20 janvier
Robert COHEN, 52 ans, vit à Cambridge, dans le Massachussetts. Après avoir enseigné à Harvard, il est aujourd'hui en poste à Middlebury College, dans le Vermont. Il a déjà publié quatre romans dont celui-ci, "Ici et maintenant", le premier à paraître en France (chez Joëlle Losfeld). C'est ma découverte de la semaine.
Dès la première scène, dans un avion, entre New York et Houston, j'ai été pris, comme bercé par une chanson familière et douce, comme si la double-vodka avalée par le héros, Samuel Karnisch, faisait effet sur moi. Par la suite, j'ai été tour à tour triste, joyeux, surpris, inquiet ou dubitatif, en même temps que lui. Dans cet avion, Sam rencontre un couple hassidique, Aaron Brenner et sa jeune épouse Magda, il pressent assez vite que... mais non, je ne vais pas vous raconter l'histoire!
C'est un livre écrit avec l'accent vivace de Brooklyn. Robert Cohen ne ramène pas sa fraise à tout bout de champ, il laisse parler librement ses personnages sans les interrompre sans cesse pour donner sa propre opinion au lecteur. Il y a dans ses dialogues un humour fluide, léger et profond, talmudique.
Un exemple (Aaron interroge Sam):
"Vous êtes juif?"
La question était venue du mari, même si je voyais bien que l'épouse attendait elle aussi la réponse. Ce n'était pas exactement une question, pas vraiment, plutôt l'énoncé d'une évidence.
"Pardon?
- Pourquoi est-ce que vous vous excusez? Vous n'avez rien fait de mal. Je vous ai juste demandé si vous êtes juif?
- A moitié, dis-je. Je suis à moitié juif.
-Qu'est-ce que vous vous imaginez, que c'est des mathématiques? Vous êtes juif ou vous ne l'êtes pas.
- Mon père était juif.
- Et votre mère?"
Je fis un faible sourire. "Non.
- Ah."
Second exemple (toujours avec Aaron et Sam):
"- Vous voulez savoir si je suis circoncis, c'est ça? C'est oui.
- Où?
- Oh, dis-je. A l'endroit habituel, j'imagine."
Il fronça les sourcils. "Je voulais dire à l'hôpital ou à la synagogue?
- L'hôpital, je crois.
- Bar-mitsva?
- Non.
- Non? Et quoi d'autre?
- Plein, dis-je. Plein d'autres choses aussi." Ma voix a tendance à devenir aiguë quand je me sens coincé et il s'en rendait peut-être compte".
Pour les auteurs juifs américains qui l'ont précédé, (Philip Roth, Saul Bellow, Allen Ginsberg et les autres, à l'exception peut-être de Bernard Malamud), la question était plutôt: "Le judaïsme, comment en sortir?" N'est-ce pas devenu aujourd'hui: "Comment y rentrer?" Pas tout à fait tout de même. Car si ce beau roman est clairement le récit d'un retour aux sources, d'un apprentissage - celui d'une filiation oubliée ou niée par le héros -, s'il s'achève dans le désert au pied du Mont Sinaï, la fin reste en suspens. Sam rencontre Aneka, qui est demi-juive, comme lui. "Aucune révélation. Aucune voix ne tonne dans le silence, aucune présence ne se cache dans l'ombre. Il est possible que Magda ait eu raison, et qu'il me manque les outils, ou la volonté, pour les trouver. Mais au bout du compte, je ne crois pas qu'ils y soient. Je ne crois pas à ces choses. Mais il n'y a aucun réconfort à ne pas croire. Mais il n'y a aucun réconfort à hésiter entre les deux. Le ciel est un vaste filet, il y manque des mailles".
