29 janvier
LU: "Simone Weil, le ravissement de la raison", Textes choisis et présentés par Stéphane Barsacq (Editions Points).
On n'entre pas dans Simone Weil, c'est elle qui entre en vous, c'est elle qui vous lit. "Sur un vaisseau qui fait naufrage, la panique vient de ce que tous les gens, et surtout les marins, ne parlent obstinément que la langue des navigations; et nul ne parle la langue des naufrages", écrit sa récente exégète, Christiane Rancé (1). Oui, mais comment expliquer que "la langue des naufrages" devienne un hymne radieux et acquière un accent aussi triomphal? Cette langue, qui lui vient des Grecs, c'est celle de la raison, celle de Platon léchée par la langue de feu des psalmistes; c'est l'arc d'Apollon bandé par les doigts d'Ezéchiel. Simone Weil se récitait le Pater en grec ancien, c'est tout dire.
Etes-vous athée? Aucune importance,vous n'entendrez que mieux sa voix. C'est quelqu'un qui, de très loin, vous dit: tu. Sans jamais prétendre vous convaincre, ni vous convertir. Quelque chose de scandaleux entre le désordre et la clarté. Dans ces parages, il n'y a que Racine mais, chez Racine, l'alexandrin semble être là pour adoucir et le châtiment et le crime, pour consoler de l'inconsolable - il y a trop de douleur, il faut bien ça, un miracle dans la suprématie d'une forme aberrante et belle, pour rester debout, pour continuer à vivre. C'est ça, le tragique! Rien de déprimant, rien de triste, tant c'est l'énergie qui domine.
Simone Weil abolit les soupirs, les larmes - le tragique, c'est au-delà des larmes. Tout ce qui est écrit est vécu et pensé, sans remords ni détour; elle redonne un sens neuf à certains mots: loi, destin, raison, combat, qui sont plus que des mots. N'est-elle pas elle-même par sa vie, qui n'est jamais donnée en exemple, "la preuve que l'absolu n'est pas un mot"? On dirait que Simone Weil chante: "Je meurs", et qu'elle sourit devant les bourreaux. A côté d'elle, Péguy ou Bernanos font figure de tièdes. Seul Pascal peut-être se hisse à cette hauteur-là...
Evidemment, il y a certaines phrases qui restent obscures et pour moi incompréhensibles, à force de pureté. Par exemple, celle-ci: "... J'ai toujours cru que l'instant de la mort est la norme et le but de la vie... C'est l'instant ou pour une fraction infinitésimale du temps la vérité pure, nue, certaine, éternelle entre dans l'âme". Evidemment, il y a ce corps méprisé, masochiste, migraineux, moins un temple qu'une prison - sur ce point, elle n'est ni grecque ni romaine! Evidemment, il y cette impatience amoureuse envers le néant qu'elle appelle Dieu ou le Christ. Mais c'est aussi l'un des noms de la jeunesse: Stéphane Barsacq a raison de le noter, si Sartre ou Bataille ont vieilli, bien ou mal, peu importe, Simone Weil est à jamais une jeune femme de trente ans. Evidemment, aussi, ça fait peur, ce goût du sacrifice, cet enfoncement lucide, ce délire joyeux et rationnel: le travail à la chaîne, le refus de s'alimenter, le don (l'abandon?) de soi jusqu'à l'épuisement, comme si elle avait secrètement honte de ne pas souffrir autant que les victimes des nazis.
Sa position spirituelle est des plus singulières. Outre qu'elle a toujours refusé le sacrement du baptême, Simone Weil reste juive: d'abord, elle ne parle pas de Dieu, elle ne l'a d'ailleurs jamais cherché, elle parle des hommes; ensuite, la charité, elle l'appelle: la justice. Enfin, c'est dans les auteurs antiques, et non pas dans les Evangiles, qu'elle découvre le devoir d'acceptation à la volonté divine sous la forme de l'amor fati des Stoïciens - Marc-Aurèle, entre autres. Elle n'est pas devenue chrétienne, au sens classique: elle a toujours eu "l'impression d'être née à l'intérieur". La pureté, c'est le contraire du dogme: elle s'abstient, elle se tient à côté, à l'écart de l'Eglise.
Les Romains ont vu dans le christianisme originel une "religion d'esclaves". C'est précisément cela qui lui convient: depuis son séjour en usine, dit-elle, "je me suis toujours regardée comme une esclave". Mais, je le répète, le plus troublant, c'est sa façon d'avancer vers l'agonie, roidement, comme une promise marche à l'autel, avec l'oiseau de Minerve sur l'épaule et une croix sur le coeur. Simone Weil veut espérer et agir jusqu'au bout, jusqu'à la limite, et elle pense là même où personne ne peut. "Elle se reposait dans les pensées qui m'ôtaient le repos", dit son ami, le poète Joë Bousquet qui pourtant savait grimper haut sur l'échelle des tourments. Ca la résume infiniment bien.
