4 février
LU: "La Philosophie des vapeurs", suivi d'une "Dissertation sur les vapeurs et les pertes de sang", édition présentée et annotée par Sabine ARNAUD (Mercure de France).
C'était une des expressions favorites de mon grand-père! "Quoi, tu as tes vapeurs!"! Il la destinait le plus souvent à sa femme qu'il adorait. Dit sur le ton de la raillerie, en affectant une tendresse virile, c'était sa manière de lui témoigner son incompréhension la plus sincère. Le mot, alors, avait déjà disparu du strict inventaire des symptômes féminins, "vestige d'un temps où le langage lâchait prise face au tumulte des sens".
Deux siècles plus tôt, on aurait éventée la malheureuse en l'invitant à respirer des sels (de l'ammoniaque) ou de l'essence de menthe. On aurait chassé du salon ces messieurs qui seraient allé fumer ailleurs. On aurait délacé le corset de la dame de crainte qu'elle ne soit comprimée à la taille, de l'air! de grâce, ouvrez la fenêtre! tout en se demandant, dans le cas d'un léger embonpoint, si par hasard elle n'attendait pas un heureux événement. On l'aurait questionnée sur son vague à l'âme. Bref, on aurait affecté de s'émouvoir sachant que le malaise n'était que passager avant de se féliciter en choeur: ouf! plus de peur que de mal!
Mais quel est la nature de ce trouble? Comment se manifeste-t-il? Quelle en est la cause? Crises de larmes, évanouissements, maux de tête, pâmoisons, tremblements, palpitations, vertiges, étourdissements, spasmes... Est-ce bien sérieux? Dans l'Antiquité, on parlait sans rire de "suffocation de matrice"; au XVIIe siècle, on invoque plutôt l'influence délétère des "esprits animaux", du sang ou des nerfs. Ah! les nerfs, quelle source de dérèglement! On est bien sûr convaincu que les règles des femmes aggravent les "vapeurs"! On est toujours étonné des joyeuses ou sinistres inepties qu'ont pu proférer les médecins d'autrefois: pensons que, dans un siècle ou deux, nos certitudes sur l'ADN ou le génome humain sembleront aussi ridicules.
Les "vapeurs" sont restées en vogue jusqu'à la Révolution française dont presque tous les acteurs, aussi sanguinaires soient-ils, avaient pleuré à chaudes larmes en lisant "la Nouvelle Héloïse" ou "Les Souffrances du jeune Werther". On imagine volontiers, à la Convention, Robespierre et Danton signant les arrêts de mort de leurs amis, l'un sujet aux vapeurs, les yeux humides, l'autre plutôt enclin à roter mélancoliquement son dîner.
Longtemps, ce diagnostic providentiel désigna toute les manifestations physiologiques qu'on ne pouvait expliquer, d'où son succès. Au cours du XVIIIe siècle, on abandonna peu à peu les remèdes de cheval: saignées, vomitifs, purgatifs; on leur préféra les sirops, les juleps, les bouillons, les eaux de fleurs. A côté de ces potions mirifiques, on prescrivait des bains, at home ou dans une ville thermale, la promenade, à pied ou à cheval, de la distraction, des voyages. On eût tout aussi bien recommandé le patin à glaces ou le hullahoop, s'il avait existé. Pour beaucoup, déjà, les "vapeurs" relève d'une pathologie sociale, propre aux aristocrates, puis aux bourgeois, aux artistes. Ne pas confondre avec le coup de sang, commun chez la paysanne, à la période des moissons! C'est un motif littéraire et un thème de prédilection du roman: une preuve de sensibilité pour les uns, un signe de décadence pour les autres.
Les deux textes présentés par Sabine Arnaud, "La Philosophie des vapeurs" de Claude Paumerelle (1774), suivie de "Dissertation sur les vapeurs et les pertes de sang" de Pierre Hunauld (1756), conseiller et médecin ordinaire du roi, furent des best-sellers sous l'Ancien Régime. Le premier propose 25 lettres soi-disant écrites par une vieille marquise à une aimable comtesse qui s'apprête à faire ses débuts dans le monde. Le second texte est écrit dans la forme d'un dialogue entre un médecin et une jeune marquise. Ce pourrait être des pastiches tant l'esprit du temps s'y décèle.
Ce sont des hommes de l'art mais lequel? Sont-ils médecins ou gens de lettres? Confesseurs ou charlatans ? Claude Paumerelle commence ainsi sa première lettre: "Vous êtes femme; c'est à dire curieuse de merveilleux, avide de singularité, folle de bizarreries. Quelles heureuses dispositions! J'en augure la docilité la plus complète aux principes de conduite que je veux établir pour votre instruction". Pour lui, une femme sans vapeurs est une linotte, une écervelée, une bête, aussi ridicule en société qu'une femme qui se fait "montrer au doigt" pour paraître partout au bras de son mari.