J'ai oublié de dire que Sam était complètement dépressif, du moins au début du livre: c'est évidemment un des principaux ressorts du comique, comme chez Roth ou Woody Allen. Le titre original du roman, "The Here and Now" suggère une immanence. Est immanent ce qui est intérieur, ce qui demeure en soi. En même temps, il y a chez Sam une capacité d'excès, d'arrachement, de liberté inquiète, qui l'ébranle et le force à scruter le ciel, même s'il est muet. Une phrase résume cette vision très libre et apaisée, à la fois tendre et ironique, humaniste et non-sectaire de la tradition juive, orthodoxe ou non-orthodoxe (même s'il s'agit en l'occurrence de jouer aux courses de chevaux): "Il est parfois plus intéressant de ne pas être trop intelligent et de jouer le jeu". C'est tout le sujet de ce livre. Pas besoin d'être né à Brooklyn.
Je salue le travail du traducteur, Lazare Bitoun, qui est aussi le traducteur préféré de Philip Roth.
Hum, envie de le lire, jamais entendu parler avant.
http://anthropia.blogg.org
Rédigé par : Anthropia | 20/01/2009 à 09:57
Un autre livre sur le judaïsme, passionnant à lire, La lamentation du prépuce de Shalom Auslander ! Je suis une inconditionnelle de la littérature juive (même si je n'apprécie pas l'écriture de Philip Roth, oui oui, ça existe !), de la culture et de l'humour juif. Je vais donc suivre votre conseil de lecture.
Rédigé par : zimbo | 20/01/2009 à 09:57
Par contre, moi j'aime beaucoup l'écriture de Philip Roth, ses descriptions courtes et incisives, son style ironique, abrasif, provocateur ou chaque mot a sa raison d'être.
Une invention verbale qui sous une apparente froideur révèle une réelle chaleur humaine. Roth est "un cas" dans le monde littéraire (Saul Bellow aussi je pense).
C'est vrai qu'il faut saluer son traducteur sans qui on ne pourrait apprécier le talent de l'écrivain.
A découvrir donc Robert Cohen !
Rédigé par : Anne B | 20/01/2009 à 12:00
J moins 2, non ? Je vais le chercher.
( J'aime les yaourts à la framboise, à l'abricot et à la vanille aussi.)
;o)
Rédigé par : Alistrid | 20/01/2009 à 12:09
"( J'aime les yaourts à la framboise, à l'abricot et à la vanille aussi.)"
C'est codé?
Rédigé par : ororea | 20/01/2009 à 12:48
Mais non Ororea, c'est du tac au tac
(Pardon FF)
Rédigé par : Alistrid | 20/01/2009 à 14:24
Mais je vous en prie, vous avez tout à fait le droit de vous parler entre vous, ce n'est pas grave si je ne pige pas tout!
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 20/01/2009 à 14:39
Je croyais qu'Alistrid était invitée à diner chez FF, alors déjà que je ne supportais pas quand Géraldine s'approchait de trop près....;-)
Moi non plus je ne pige pas tout, mais je suis à moitié fada donc ça doit être normal!
Rédigé par : ororea | 20/01/2009 à 20:42
Très drôle... j'imagine bien la scène...:
Arrivés au dessert, Frédéric me propose (donc) un yaourt Bulgare nature (il n'a rien d'autre dans son Frigo).
Soudain, HORREUR ! A la porte, une femme hurle "OUVREZ ou je fais un scandale ! Je sais que tu es là Alistrid ! Rends-moi mon dessert ! ". Frédéric hésite... il attrape le yaourt et file dans la cuisine. Je me cache derrière les rideaux" ...
Rédigé par : Alistrid | 21/01/2009 à 05:58
Et là, la Dulcinée de FF débarque et demande : ce sont qui ces deux harpies, tu les connais? hein euh, moi non, des euh... collègues de travail, romancières, euh...éditrices, comme toi ma chérie...
Rédigé par : ororea | 21/01/2009 à 14:31
Thanks for introducing a little rationality into this daebte.
Rédigé par : Latrice | 19/04/2013 à 07:27