8 mai
Lu: "Le bris des routines" de Marguerite YOURCENAR, textes choisis et présentés par Michèle Goslar, collection Voyager avec... (La Quinzaine littéraire/Louis Vuitton).
Je comprends qu'on soit totalement réfractaire à Marguerite Yourcenar, à l'éclat de sa pensée, à la puissance syntaxique de sa phrase, à la suprématie aberrante et lapidaire de son style. Vous avez dit classique? C'est écrit au ciseau, gravé dans le marbre, et pour l'éternité. L'intelligence mène la tête; et les élans du coeur, les secousses des sens, les yeux et la bouche, si libres qu'ils soient, et quelque licence qu'ils se donnent, sont soumis à la grammaire comme les chevaux de l'attelage sous les rênes, par une main gantée de fer.
Je la vois souriante, libre, hautaine, avec ses pommettes de princesse mongole, intouchée par les hivers et le déplaisir, louve emmitouflée dans ses foulards, glaçant les académiciens avec ses humeurs de pythonisse, snobant les petits-maîtres, ayant su très tôt, dès son enfance dorée, que la gloire est permise, si elle est chose obscure et volontaire, ma petite fille, et non pas radieuse, publique, triomphale. Ce joujou-là n'est bon que pour les hommes et les bonniches, pfui! Marguerite est au-dessus de ça, préférant méditer devant les épitaphes et les pierres dénuées de l'Orient. "Je crois que j'ai finalement réussi à détruire totalement en moi l'avidité", dit-elle, magnifiquement.
Avec Yourcenar, l'intelligence n'est jamais muette puisqu'elle se veut universelle et qu'elle le devient, allant chez elle jusqu'à dissoudre son orgueil de caste dans le creuset de l'humaine condition et rejoindre en songe l'immémorial, adoptant comme siens ces monstres, ces étrangers, ces obscurs - "ces hommes qui comme nous croquèrent des olives, burent du vin, s'engluèrent les doigts de miel, luttèrent contre le vent aigre et la pluie aveuglante et cherchèrent en été l'ombre d'un platane, et jouirent, et pensèrent, et vieillirent, et moururent".
L'esprit, chez Yourcenar, tient les brides de l'instinct. Rien de mou, rien de tendre, dans ce souverain processus. Pas question de ployer, de s'avachir: elle tolère le désespoir comme une école d'ironie où elle ne s'interdit pas elle-même d'avoir son banc, comme à l'église. J'aime sa dureté presque aristocratique devant nos duperies et nos défaillances - les mêmes maux et les mêmes erreurs, "partout" mais "sous des formes différentes". J'envie sa sérénité bourrue, acquise contre toutes les failles, tous les tourments.
Une carrrière qui semble droite, verticale comme une ascèse, et qui est pourtant sinueuse, coupée de haltes, de retraites, de longues vacances. Yourcenar a su et a aimé voyager, aussi bien dans l'espace que dans le temps. "Un autre m'attend ailleurs, je vais à lui", annoncera Zénon à la veille de son périple, dans "L'Oeuvre au noir" (Prix Femina en 1968); cet "autre", ce n'est qu'une certaine idée de soi à éprouver, à conquérir, à connaître, sur le chemin de la sagesse.
Enfant, païenne déjà, devant les Turner de la Tate Gallery, elle forme à son insu une autre idée du monde: "au lieu de forces en équilibre, ces éléments fondus ou affrontés me préparaient à l'idée bouddhique du passage que j'allais m'efforcer d'absorber plus tard". En même temps, on lui devine une sensualité pleine, goulue, de chanoinesse. A force de caractère, rien d'autre, elle se forge l'âme d'un empereur romain du IIe siècle, elle est d'Espagne et de Grèce; elle devient homme, elle devient grec. Elle rêve qu'elle pisse comme un soudard au bord de la Via Appia, et des choses bien pires encore. Bah, que le ciel soit vide ne lui déplaît pas: elle préfère la géométrie à tous les psaumes. Platon déjà lui paraît suspect, comme s'il augurait saint Paul.
