17 janvier
Lu par devoir (pour l'émission "Jeu d'épreuves" de Joseph Macé-Scaron, sur France-Culture): "Seul dans le noir" de Paul AUSTER, Actes-Sud).
C'est toujours un peu "Un Américain à Paris", Paul Auster, 61 ans, grand, mince, séduisant, un peu bellâtre mais sympa, genre vieux basketteur californien qui se maintient en forme, bien qu'il soit natif de Newark, New Jersey, c'est à dire de New York. Il parle notre langue, il aime la France, il a même traduit jadis André Du Bouchet et Jacques Dupin, de la poésie, c'est dire. Ce n'est pas un de ces aventuriers hirsutes qui aurait été mousse, coureur des bois, reporter de guerre, employé du téléphone, marchand de peaux de lapin, crieur de journaux, à la mode de l'Ouest; il a étudié la littérature et les langues romanes à Columbia, même s'il a un peu glandé sur un pétrolier dans les années 70 pour parfaire sa formation. Il est marié avec la romancière Siri Hustvedt, qui est sa seconde femme; il a deux enfants, je crois. C'était ma séquence: "People".
Ce qui me frappe dans ce roman, c'est combien, plus que jamais, l'auteur de "Moon Palace" et de la "Trilogie new-yorkaise", est obsédé par les aléas, les contingences, les hasards qui font basculer une existence, subie ou rêvée, dans le chaos. Ses héros sont le plus souvent hagards, dépossédés, sortis des rails. Ils ont perdu un amour, une famille, une carrière, ils y gagnent parfois une destinée. Seraient-ils autrement devenus des personnages de roman? Non, ce sont les circonstances qui décident. Ils sont les jouets de forces qui les dépassent: le désir, la mémoire, la peur, la guerre.
Cette fois, hélas, Auster a peut-être poussé le bouchon un peu loin. Tableau de famille. Voici August Brill, critique littéraire à la retraite, insomniaque, malade de solitude - il ne se remet pas de la mort de sa femme Sonia. Après un grave accident de voiture, il s'installe dans le Vermont, chez sa fille Myriam. Myriam est elle-même dévastée par un divorce pourtant ancien; elle recueille sa fille, Katya, malade de culpabilité après la mort d'un fiancé qu'elle croit avoir poussé à s'engager en Irak. Trois personnages, trois générations: le tableau de famille est irrémédiable, funèbre et un brin névrotique. Aucun doute: nous sommes clairement après le choc du 11-Septembre...
Pas du tout! Le 11-Septembre n'a pas eu lieu, ni la Guerre en Irak, nous sommes en pleine guerre civile. Pardon? Oui, comme une nouvelle Guerre de Sécession. Car le monde se dédouble: chaque nuit, August Brill s'invente un alter ego, Owen Brick, errant dans un pays déchiré et ruiné par la guerre. Veut-il se guérir de son cauchemar personnel et familial par un cauchemar collectif? Auster s'amuse - ce n'est peut-être pas le mot - à nous égarer jusqu'au point où on se poserait la question: qu'est-ce qui est réel? Qu'est-ce qui est imaginaire? Et où est le pire?
Sauf qu'on s'en fiche un peu et qu'on peine entrer dans cette fumeuse fantasmagorie. Il y a beaucoup de "Qui suis-je?" et de "Où vais-je?" chez les héros de Paul Auster. C'est peut-être ce qui plaît en France où il a de nombreux adeptes, plus sans doute que Jay MacInerney ou Graham Swift: il a ce sens de l'introspection inquiète dont Rousseau, Benjamin Constant, Gide ou Roland Barthes nous ont donné le goût et qui fait tant sourire les Anglais - crise ou pas crise, eux, savent toujours qui ils sont.
Ce qui est certain, c'est que le livre a été écrit avant l'élection d'Obama, d'où une petite gêne à le lire aujourd'hui. On peut penser que, quoi que fasse le nouveau président, même si beaucoup seront déçus, l'accession au pouvoir suprême de Barrack Obama (dans un pays doté d'une histoire messianique et d'une culture raciale) marque une rupture majeure. Vous allez me dire: "quel rapport?" ou bien "il ne faut pas tout mélanger!" C'est pourtant le risque que prend l'auteur en choisissant pour sujet: son propre pays. Car "Seul dans le noir" n'est rien d'autre qu'une allégorie de l'Amérique d'aujourd'hui.
