5 février
LU: "L'Orient après l'amour" de Mohamed Kacimi, (Actes-Sud).
Ce récit est paru sans bruit à la fin de l'année dernière: je ne l'ai lu qu'aujourd'hui, comme un bel antidote à "La Confession négative" de Richard Millet (voir mon billet du 1er février). Né en 1955 à El-Hamed en Algérie, Mohamed Kacimi vit à Paris; il a publié des romans, des essais, des pièces de théâtre. C'est ce qu'on appelle: un "islamo-progressiste". Oui, c'est rare mais ça existe, même si le mot fait s'esclaffer Richard Millet.
Peut-être avez-vous lu la "Confession d'Abraham" de Mohamed Kacimi (Gallimard, 2001) ou, mieux encore, "Le Jour où Nina Simone cessa de chanter" (Actes-Sud, 2008), co-écrit avec la Libanaise Darina Al-Joundi. L'histoire d'une jeune fille libre et dangereuse. Une adolescence volée par les hommes et brûlée par la guerre. Beyrouth, années 80: sex, drugs ansd rock'n roll sous l'oeil d'Allah, avec une kalach à l'épaule et la mort dans les yeux. Avec cela, une aptitude enchantée à puiser des ressources aux plus bas étages de l'horreur et de l'abandon.
Mohamed Kacimi est né dans une zaouïa, un phalanstère soufi. Il a grandi dans une famille de lettrés, qui vouait un culte à la langue arabe et aux textes sacrés de l'islam. Son grand-père avait choisi pour devise l'injonction de Junayd, un mystique du IX e siècle: "Il faut chercher le bonheur jusque dans la catastrophe". Enfant de l'indépendance, le petit Mohamed n'a pas connu la guerre; il a sillonné toute l'Algérie avec son père, passionné d'Ibn Khaldoun et de Sartre. A l'école communale, en CM2, il chantait A la claire fontaine. En 1962, à la radio, il écoute Françoise Hardy, "Tous les garçons et les filles", coupée par l'hymne national: "Nous avons juré par le sang qui coule avec abondance et pureté / Que l'Algérie vivra, que l'Algérie vivra."
Puis il a découvert avec éblouissement la langue française à travers ses écrivains: étudiant en littérature française à l'école normale d'Alger, il lit Althusser, Barthes et Todorov. L'été, il va écouter Léo Ferré au théâtre de Sidi-Feruch: il se souvient que le chanteur riait aux éclat en entendant le public reprendre en choeur, et en arabe dialectal, les paroles de "Ni Dieu ni maître". "Nous étions tellement convaincus que nous vivions rive gauche que nous n'avons rien vu venir", avoue-t-il.
Très vite, dans l'Algérie du colonel Boumédienne, il étouffe: l'officier, "à l'instar des barbaresque du FLN" considère le pays comme un "butin de guerre". En 1981, il s'installe à Paris, "le lieu rêvé pour en finir avec ma langue, ma généalogie, ma famille, et même avec Dieu et son Prophète". Il rencontre Bernard Noël et Guillevic, s'acoquine avec la bande d'Actuel, Jean-François Bizot et Michel-Antoine Burnier, part en reportage sur les traces de Rimbaud à Aden ou celles du Prophète à Médine. Un jour, Ariane Mnouchkine lui commande un texte en hommage aux libertins et aux libres-penseurs de l'Orient: ce sera "Le Vin, le Vent, la Vie" qui est lu en 1997, au Festival d'Avignon.
Au fil de ses voyages, Mohamed Kacimi a visité Le Caire, Damas, Sanaa, Jérusalem, Fès, Casablanca, Tel-Aviv et, encore et encore, Beyrouth. Il raconte ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu, tout ce qui dans ces villes parfois si belles l'opprime, le blesse ou le glace. Son constat est tragique mais il refuse d'abdiquer, convaincu que: "Ecrire, c'est pouvoir chatouiller à mort Dieu et les Livres pour rire enfin de la tristesse de la terre et des hommes".
