17 mars
Lu: "Vous comprendrez donc" de Claudio MAGRIS, traduit de l'italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau (Gallimard/L'Arpenteur).
Dans ce monologue, Claudio Magris, 70 ans, revisite le mythe d'Orphée du point de vue d'Eurydice: on se demande comment personne n'y avait pensé avant, à commencer par lui-même. Car le sujet lui va comme un gant: les enfers, les adieux, la mort, la musique, le voyage, les frontières, le désenchantement, c'est sa palette.
Ce que j'aime chez l'auteur de "Danube", c'est qu'il se défend (mal) d'être nostalgique: il voudrait écrire à rebours de sa pente, un peu comme Flaubert se veut sec étant enclin aux larmes. Peine perdue. Tout est mémoire, chez Magris - c'est un émule secret de Bergson -, mais il se méfie des souvenirs qui, si l'on n'y prend garde, se transforment en regrets.
Il y a une mémoire qui fait avancer à reculons, en louchant dans son rétrovisieur, en tournant la tête; il y a une autre mémoire, aussi décharmée soit-elle, qui nous pousse en avant, qui est la conscience actuelle de ce qui a été, de ce qui est encore, et qui est peut-être la conscience tout court. La première dira: "Baudelaire était un grand poète". A quoi, Magris répondrait: "Non, Baudelaire est un grand poète".
On parle aujourd'hui d'un devoir de mémoire, comme si c'était une vertu de se souvenir. N'est-ce pas plutôt une faculté? Le vrai devoir, c'est de vouloir se souvenir: non pas de tout et de n'importe quoi mais de ce que l'on doit à autrui. Parce qu'il nous a fait du bien ou parce qu'on lui a fait du mal. Gratitude ou repentir. Parce qu'il nous a fait du mal. Haine ou pardon. Et cela, pour Magris, c'est dans la littérature que ça se dit le mieux.
C'est peut-être sous l'accoutrement du fabuleux le livre le plus autobiographique de Claudio Magris. C'est une femme qui parle et on ne m'ôtera pas de l'idée que cette femme, quel que soit son nom, l'auteur l'a aimée avant de la perdre à jamais. Je n'ai aucune preuve de ce que j'avance mais je vois dans le titre, "Vous comprendrez donc", un indice, la promesse obscure d'un aveu. Le livre est situé dans un lieu improbable, un arrière-monde, intermédiaire entre l'ici-bas et l'au-delà: "La Maison de Repos". Encore une réminiscence personnelle transposée par l'auteur: pendant des années, il en a fait la confidence dans une interview, il a rendu visite à une vieille dame dans un hospice où il se sentait bizarrement plutôt bien, hors du monde, ni parmi les vivants, ni parmi les morts.
C'est un livre sur la tristesse de l'amour. C'est banal et c'est poignant. A la fin, on s'interroge: et si Orphée et Eurydice, l'homme et la femme, étaient séparés non pas par la mort mais par leur commune humanité, par la vie?
Ce que j'aime aussi chez Claudio Magris, c'est qu'il n'est vraiment pas très gai. Non, je ne me moque pas: on peut sourire parfois devant une déclaration sincère. C'en est une.
Voici un atelier d'écriture très gai :
http://paris.onvasortir.com/sortie_read.php?Id=230571
Rédigé par : ororea | 16/03/2009 à 23:50
Cher Frédéric,
Tel un serpent mélancolique et silencieux, je me glisse entre vos phrases, car je ne peux que les approuver.
"Lei Dunque Capirà" (lu en italien), est d'une Amoureuse Férocité.
Femme, on voudrait être Eurydice, un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout !
Rédigé par : Anne B | 17/03/2009 à 09:14
Je me permets d'intervenir alors que je n'ai pas lu le livre que vous mentionnez. En effet, de Magris, je me souviens surtout des inoubliables "Danube" (1988) et "Microcosmes" (1998) ; il est pour moi un remarquable "écrivain européen d'origine italienne" - pour paraphraser un certain Philippe S. (bonjour Anne B.) -, peut-être le plus grand (avec De Lucca).
Pas très gai ? J'en doute. Très grave ? Evidence. Mais la gravité n'est pas antithétique de la gaieté, et réciproquement - n'est-ce pas ?