Je ne suis pas sûr que ce soit encore la bonne, ce n'est pas celle en tous cas qu'on a envie de lire ces jours-ci. Auster n'y peut rien, le pauvre, on dirait qu'il nous tend un vieux miroir brisé et qu'il brasse de vieilles cartes quand Obama incarne une nouvelle donne à la fois réelle et symbolique. Je crains que son roman à cette heure ne puisse rivaliser avec une espérance insensée. Pour le moment, c'est lui qui déçoit.
Je rêve (il est un petit peu tard): "il a un peu glandé"; vous avez écrit "glandé"!
Un roman périmé en quelque sorte, ça doit être difficile à vivre pour l'auteur et à vous "entendre" difficile à lire.
Rédigé par : zelapin | 17/01/2009 à 00:13
C'est un des livres que je lis en ce moment.
Je ne saurais être objective, ni aujourd'hui, ni demain. Je l'aime Paul Auster; Même s'il n'a voulu "daigner lever les yeux sur Moi" au Théatre du Rond-Point des Champs Elysées... (il ne peut pas s'en souvenir !)
Tous ses livres ont une existence parallèle ! (Comprenne qui pourra)
Rédigé par : Alistrid | 17/01/2009 à 06:36
"Pour le moment, c'est lui qui déçoit."
la déception est toujours le fait de celui qui attend et postule comment doit être ce qu'il attend, ce n'est pas le fait de celui qui offre. en clair, la déception n'a rien à voir avec paul auster mais avec les projections anticipatrices de frédéric ferney (qui sont annoncées dès la première ligne "lu par devoir"). ;-)
Rédigé par : gmc | 17/01/2009 à 09:15
Je tombe de ma chaise en vous lisant... votre manque d'objectivité soulignée très justement par gmc ne saurait rendre votre commentaire honnête... Excusez-moi. Comment peut-on lire Paul Auster par devoir? !!!!
Là, c'est vous qui me décevez.
Bonne journée et sans rancune...
Mais tout de même...
Rédigé par : béa du 93 | 17/01/2009 à 10:56
CURE D'AUSTERITE
La musique du hasard commence
Par une trilogie new yorkaise
Fragments du froid dans la tourmente
Au pays des dernières choses
Sur lequel le palais de la lune
Etrenne la musique du hasard
Le Léviathan dévore le carnet rouge
De Monsieur Vertigo égaré
Dans la solitude du labyrinthe
Qui le mène à Tombouctou
Livre des illusions
Avec lesquelles la nuit de l'oracle
Peuple les folies de Brooklyn
Dans le scriptorium
Qui rayonne seul dans le noir
Rédigé par : gmc | 17/01/2009 à 11:11
Dire ce que l'on pense c'est risquer de décevoir ? ciel, incroyable. (rires)
Frédéric Ferney est un être humain, eh oui. Et attendre de lui qu'il soit parfait en tout, me fait aussi tomber de ma chaise. Comme quoi, attention aux chutes !
Bonne journée à tous !!
Rédigé par : Odile | 17/01/2009 à 11:22
Cher Gmc,
Faut-il que l'affaire soit grave pour que vous renonciez à nous écrire un poème! Vous avez raison: "je" suis déçu. J'ai beaucoup aimé les premiers livres de Paul Auster: "la "Trilogie", "Moon Palace", "La Musique du hasard" et "Le Conte de Noël d'Augie Wren". J'ai décroché à partir de "Leviathan" (1993). Du dépit amoureux? Oui, on est déçu quand la réalité nous donne tort. Pour ne pas l'être, il faudrait vouloir ne plus aimer ou, au contraire, n'être que puissance et amour (Dieu?). J'accepte ma finitude (pardon pour ce gros mot): j'ai cessé d'espérer n'être jamais déçu.
Je vous épargne un couplet sur l'Urinoir de Duchamp, la déception comme faisant partie de l'émotion esthétique devant l'objet d'art contemporain...
Merci pour votre exigence.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 17/01/2009 à 11:42
Vous n'êtes pas Dieu? Tain, c'est le jour des déceptions aujourd'hui...
"Partir, pâtir puis mourir
l'homme se conjugue au finitif"
Rédigé par : ororea | 17/01/2009 à 12:07
Tiens,moi aussi j'ai décroché à partir de "Léviathan"!