(1) Christiane Rancé, "Simone Weil, le courage de l'impossible", Paris, Seuil, 2009.
P.S. Je vous recommande aussi: "Chez les Weil, André et Simone" de Sylvie Weil (Buchet-Chastel). Je ne connais pas exactement l'âge de Sylvie Weil mais l'on dirait un livre écrit par une jeune fille, à la fois légère et grave, très sage et très libre. Peut-être parce qu'il a été longtemps tu: mûri, médité, répudié. Quand on est la fille du mathématicien André Weil, co-fondateur du groupe Boubaki (un génie), et la nièce de Simone Weil (une sainte, voir plus haut), ça doit peser lourd sur l'enfance. Comment être soi - comment grandir? On ne rivalise pas avec une Antigone... D'autant que cette jeune morte, Sylvie Weil lui ressemble, au moins physiquement: les mêmes yeux myopes, les mêmes cheveux. Elle le dit: "J'ai grandi dans l'ombre de Simone". Elle s'est sentie parfois comme "le tibia de la sainte", une relique qu'on visite et qu'on touche. Il lui est arrivé plusieurs fois de renier Simone juste pour pouvoir respirer. Elle règle ses comptes en douceur avec cette filiation exclusive et passionnée. Un livre de mémoire et de réconciliation qui a le mérite de peindre Simone Weil parmi les siens, sans son auréole, sans sa gloire posthume, et qui sonne juste. J'ai beaucoup aimé le personnage de la grand-mère, Selma, qui se fait appeler Mime.
La phrase que vous citez ("... J'ai toujours cru que l'instant de la mort est la norme et le but de la vie... C'est l'instant ou pour une fraction infinitésimale du temps la vérité pure, nue, certaine, éternelle entre dans l'âme") semble répondre à celle de Kurt Gödel (cité par Pierre Cassou-Noguès dans les Démons de Gödel) : ” Si le but de l’existence temporelle consiste à mettre en lumière les qualités morales de chaque être (et, en fait, avec la plus grande précision), alors il en est comme de l’approximation d’un point irrationnel par un développement dyadique. [...] La mort est l’instant où se manifeste le caractère exact.” Et à ces réflexions résonnent avec cette phrase de Swâmi Vivekânanda : “Le temps commence avec l’esprit, et l’espace aussi est dans l’esprit. Or, la causalité ne saurait subsister sans le temps, car sans l’idée de succession, il ne peut y avoir aucune idée de causalité. Le temps, l’espace et la causalité sont par conséquent dans l’esprit…”
Je ne pense pas que Simone Weill soit une philosophe au sens commun - ou alors, une philosophe au sens premier tel que la définissait Wittgenstein : "La philosophie est une vocation particulière. On voit la vérité, pourtant l'erreur règne."
Lire Simone Weill est l'un des rares bonheur de l'existence...
Rédigé par : Michel | 29/01/2009 à 08:01
J'en mettrais ma main (gauche) à couper... Après mille et un articles sur Simone Weil, voilà le premier !
(à propos de Sylvie Weil, je vous conseille ardemment la lecture de " À New York il n'y a pas de tremblements de terre ", formidable recueil de nouvelles sur les bas-fonds, la faune de la grande ville (HB Edition, 2002)
Rédigé par : Christophe Borhen | 29/01/2009 à 08:49
J'en mettrais ma main (gauche) à couper... Après mille et un articles sur Simone Weil, voilà le premier !
(à propos de Sylvie Weil, je vous conseille ardemment la lecture de " À New York il n'y a pas de tremblements de terre ", formidable recueil de nouvelles sur les bas-fonds, la faune de la grande ville (HB Edition, 2002)
Rédigé par : Christophe Borhen | 29/01/2009 à 08:50
Simone Weill se jette dans toutes les guerres, tous les combats avec une compassion lucide qui la transforme en guerrière puis en pacifiste, puis guerrière encore et pacifiste à nouveau :"C'est un crime de rendre les hommes tristes"...
"L'homme est un animal social, et le social est le mal"...
Georges Bataille qui l'a bien connue, fait d'elle dans son chef d'oeuvre "Le Bleu Du Ciel", un personnage terrible , et il dit ceci : "Elle séduisait par une autorité très douce et très simple, c'était certainement un être admirable, asexué, avec quelque chose de néfaste, un Don Quichotte qui plaisait par sa lucidité, son pessimisme hardi, et par un courage extrême que l'impossible attirait. Elle avait bien peu d'humour,
pourtant je suis sûr qu'intérieurement, elle était plus félée, plus vivante qu'elle ne le croyait elle même... Je le dis sans vouloir la diminuer, il y avait en elle une merveilleuse volonté d'inanité : c'est peut-être le ressort d'une âpreté géniale, qui rend ses livres si prenants...".
Pénétrant non ?
(ce qui éloigne et rapproche tant S.Weill et G. Bataille c'est la force de la déchirure de leurs récits).
C'est vrai que lire Simone Weille est un pur bonheur...