Par ailleurs, j'aime beaucoup Magris quand il déclare ceci à Gérard de Cortanze ("Le Magazine Littéraire" du mois en cours) :
"Il m'est arrivé une histoire merveilleuse, il y a environ un mois. J'étais dans une station balnéaire peu fréquentée. Alors que je sortais de l'eau et quittais la plage en commençant à monter un escalier de bois, je croise une femme, de mon âge, un peu forte. Je m'écarte pour la laisser passer. "Après vous, professeur", me dit-elle. Elle m'avait reconnu. "C'est notre deuxième rencontre", lui fais-je remarquer, ajoutant : "Il y a cinquante ans, vous ne travailliez pas comme coiffeuse à Turin ? - Oui, en effet." Alors je lui raconte que j'avais essayé de la draguer, mais en vain ! Elle a pouffé de rire. D'une certaine façon, je venais de lui faire un joli cadeau, vous ne trouvez pas ?..."
Pas très gai, avez-vous dit ?
Rédigé par : Christophe Borhen | 17/03/2009 à 10:35
Gai je ne sais pas,mais prétentieux, certainement !
Rédigé par : Yasmine | 17/03/2009 à 11:08
Christophe Borhen, je suis d'accord avec vous, dans la vie culturelle italienne, la voix de Claudio Magris est l'une des plus reconnaissables, la parole d'un témoin essentiel , d'un penseur, d'un homme libre.
Avec "Danubio", Magris mêle le récit de son propre voyage (de part et d'autre du rideau de fer), mais c'est surtout une réflexion sur l'identité des régions traversées et de leurs peuples, réflexions soutenues par d'innombrables références littéraires (Cioran, Goethe, Kafka, Joseph Roth, Canetti, Lucaks...).
Claudio Magris c'est "l'identità di frontiera".
Ceci dit, j'ai un faible pour Erri De Luca,
"Chacun de nous vit avec un ange, c'est ce qu'il dit, et les anges ne voyagent pas, si tu pars, tu le perds, tu dois en rencontrer un autre.Celui qu'il trouve à Naples est un ange lent, il ne vole pas, il va à pied..."
Montedidio
Rédigé par : Anne B | 17/03/2009 à 12:31
Je n'ai pas lu l'ouvrage dont vous parlez, mais ce que vous écrivez, l'atmosphère que vous retranscrivez, tout cela me conduit à penser à un livre que j'ai beaucoup aimé : " Tous les matins du monde " de Pascal Quignard...
" Un jour qu'il concentrait son regard sur les vagues de l'onde, s'assoupissant, [M. de Sainte Colombe] rêva qu'il pénétrait dans l'eau obscure et qu'il y séjournait. (...) Sorti de son songe, il se souvint du Tombeau des Regrets qu'il avait composé quand son épouse l'avait quitté pour rejoindre la mort (...) Il gagna la cabane du jardin où il s'exerçait à jouer de la viole (...) il remplit un plat d'étain contenant quelques gaufrettes en enroulées et il joua le Tombeau des Regrets. (...) Tandis que le chant montait, près de la porte une femme très pâle apparut qui lui souriait (...) C'était sa femme et ses larmes coulaient." (Pages 40 et 41).