La fantaisie, la frivolité, le libertinage affleurent sous le ton docte. On imagine volontiers nos deux demoiselles, quelques années plus tard, jouant le rôle de Madame de T*** dans "Point de lendemain" de Vivant-Denon. Vais-je résister au plaisir d'en redire l'incipit? Non: "J'aimais éperdûment la comtesse de ***; j'avais vingt ans, et j'étais ingénu; elle me trompa, je me fâchai, elle me quitta. J'étais ingénu, je la regrettais; j'avais vingt ans, elle me pardonna. Et comme j'avais vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l'amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes".
L'historien doit être peintre avant tout, disait Augustin Thierry dont la vocation s'éveilla à la lecture des "Martyrs" de Chateaubriand! Jadis, les historiens, nos bons maîtres, s'attachaient aux batailles et aux courbes du prix du blé; aujourd'hui, ils étudient la vie quotidienne et les moeurs du passé; ils font des thèses sur le paysage, les recettes culinaires ou la fessée. C'est beaucoup plus instructif.
"ils font des thèses sur le paysage, les recettes culinaires ou la fessée. C'est beaucoup plus instructif."
Dites moi maître Ephèphe,
Il existe des thèses sur la fessée? Moi j'ai lu l' anthologie de la fessée et de la flagellation entre autres et j'ai bien aimé...
Rédigé par : ororea | 04/02/2009 à 07:35
A la lecture de ce commentaire, je défaille... Mes sels ! :-)
Rédigé par : miss glu | 04/02/2009 à 07:58
Quel plaisir ce blog !
Nous allons de surprises en révélations chaque jour en tournant la page....
Les fantômes de Murakami s'évanouissent cédant la place à la douceur de vivre devant la défaillance de "ces dames", ils tombent en pâmoison;qu'elles se pâment, qu'ils chavirent...
Quel drôle de mot que pâmoison!
Et "suffocation de matrice" quelle trouvaille!
"Vous êtes une femme, c'est à dire curieuse de merveilleux, avide de singularité, fille de bizarreries quelles heureuses dispositions!", cette citation est admirable!
Aller,je vais utiliser à bon escient mes faiblesses et m'égarer au fil de cette lecture... .
Rédigé par : Anne B | 04/02/2009 à 08:51
... elle est presque tombée dans les pommes. Heureusement, il avait du poivre dans la poche.
Rédigé par : reînette | 04/02/2009 à 09:27
Reinette : des pommes vapeur ???
Moi c'est la lecture de Murakami qui me fait chavirer...
Rédigé par : Fuligineuse | 04/02/2009 à 09:42
CENTRE D'INTERET PERIPHERIQUE
Les sourdes ont l'aventure facile
Qui voient du danger
Dans le frémissement inventif
D'un brin d'herbe
Sur lequel galopent
Les chevaux sans relâche
Au clair de lune
Qui ne s'abandonne pas
Et s'étonne de l'opacité
De son reflet ému
Sur l'eau trouble de l'étang
Qui repose clairet
Rédigé par : gmc | 04/02/2009 à 09:43
Chère Ororea,
Je ne suis en rien spécialiste mais le plus savant sur la "fessée", à mon avis, c'est encore le vieux Sade!
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 04/02/2009 à 12:31
Et la comtesse de Ségur, question fessée ?
Rédigé par : Gremlin | 04/02/2009 à 12:51
Croyez-vous que Sa...rtre en donnait? (des fessées... à Simone )
Rédigé par : Agathe | 04/02/2009 à 13:17
Ouais sade j'ai lu aussi, c'est pas mal; C'est pas grave on jouera à autre chose...
Rédigé par : ororea | 04/02/2009 à 13:18
Oui, Gremlin, vous avez raison, il faut lire en même temps Sade et la comtesse de Ségur, née Rostopchine. Pas de meilleure initiation à la "fessée".
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 04/02/2009 à 15:31
Oui, Gremlin, vous avez raison, il faut lire en même temps Sade et la comtesse de Ségur, née Rostopchine. Pas de meilleure initiation à la fessée!
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 04/02/2009 à 15:34
@ Agathe : c'est plutôt le Castor qui en administrait à Sartre (son bébé). Y'a quand même des claques qui se perdent !
Rédigé par : Chistophe Borhen | 04/02/2009 à 15:43
@ Agathe : c'est plutôt le Castor qui en administrait à Sartre (son bébé). Y'a quand même des claques qui se perdent !
Rédigé par : Chistophe Borhen | 04/02/2009 à 15:44
"Un tablier d'sapeur, ma moustache pensez!