Il montre très bien comment s'opposent "la langue de Dieu" et "la langue du je": "... au commencement de la langue arabe est Dieu. Dès le premier mot, dès la première phrase, Il est là qui arrache la langue à son espace, l'arrache à la terre et aux hommes pour la ramener à Lui. Hantée, possédée par le Coran, toute parole a un arrière-goût de prière et d'oraison". La langue arabe, dit-il, c'est "l'inaliénable colonie d'Allah". Il n'a pas oublié l'injonction de l'ange Gabriel au Prophète: "Lis au nom de Dieu qui t'a créé, lis au nom de Dieu qui t'a enseigné ce que tu ignorais". Comment lire, rêver, sans tomber nez à nez avec le Prophète? C'est la question.
Dans l'un des passages les plus effrayants de son livre, il montre comment la chaîne de télévision Al-Jazira propage l'obscurantisme au goutte-à-goutte: "Question d'un téléspectateur de Dubaï: - Je veux répudier ma femme par mail, est-ce licite ou illicite? Réponse du cheikh (qui répond en direct aux angoisses des téléspectateurs): - Le Prophète a recommandé de les répudier face à face, mais si une contrainte vous oblige à recourir à ce procédé, faites-le en préparant le terrain par un mail d'avertissement". D'autres demandent: "Ma femme peut-elle se déshabiller dans une chambre où il y a un chien? Avec quel pied faut-il entrer dans les toilettes? La viande d'une brebis qui a été flairée par un cochon est-elle autorisée par la loi?". Chaque acte, chaque pensée, doit s'inscrire dans un moule - la charia - forgé il y a plus de mille ans: pour Kacimi, c'est la preuve de la faillite de l'islam.
Place Maidan al-Tahrir au Caire. Une paysanne vend des journaux et des livres étalés sur le sol. Ces librairies à ciel ouvert sont un révélateur des mentalités. Il note les titres en vrac: "Cent recettes pour bien punir sa femme selon la loi de Dieu et la tradition de son Prophète", "Les Protocoles des Sages de Sion", "Réussir toutes les pizzas", "La Vie du Prophète", "Comment draguer toutes les femmes du monde", "Excell 2000", "L'Art de bien faire l'amour", "Les Châtiments des Infidèles", "Un diable nommé la Femme", "La fin du sionisme est proche", "Comment réussir une répudiation", "Tout sur Photoshop 2000", "La Torture de la tombe: ce à quoi doit s'attendre tout croyant qui meurt", "Tous les défauts des juifs enfin révélés", "Le Sexe sans complexe", "Comment Dieu a maudit les juifs", "Bien surfer avec Internet Explorer", "L'Islam, la plus belle des religions", "Les Plus belles recettes de pâtisserie", "Le Guide précis et véridique du paradis et de ce qui attend le croyant comme récompense dans l'au-delà", "Le Grand guide de la Twinfgo", "Comment j'ai retrouvé le sourire avec le Viagra"...
A propos de l'affaire des caricatures de Mahomet, il conclut: "Le sacré exige la profanation, la foi appelle l'incroyance, le dogme appelle la transgression". Ces dessins sacrilèges, il en rit en citant le Coran: "Ils (les incroyants) se moquent mais en matière de moquerie, Dieu est insurpassable" (VIII, 30).
J'aime quand il proclame avec douceur: "Je n'écris pas en français. J'écris en moi-même". Car la principale vertu d'un artiste, c'est le courage. Ce qui manque peut-être à l'islam et aux musulmans, c'est une Contre-Réforme, des jésuites, des Kacimi. Pour sortir enfin de cette funeste alternative: l'Enfer ou le Paradis?