Voyager, c'est rompre, risquer, subir parfois - au tourisme, elle préfère la déambulation stoïcienne et promener son archet devant des ruines. Voilà l'usage du monde selon Yourcenar. C'est pourquoi, finalement, "peu d'hommes aiment longtemps le voyage, ce bris perpétuel de toutes les habitudes, cette secousse sans cesse donnée à tous les préjugés", dira Hadrien. Elle-même (dans sa conférence de Tokyo), si elle vante les bénéfices du voyage, insiste sur le prix à payer: "La connaissance de mondes étrangers, que ce soit dans le temps ou dans l'espace, a pour résultat de détruire l'étroitesse d''esprit et les préjugés, mais aussi l'enthousiasme naïf qui nous faisait croire en l'existence de paradis, et la sotte notion que nous étions quelqu'un".
Elle a été un infatigable pélerin en quête de vérité sur l'homme, puis sur la terre et le ciel, écologiste avant l'heure, préférant le Mont Fuji à la Coupole et les rives de l'Oronte au Pont-des-Arts. Elle a un côté Bodhisattva assis sous un érable. Avec elle, on ne s'ennuie jamais.
Voilà cette phrase «La connaissance de mondes étrangers, que ce soit dans le temps ou dans l'espace, a pour résultat de détruire l'étroitesse d''esprit et les préjugés, mais aussi l'enthousiasme naïf qui nous faisait croire en l'existence de paradis, et la sotte notion que nous étions quelqu'un «, et je succombe...
Pas de détours, pas de simagrées, mais la justesse et la sagacité.
Dès lors, embarquement immédiat pour ce voyage. Je partirai bien, d'ailleurs, pour suivre l'intégralité de son périple de vie.
Rédigé par : Anne Burroni | 08/05/2009 à 02:27
Voilà une présentation qui résonne énormément chez moi. Encore un auteur à la fois effrayant et qui donne en même temps envie de creuser plus avant pour ceux qui sont touchés, si je comprends bien.
Encore un auteur que je n'ai jamais lu, et c'est avec des mots comme ceux-ci Frédéric, que l'on a plus qu'une idée, s'y plonger rapidement. Quitte à être déçu ensuite, ou enthousiasmé. Tout dépend. Merci pour ces mots, vraiment.
Rédigé par : Claire Ogie | 08/05/2009 à 08:31
Merci pour cet éloge, vous me donnez envie de la relire.
Rédigé par : Loïs de Murphy | 08/05/2009 à 08:37
Je viens à l'instant de commander "Comment Wang-Fô fut sauvé" pour commencer. "Mémoires d'Adrien" et "Nouvelles orientales" sont en attente, au cas où je craquerais complètement.
C'est qu'il faut battre le fer tant qu'il est chaud ! ;-)
Rédigé par : Claire Ogie | 08/05/2009 à 08:50
Tout cela est vrai, mais avec un petit bémol (de taille tout de même) : on s'ennuie beaucoup en sa compagnie. Et son éloge de Mishima m'est toujours resté sur l'estomac comme un éloge de l'esthétisme fin de siècle, et un culte du Beau qui confine au ranci.
Rédigé par : mon chien aussi | 08/05/2009 à 09:23
Piégée par la belle énergie de votre texte, Frédéric !
Je n'ai jamais pris aucun plaisir à lire Marguerite Yourcenar, son style sans doute,"suprématie aberrante et lapidaire". "Vous avez-dit classique?"
En quelques mois deux personnes pour vous faire "découvrir" ou "redécouvrir" "la voix" de l'auteure. Vous, donc, et Josyane Savigneau, avec son livre "autobiographique", "Point de Côté", où elle nous dit l'amitié qu'elle vouait à Marguerite Yourcenar en même temps de l'amitié qu'elle voue à Philippe Sollers. De nombreuses pages y sont consacrées :
"La voix...Est -ce elle qui m'a menée vers Marguerite Yourcenar ?
En tout cas, personne ne m'a guidée, Marguerite Yourcenar est venue à moi toute seule, ou, plus exactement, je suis allée vers elle toute seule, sans conseil, sans recommandation. J'avais entendu une de mes profs vanter le style d'une femme portant ce nom bizarre, qui disait-elle, écrivait comme un homme, vivait dans une île lointaine, en Amérique, et avait, publié, en 1951, l'année de ma naissance, un gros roman historique, "Mèmoires d'Hadrien", devenu un classique. Quelque chose qu'on devrait absolument lire si, justement, on faisait des études de lettres classiques. Bref, tout ce qu'il fallait pour me détourner, à la bibliothèque , du rayon Yourcenar. Je n'aimais pas les romans historiques, et moins encore qu'on me dise ce qu'il fallait absolument lire, et ne pas lire".(p81).