Rédigé par : Sylvie Ruoppolo | 17/03/2009 à 14:38
Oui, je trouve aussi, si j’ai bien compris ce que vous dites, qu’il n’y a pas de “devoir de mémoire”, mais je ne sais pas si l’on peut parler de “vouloir se souvenir”. Ou alors oui, dans le sens de “désir”. Mais le désir, ça échappe à toute volonté et c’est tellement plus aléatoire, ce qui ne nous est pas imposé par une règle ou une autre et qui ne tient pas de l’apprentissage mais d’un mouvement de vie vers la vie, c’est quelque chose qui part de soi, c’est plus “gai” et plus redoutable aussi… parce qu’on n’en sait rien, ou pas tout, finalement, de ce qui nous habite, de ce qui va nous émouvoir ou non, nous atteindre ou pas. Ca me rappelle ce que vous disiez l’autre fois, parlant de la lecture, “il faut avoir une curiosité inassouvie pour d’autres mondes que soi, mais on ne les perçoit qu’à travers soi”. Baisser sa garde, se laisser toucher, aimer, risquer la blessure, le chagrin, les mots quelquefois, qui renvoient à d’autres mots connus dans le passé et qui ont fait mal, ou qui ont fait bien, mais c’est toujours là, et puis, risquer, oser le bonheur, même si c’est démodé peut-être, mais pourquoi ne pas l’être, quelle importance d’être bête. Tout le monde cherche “ça”, quelles que soient les voies que chacun emprunte, et tant d’intelligence pour trouver cette “bêtise”, pour être simplement bête, béatement bête, quelle merveille… Et sans le passé qui nous a fait être, comment exister au présent ? Mais c’est difficile, quelquefois, le passé, et chacun est tenté d’effacer d’une main ce qui s’est écrit de l’autre. Et alors, tout simplement, là, on est mort. Bêtement.
Rédigé par : Yasmine | 17/03/2009 à 15:23
ff,
dans un sourire...savez-vous ce que signifie le prénom eurydice en grec?
alors, son point de vue...
Rédigé par : gmc | 17/03/2009 à 16:04
@gmc : La justice ou la vengeance ? (en même temps, si elle s'était appelée Nini Peau d'chien, qui sait si son destin... un peu cette histoire de nez de Cléopâtre et de face du monde)
Rédigé par : pagesapages | 17/03/2009 à 17:30
Cher Frédéric, un autre Frédéric, Boyer, vient de publier un "Orphée" dans lequel n'est pas Eurydice qui l'on croit ni Orphée d'ailleurs... et nul ne peut jamais s'extraire la mélancolie d'avoir perdu l'aimé(e). Surtout deux fois.
Rédigé par : hysope | 17/03/2009 à 17:45
justice sans limites, pagesapages. et son destin est de disparaître si on la regarde.
notez que c'est le choix de l'interprétation qui fait retenir la partie lamento quand, par exemple, clément marot dit:
"..suis le plus heureux des hommes
mais hélas, o combien hélas.."
retiens le "hélas" qui veut le retenir plutôt que ce qui précède. idem dans le cas d'orphée, où c'est la subjectivité de l'interprétation qui met l'accent (une histoire de transfert ou d'appropriation ^^) sur les lamentations.
Rédigé par : gmc | 17/03/2009 à 18:19
Très belle critique, qui met en avant l'oeuvre et donne envie de lire. C'est suffisemment rare pour etre mentionné.
Rédigé par : artichaud | 17/03/2009 à 20:19
Et la web télé, ce sera sur free ou avec n'importe quel fournisseur d'accès? Non, parce que chez numéricâble, ils ont été très sympas, ils m'ont offert un an d'abonnement, après quelques problèmes techniques...Pas trop envie de changer de provider...
Rédigé par : ororea | 17/03/2009 à 20:35
Aucun commentaire mais juste un petit mot pour saluer le retour de gmc !
Rédigé par : Anne Burroni | 17/03/2009 à 22:14
Carissima Anne B.,
Sono d'accordo. Quant'è bello in italiano questo titolo di Magris: "Lei dunque capirà"! Sembra un epitafo...
Non ci credo a l'allegria di Magris. E un melancolico capace di ridere di se stesso, anzi capace di gioia, a volta anche d'ironia, ma l'allegria, no.
Forse mi sbaglio.
F.
Rédigé par : Frédéric Ferney | 18/03/2009 à 00:34
Carissimo Frédéric,
Si, si Magris è melancolico come, come...l'Orfeo
Ahi, vista troppo dolce e troppo amara;
Così per troppo amor dunque mi perdi ?
Ed io, misera, perdo
Il poter più godere
E di luce e di vita e perdo insieme
Te, d'ogni ben più caro, o mio consorte."
Euridice, Claudio Monteverdi
A.
Rédigé par : Anne B | 18/03/2009 à 12:00
Carissima...
Soyons positive, si il compte fleurette à Anne B en italien c'est qu'il n'est pas gay...Au moins bi...
Rédigé par : ororea | 19/03/2009 à 21:24
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