut-être un film.
Rédigé par : Alistrid | 21/01/2009 à 18:07
"qu'ils élèvent" sans jamais rabaisser. Il faut que je me relise mieux.
*
Je relis votre billet, il y aurait eu beaucoup à dire (je bavasse tout au plus) mais j'ai réagi à Yeats (que j'apprécie par ailleurs, qu'il ne m'en tienne rigueur !)et l'heure est déjà passer à d'autres billets. J'approuve, cependant ; Almodovar filme ses personnages avec une certaine ferveur, une empathie ultra-sensible, comme un qui se fait plus petit, grandissant ces femmes et ces hommes empêtrés dans les vicissitudes de l'existence. C'est vrai, l'émotion, cette étreinte, que provoque Almodovar est comme un aiguillon. Une douleur cependant qui régénère, on ressort plus vivant de ces histoires (absorbantes).
(juste comme ça, c'est beau aussi comment avec une loupe Kurosawa filmait ses acteurs de loin, pour les rendre plus libres de leurs mouvements, pour que nous puissions mieux les voir de près)
Rédigé par : ardente patience | 21/01/2009 à 21:35
Bonjour Alistrid,
Qui demande l'impossible ? Qui est on ?
Je parlais de la Beauté (qui nous survit, peut-être), Machado a bien laissé son poème dans la mémoire des hommes, pareillement à Ilarie Voronca, par exemple, qui pensait mourir sans qu'on réclame son cadavre, sans laisser de traces. Force est de constater que ce qui animait ces poètes est si vivant que cela vibre encore, que cela parle encore. Quand je lis un poème d'Omar Khayyam écrit au 14ème siècle dont le souffle s'incarne toujours avec tant de force et de justesse aujourd'hui, j'appelle Eternité ce lien d'un homme aux hommes qui perdure et que nous offre la beauté.
Je laisse les morts enterrer les morts, et choisis la vie. Je garde bien vivant le souvenir de ceux que j'aime dans mon coeur, ce tombeau pleins d'interrogations vives.
Pour finir, ce que je dis me viens comme je sens, je n'ai pas encore édifié de théorie sur la vie et me nourris aussi bien de mes contradictions.
A propos de cinéma, je songe à Wilde lorsqu'il disait que la vie imitait l'art et non le contraire; souvent j'adhère à l'évidence de ses propos raffinés.
Rédigé par : ardente patience | 21/01/2009 à 21:56
Et est-ce qu'il n'arrive pas pour certains films comme pour des romans qu'on aime et qui nous laissent un souvenir impérissable, une sorte de petite mort à vouloir les revisiter : on plante le dvd au bout de 10 mn ou le livre nous tombe des mains. Qu'est-ce qui a changé en nous pour qu'on soit incapable de retrouver ce souvenir, cet état qui nous imprègne encore pourtant tellement et qu'on se réjouissait de retrouver? Parfois des choses idiotes, on s'est accoutumé à un autre style, parfois des choses profondes, une innocence perdue, une réalité vécue qui empêche l'imaginaire de reconstruire, avec trop peu de données, celles qui avaient pourtant suffi la première fois.
D'autres fois, sans le vouloir, on se dit "tiens ce livre là, c'est quoi la première phrase, pour voir, souvent il s'est couché de bonne heure, ou il s'est levé de bonne heure?" et pffft on relit. Ou un film qu'on a en dvd, qu'on peut regarder quand on veut et qui passe un soir à la télé, on se dit c'est idiot, on va regarder une autre chaine ou se coucher de bonne heure justement, et pfff on ne peut pas décrocher.
Après l'abyssinie, on est toujours dans une sorte d'invitation au voyage, il est des films qui sont comme des livres : "Tout y parlerait, À l'âme en secret, Sa douce langue natale.
Rédigé par : mme petit poisson | 21/01/2009 à 22:35
mme petit poisson,
Toute la difficulté est de retrouver ce moment "irremplaçable" de la première fois !
Rédigé par : Anne B | 21/01/2009 à 23:18
Bonsoir ardente patience
"on ressort plus vivant de ces histoires"... qui est(-)on ?
Rédigé par : Alistrid | 22/01/2009 à 05:41
"Parle avec elle" d'Almodovar , le meilleur de ses fils à mon (non) humble avis.
La cruauté: l'absence de mots ?
Rédigé par : Nadege Vidal | 22/01/2009 à 07:04
Ce Jeudi soir, sur Arte, "Habla con ella". A ver de nuevo.
http://television.telerama.fr/tele/emission.php?id=11668936
Rédigé par : Jean-Louis B. | 22/01/2009 à 10:08
"Parle avec elle" est, je crois, son plus beau film
Rédigé par : Nadege Vidal | 23/01/2009 à 06:18
Voilà ce que c'est quand on veut faire le malin : "hablE con ella" et non pas "hablA con ella". Aïe aïe aïe mon espagnol fout le camp... avec le temps...
N'empêche, un superbe film que celui-là, en effet Nadège.
PS : et je viens de découvrir que le roman de Schlink "Le liseur" avait été adapté au cinéma ? Mieux vaut tard que jamais !
http://jgagne.blogspot.com/2008/12/le-liseur-de-stephen-daldry.html
Rédigé par : Jean-Louis B. | 23/01/2009 à 12:54
Hi I am so excited I found your wtsbiee, I really found you by mistake, while I was looking on Bing for something else, Nonetheless I am here now and would just like to say thanks for a tremendous post and a all round entertaining blog (I also love the theme/design), I don’t have time to read through it all at the minute but I have book-marked it and also added your RSS feeds, so when I have time I will be back to read much more, Please do keep up the superb job.
Rédigé par : Nisrinna | 13/04/2012 à 10:34