Cette comparaison méritait la fessée,
Retroussant l'insolente avec nulle tendresse,
Conscient d'accomplir, somme toute, un devoir,
Mais en fermant les yeux pour ne pas trop en voir,
Paf! J'abattis sur elle une main vengeresse!
G. Brassens "La Fessée".
Rédigé par : Anne B | 04/02/2009 à 15:57
Un tablier d'sapeur, ma moustache pensez!
Cette comparaison méritait la fessée,
Retroussant l'insolente avec nulle tendresse,
Conscient d'accomplir, somme toute, un devoir,
Mais en fermant les yeux pour ne pas trop en voir,
Paf! J'abattis sur elle une main vengeresse!
G. Brassens "La Fessée".
Rédigé par : Anne B | 04/02/2009 à 16:06
Christophe, je vous trouve bien préten-cieux. Qu'en savez-vous enfin ? C'est Jean-Paul qui vous souffle ses misères à l'oreille ?
Ne pas se fier aux apparences...
Rédigé par : Agathe | 04/02/2009 à 16:37
Pour les curieux et/ou les amateurs de sujets médicaux, à lire aussi le savoureux traité "De la santé des gens de Lettres", de Samuel-Auguste Tissot, célèbre médecin des Lumières aux théories inattendues et audacieuses (éditions de le Différence)... Ou comment la pratique de la lecture et la vie intellectuelle peuvent, selon ledit docteur, échauffer les esprits, nuire à la circulation des fluides, dérégler l'équilibre des humeurs, bref générer autant de maux de l'âme et du corps plus effrayants les uns que les autres. Amis lecteurs, soyez avertis ! Votre loisir est hautement dangereux...
Rédigé par : Franck Bellucci | 04/02/2009 à 17:09
@ Agathe : oh non, Sartre ne me souffle rien du tout. En l'espèce, c'est Beauvoir elle-même dans " La cérémonie des adieux " :
« Sa mort nous sépare. Ma mort ne nous réunira pas. C'est ainsi ; il est déjà beau que nos vies aient pu si longtemps s'accorder ».
Cela étant, je veux bien l'admettre, il est toujours difficile de parler de ce couple inénarrable quand on a lu et l'un et l'autre.
Rédigé par : Christophe Borhen | 04/02/2009 à 17:37
Assez!Assez!
L'homme tellement étriqué en lui-même, à "l'électro-humorologramme" plat et archi plat, ne peut voir autrement les troubles des petites collines qui s'enchainent les unes aux autres sur celui des femmes (sur l'EHG des femmes) que comme une douce comédie qui lui est adressée. Et les femmes de s'y prêter et de jouer à pamoisonner pour complaire à ces messieurs....
Je suis fatiguée qu'on trouve des charmes à cette vision, à cette distribution des rôles. J'aime son appropriation par un grand-père qui a su décaler le sens des mots, et se moquer du temps passé pour mieux le mettre à distance, mais qu'on semble prêt à nouveau à exploiter ce filon "ah les femmes elles en jouent de leurs soi-disant faiblesses physiologiques, pour mieux aguicher les bonzommes" (avec une sous-pensée des hommes que les femmes ne vivent que par rapport à eux, les hommes) : ça commence à bien faire. C'est de l'histoire, du passé, ne le ravivons pas plus qu'il ne faut.
Rien de bien méchant, mais je dis "non merci". C'est pas dans cette "histoire" là que j'irai me ressourcer.
Rédigé par : mme petit poisson | 05/02/2009 à 06:14
Sur le sujet : " postérieur", ne pas oublier le magnifique livre de Jacques Serguine, paru autrefois en folio "éloge de la fessée". Très beau texte, poétique et tout et tout, et qui ne contourne pas le sujet.
Incontournable dans un bibliothèque de Curiosa digne de ce nom.
Rédigé par : Eric Poindron | 05/02/2009 à 10:19
Oui, l'éloge de la fessée, je l'ai trouvé dans le grenier quand je triais les livres, petite, et je l'ai lu en cachette...
Rédigé par : ororea | 05/02/2009 à 13:16
bonjour je voudrais avoir l addresse email de féderic lemieux j ai un 78 tours des discoure de Maurice Dublessi a la fin de sa vie j ai connue Dublessie nom Pére etais un des organisateurs de Dublessi si le disque vous interesse mon email est [email protected]
Rédigé par : bonjour je voudrais avoir l addresse email de féderic lemieux j ai un 78 tours des discoure de Maurice Dublessi j ai connue Dublessie nom Pére etais un des organisateur de Dublessi si le disque vous interesse mon email est [email protected] | 19/10/2009 à 00:37
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Rédigé par : Masters Dissertation | 25/12/2009 à 14:05