Lu parce que tout le monde le lisait autour de moi, et puis je suis curieuse...
Paul Auster veut-il explorer la face cachée de l'âme humaine ? (Certains parlent d'un lien avec Kafka, Bof!).
Trop glauque pour moi !
Anne
Rédigé par : Anne B | 17/01/2009 à 12:39
lol, ff, il y a un poème, vous ne le voyez pas?
Rédigé par : gmc | 17/01/2009 à 13:35
En passant : quand on lit Auster (en français), ne pas oublier de rendre hommage à sa traductrice, Christine Le Boeuf, pour son travail remarquable.
Rédigé par : Christophe Borhen | 17/01/2009 à 13:37
En passant : quand on lit Auster (en français), ne pas oublier de rendre hommage à sa traductrice, Christine Le Boeuf, pour son travail remarquable.
Rédigé par : Christophe Borhen | 17/01/2009 à 13:38
Chère Bea,
Vous ne vous êtes pas fait mal au moins? "Lu par devoir": ça veut dire quoi? Il n'y a d'autre difficulté dans le devoir que de le faire. Est-ce honteux?
Un devoir, c'est par définition obligatoire sans être forcé (puisqu'on peut ne pas le faire). Je participe à une émission de radio où l'on va parler du roman d'Auster: je préfère l'avoir lu avant, vous me comprenez. C'est le contraire qui ne serait pas honnête.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 17/01/2009 à 14:00
Cher gmc,
Ah bon, j'ai quand même droit à un poème, je ne l'avais pas lu, pardon!
"Au pays des dernières choses", quel bon titre pour un roman!
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 17/01/2009 à 14:05
Oui, mais Mr Vertigo, non ? Oh, même pas un petit peu ? Et Dans le scriptorium non plus ? Rhôôô... (excusez-moi, je suis comme Alistrid, j'aime les livres de Paul Auster, parce que ça fait schvaoufff quand je suis dedans. Le "schvaoufff" est un terme technique peu usité, je sais)
Rédigé par : Christine Jeanney | 17/01/2009 à 14:06
Quand l'émission de radio ?
Rédigé par : Anne B | 17/01/2009 à 14:57
ff,
mdr, "in the country of last things" est le titre anglais du roman de paul auster traduit en français sous le titre "le voyage d'anna blume"
Rédigé par : gmc | 17/01/2009 à 16:42
"Tiens,moi aussi j'ai décroché à partir de "Léviathan"!"
Parce que vous n'aimez pas les monstres? (flûte, je n'ai aucune chance...)
Rédigé par : ororea | 17/01/2009 à 18:05
Une allégorie des USA ? Non, je ne crois pas… Une allégorie de nous plutôt. Peut-être que vous n'aimez pas ce livre, mais peut-être aussi que vous l'avez lu trop vite… (un peu comme quand on fait ses devoirs, qu'on en a beaucoup, et qu'on relit à toute vitesse sa leçon d'histoire ;-)
Rédigé par : ficelle | 17/01/2009 à 18:45
Mais qu'est-ce quit' prends ! Resaisis-toi.
Rédigé par : Léa | 17/01/2009 à 19:58
Si, si j'aime bien les monstres ...mais je prends mes distances !
Rédigé par : Anne B | 17/01/2009 à 20:31
Oui, ya moins de grossophobie qu'on pourrait croire. Moi je suis adhérente à allegro fortissimo!
Rédigé par : ororea | 17/01/2009 à 21:00
@ Anne B
Selon le programme de France Culture, l'émission aura lieu le samedi 31 janvier à 17:00
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/jeux_epreuves/fiche.php?diffusion_id=69405&pg=avenir
Amicalement
Rédigé par : Valérie | 17/01/2009 à 21:15
Je suis d'accord qu'il vaut mieux se forcer à lire une oeuvre avant une émission de radio comme celle là, plutôt que de débarquer en disant "j'ai pas lu, depuis le Léviathan j'ai plus envie"...Au moins on sait de quoi on cause. Je manque à tous mes devoirs de fan, je ne pourrai pas écouter, je serai là :
http://paris.onvasortir.com/sortie_read.php?Id=106041
Rédigé par : ororea | 17/01/2009 à 21:25
Valérie,
Merci pour l'information !
Cordialement
Anne B
Rédigé par : Anne B | 17/01/2009 à 21:44