EXCISER LA REPUDIATION
Toutes les punitions
Ne découragent jamais
La femme qui réussit les pizzas
Quand elle se déshabille
Dans la niche du chien
Plus besoin de viagra
Pour mettre en valeurs
Les atouts de l'érection
Le sexe sans complexe
Plus besoin de draguer
Toutes les femmes du monde
Quand s'achève la torture
De la tombe et sa culture
Les recettes de pâtisserie
Prennent alors la forme
D'un canon bien roulé
Dont le choeur chante
Les merveilles des rouleaux
Ecrits à l'encre sympathique
Rédigé par : gmc | 05/02/2009 à 08:52
Le titre sonne comme un poème,pourtant ce récit prenant n'en reste pas moins un portrait au "vitriol" de l'Islam, mais aussi un témoignage sur l'amour de la liberté et de la dignité.Ces voyages géographiques sont aussi des voyages intérieurs,qui je dois l'avouer ne m'ont pas laisser indemne(mais peut-être suis je une "petite nature"), j'ai lu ces "confessions" il n'y a pas très longtemps non plus et en y réfléchissant bien "L'orient de l'Amour" doit provoquer des réactions contradictoires.Ce visage de
l'Islamisme , cette extermination de l'homme par l'homme,ce déclin, cette sclérose me rendent malade.
Cette décadence qui mène l'homme au culte de la mort, ce déni de l'amour, la femme convoitée et interdite à la fois, cette profonde misère sexuelle
cette forme de jouissance qu'est de la mort(comme pour l'extase), quel désastre!
"Les draps sont défaits après l'amour", ces draps sont ceux défaits par tout ce qui fait de l'ombre à Allah, et tout ce qui vit, rend Allah irascible. (c'est un livre qu'il faut lire en été, car l'été est paraît-il la saison de l'amour).
Quelle belle chose que d'être inspiré par Flaubert,ça sauve! J'ai cependant l'impression que le monde ne sais pas refermer "ces chambres à gaz", ouvertes sur le monde de la folie meurtrière.
Rédigé par : Anne B | 05/02/2009 à 09:26
L'islam a pourtant connu Khayyam et Hafez et si le bout du chemin en matière de liberté concernant la religion revient à blasphémer, ce serait un peu court, laisserait sur sa faim poétique. El Hallaj avait été encore plus audacieux, il y a bien longtemps. Non pas que je ne puisse pas comprendre ce rejet d'Allah tel que les hommes l'interprètent et trouver dommage qu'on n'enseigne pas la tradition aux plus jeunes de manière plus approfondie que le par coeur hébétant des sourates, parfois. Toutes les religions, leur enseignement, ont leur génie, que l'on peut extraire que l'on soit croyant ou non, c'est surtout aux hommes qu'il manque quelque chose. Je pense aux poèmes de Sorab Sepehri qui sont de toute beauté, notamment "les pas de l'eau" vibrant de présence. Il y a des beautés chez Ibn Arabi et bien d'autres qui me semblent aussi fortes que des paroles d'Angelus Silésius ou Maître Eckhart. L'islam est encore jeune et certes c'est triste et révoltant comment on s'en sert pour instrumentaliser ou avilir la femme et l'homme ; j'espère qu'il renaîtra libre et vivant, vigoureux, sans jeter le bébé avec l'eau du bain. C'est une langue si poétique et sensuelle.
Rédigé par : ardente patience | 05/02/2009 à 15:01
L'islam a pourtant connu Khayyam et Hafez et si le bout du chemin en matière de liberté concernant la religion revient à blasphémer, ce serait un peu court, laisserait sur sa faim poétique. El Hallaj avait été encore plus audacieux, il y a bien longtemps. Non pas que je ne puisse pas comprendre ce rejet d'Allah tel que les hommes l'interprètent et trouver dommage qu'on n'enseigne pas la tradition aux plus jeunes de manière plus approfondie que le par coeur hébétant des sourates, parfois. Toutes les religions, leur enseignement, ont leur génie, que l'on peut extraire que l'on soit croyant ou non, c'est surtout aux hommes qu'il manque quelque chose. Je pense aux poèmes de Sorab Sepehri qui sont de toute beauté, notamment "les pas de l'eau" vibrant de présence. Il y a des beautés chez Ibn Arabi et bien d'autres qui me semblent aussi fortes que des paroles d'Angelus Silésius ou Maître Eckhart. L'islam est encore jeune et certes c'est triste et révoltant comment on s'en sert pour instrumentaliser ou avilir la femme et l'homme ; j'espère qu'il renaîtra libre et vivant, vigoureux, sans jeter le bébé avec l'eau du bain. C'est une langue si poétique et sensuelle.