Rédigé par : Anne B | 29/01/2009 à 09:19
MORDORURE DE PESTILENCE
L'arc d'Apollon
Bandé par les doigts
Gracieux d'Ezechiel
Dévoile les pulps fictions
Au son langoureux
Des lasers dépouilleurs
Qui éradiquent les idées
Malignes de la pureté
Dans de sombres torrents
De flammes noires
Aux bannières étoilées
Par le crash permanent
De supernovae désexcisées
En orbite autour des temples
Fermés au public
Pour cause de névralgies impubères
Et dans la vallée de la mort
S'illuminent les gourgandines
Racoleuses aux venins multiples
Des métamorphes de combat
Les ongles enduits de curare
Les yeux démystifiés
Par la saveur naturelle
Des boules de feu glacées
Qu'on récolte sur les marronniers
Pour le jonglage éperdu
Que de funambules mariniers
Pratiquent en apnée supersonique
Sur les trachées effervescentes
D'une voie lactée
Par les effluves de vers
Avec lesquels le bitume galactique
Enduit des stances incendiaires
Dans les chaudrons frigides
Des dérélictions d'outre-rien
Où de pimpantes héroïnomanes
Vantent les mérites du pop-corn pyrophile
En injection sous-cutanée
Ou en hydratation lourde
Sur les sarments veloutés
Des cyprines à la nitroglycérine
Rédigé par : gmc | 29/01/2009 à 09:46
Pardon pour les deux "L", (et pire le "E"), c'est peut-être inconscient,
"Simone" veille peut-être sur nous !
Rédigé par : Anne B | 29/01/2009 à 10:47
Merci Anne B.,
La citation de Bataille est admirable! Il faut les lire ensemble, ces deux-là, ils s'éclairent l'un par l'autre, par leur "pratique de la joie devant la mort", par leur ascèse.
Pour moi, Bataille et Simone Weil s'opposent comme des "jumeaux", l'érotique et l'ascétique. Deux mystiques en miroir. Ils se sont d'ailleurs connus et reconnus.
C'est drôle, chez Simone Weil, le corps est nié mais elle n'a aucun tabou, aucune fascination. Chez Bataille, il n'y a que ça!
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 29/01/2009 à 11:47
C'est dans son regard que je me perds.
J'errais jeune encore sur leurs pavés engagés de révoltes douces amères
Simone et Simone, Gisèle, Delphine, Isabelle, Jeanne et j'en passe...
Il y en a qui mériteraient ou auraient mérité....l'éternité.
Rédigé par : Sylvaine | 29/01/2009 à 12:15
sylvaine, mdr...
Rédigé par : gmc | 29/01/2009 à 12:54
@ F.F. : comment est-il possible de n'avoir aucun tabou ni aucune fascination lorsque le corps est nié ? En tout cas, la question mérite d'être posée.
@ Anne B. : pour avoir lu (et relu)" Le Bleu du ciel ", ce roman phrophétique entre tous - publié en 1957, certes, mais écrit en 1935 -, pas sûr que Simone Weil en soit " le personnage le plus terrible ". En l'espèce, le personnage le plus terrible est à venir - la dernière page du livre fait froid dans le dos...
Rédigé par : Christophe Borhen | 29/01/2009 à 19:47
Christophe Borhen,
Si, si je vous assure "l'oiseau de malheur" (dès le commencement) est un personnage terrible !
"Dans cette nuit opaque, je m'étais rendu ivre de lumière;ainsi de nouveau, Lazare n'était devant moi qu'un oiseau de mauvais augure, un oiseau sale et négligeable."...
(Les rapports de Bataille avec Simone Weil sont tout de même très ambivalents).
Rédigé par : Anne B | 29/01/2009 à 22:40
Christophe Borhen,
Si, si je vous assure "l'oiseau de malheur" (dès le commencement) est un personnage terrible !
"Dans cette nuit opaque, je m'étais rendu ivre de lumière;ainsi de nouveau, Lazare n'était devant moi qu'un oiseau de mauvais augure, un oiseau sale et négligeable."...
(Les rapports de Bataille avec Simone Weil sont tout de même très ambivalents).
Rédigé par : Anne B | 29/01/2009 à 22:41
@ Anne B : dont acte. Mais tout de même...
Rédigé par : Christophe Borhen | 30/01/2009 à 20:29
Permettez moi de relancer la polémique sur son baptême : ses écrits : "si un jour je suis entièrement privée de volonté, dans le coma, il faudrait alors me donner le baptême "(La vie de Simonne Weil, Fayard 1997)et le témoignage de son amis Simone Deitz " Simone avait toute sa tête quand elle a demandé le baptême" (cité par george Hourdin dans Simone Weil, La Découvert 1989.
De plus je pense pas qu'elle eut interprétée comme "pure" sa position au porche de l'Eglise par haine du dogme... Il faut avoir l'honnêteté de lire son parcours entièrement SVP !
Rédigé par : Miles | 14/02/2009 à 19:11
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