Rédigé par : ardente patience | 05/02/2009 à 15:02
Quelques mots de Casablanca…
Pour vous dire « Merci ». Merci pour toutes ces heures hors temps et hors normes, que vous offriez, et que j’ai cueillies comme autant d’instants délicats, et luxueux. Ils ouvraient une fenêtre précieuse dans ce ciel si marocain.
Je ne découvre que récemment toutes vos « humeurs », je ne savais pas que vous étiez revenu. Mais vous n’êtes jamais parti.
Merci de continuer ici, et d’oser, encore, et toujours.
Je n’ai jamais lu Kacimi, ni aucun des auteurs maghrébins, malgré les conseils d’un ami (français !), directeur, à l’époque, de l’Institut Français de Casablanca, et donc, plutôt bien placé pour savoir… Je suis marocaine, entre autres choses, mais je « butais » et n’accrochais pas à leurs textes. A tort, peut-être, pour certains. Je lirai peut-être Kacimi !
Ici, le livre est une denrée rare, mais j’ai mes rêves. J’aime ça, rêver. Je pourrais les dérouler un peu, ces rêves, si vous le permettez , et seulement si, mais je crains qu’ils n’aient l’air de contes…
Yasmine
Rédigé par : Yasmine | 05/02/2009 à 15:08
3+()+5 égal 1
Rédigé par : mdr | 05/02/2009 à 15:52
Yasmine, pour combler vos rêves... une bonne adresse : www.netvibes.com/ardentepatience
Rédigé par : copine | 05/02/2009 à 16:16
Impossible de me défaire de cette phrase:
"Je n'écris pas en français. J'écris en moi-même".
Rédigé par : Anne B | 05/02/2009 à 16:44
à "copine", merci pour l'adresse.
Rédigé par : Yasmine | 05/02/2009 à 22:10
Je ne donne quasiment jamais mon lien sur la Toile ; ce n'est pas ce que je viens faire là où je commente. Mon portail me sert à canaliser mes flux et uniquement à cela. Je regrette vraiment que vous m'ayiez "copine" (ou "copain"), qui que vous soyez, jetée en pâture ainsi. Si j'avais voulu donner mon adresse, j'étais bien assez grande pour le faire. Quel mépris ce "pour combler vos rêves ...". La Toile est vraiment particulièrement pourrie quand elle veut.
Rédigé par : ardentepatience | 05/02/2009 à 22:31
Aux bons soins d'ardente patience,
L'Islam, a aussi connu au début du XXe siècle de très grands écrivains et poètes. Souvenez-vous de Sadegh Hedayat, et, plus près de nous, de l'immense Ahmad Chamlou, vénéré par ses frères et ses contemporains et poète humaniste - mais hélas rarement traduit -, deux voix en insurrection, deux gardiens de la liberté et de la tolérance.
Les poètes Iraniens sont grands !
Eric
Rédigé par : Eric Poindron | 06/02/2009 à 09:03
P.S. Toujours pour ardente patience.
Votre site est très beau.
Eric
Rédigé par : Eric Poindron | 06/02/2009 à 09:10
C'est vrai ça, Eric ! Et si gentille, la fille, on dirait...( sans être mauvaise langue...)
Rédigé par : Alistrid | 06/02/2009 à 11:09
This kind of game gives a real experience of building a
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Rédigé par : Top Eleven Be a Football Manager hack | 23/11/2013 à 17:03
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Rédigé par : turbo racing league tutorial | 25/11/2013 à 12:58