"Etait-il paradoxal d'aimer à la fois Beauvoir et Yourcenar, qui n'avaient probablement aucune envie de se connaître, que tout opposait ?
Je ne le crois pas. Je n'aurais pas su analyser pourquoi l'une et l'autre me rassuraient, me confortaient dans ma décision de ne pas aller où l'on voulait m'emmener - en gros, dans une classe de lycée pour enseigner le français". (p.84). Point de Côté" , Stock, 2008.
(En ce qui me concerne, j'ai lu "tout" Beauvoir", et pour le moment, je n'aime que Beauvoir).
Mais je vais réviser mes jugements, cela ne fait pas de mal de temps en temps d'ouvrir les yeux, avec d'autres yeux.
J'avoue partager, ce goût du voyage et surtout de îles comme M. Yourcenar.
P.S Votre texte est très beau, Frédéric !
Rédigé par : Anne B | 08/05/2009 à 11:25
J'oubliais, de Josyane Savigneau, "Marguerite Yourcenar l'invention d'une vie", existe en Folio Poche, je n'ai pas lu ce livre, mais venant de la journaliste, je pense qu'il n'y a pas de louanges aveugles.
Rédigé par : Anne B | 08/05/2009 à 12:06
Marguerite Yourcenar écrivait magnifiquement et elle vous a inspiré, cher Fréderic Ferney, un texte touchant et superbe. Comme quoi, la fréquentation des grands auteurs attise toujours le talent de ceux qui en ont...
Rédigé par : Franck Bellucci | 08/05/2009 à 16:53
Hmmm, très beau texte, comme l'ont déjà dit les autres.
Et votre projet de web tv, ça se précise?
Rédigé par : ororea | 08/05/2009 à 18:48
Chers amis,
Le lancement de la nouvelle web-télé littéraire, "Le Bateau Libre", est prévu début juin.
Les deux premières émissions seront enregistrées en public le dimanche 31 mai, à 11h30 et 14h30, sur le bateau-restaurant "la Passerelle/Cap Seguin", à Boulogne. Les auteurs invités? Ah, ah, surprise!
Renseignements et inscriptions auprès de la secrétaire de l'association "Les Amis du bateau Libre", Catherine Dirand-Vial: il vous suffit de cliquer sur son adresse mail qui figure dans la colonne de droite de ce blog.
Amicales pensées et à bientôt,
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 08/05/2009 à 20:07
Que ceux qui préfèrent F.Ferney par l'écrit, on the blog, lèvent le doigt. Que ceux qui préfèrent F.Ferney par le son et l'image en distributeur de paroles d'écrivains, on the web-télé, lèvent le doigt.
Y en a qui trichent : car il faut choisir, l'un et l'autre seront-ils possibles ? A moins que le blog soit la version écrite, le roman, de la web-télé.
Mais si celle-ci supplante totalement celui-là, y en a qui vont râler. Dont moi.
Rédigé par : Critiquator | 09/05/2009 à 05:57
Tricheuse en ligne, tout, je prends tout ! les mots sur le blog et les mots en image. :o)
Avec un peu d'organisation, et pas trop d'exigence de notre part, ça doit être possible, non ? Genre un ou deux billets par semaine comme c'est plus ou moins le cas en ce moment.
Rédigé par : Claire Ogie | 09/05/2009 à 07:11
Oh oui! Les deux si possible!
Rédigé par : Ambre | 09/05/2009 à 16:21
A mon avis il faudrait un site avec un espace pour l'émission, un espace pour la critique de FF, et un forum pour commenter tout ça...
Rédigé par : ororea | 09/05/2009 à 18:59
Ce que vous décrivez, n'est-ce pas l'équilibre que chacun de nous doit atteindre, et si vous le comprenez et le décrivez si bien, c'est qu'au fond vous l'avez aussi, je présume.
La littérature, n'est-elle pas, en fin de compte, le meilleur espace pour communiquer, s'afficher et afficher ses convictions et ses idées, instruire et éduquer.
Merci pour tout cela.
Rédigé par : Marguerite YOURCENAR | 12/05/2009 à 12:16
Ce commentaire n'est pas écrit par M. Yourcenar, c'est une erreur de frappe qui s'est glissée involontairement.
Désolée.
Par contre, je l'ai écrit en lisant le résumé sur "L'art de voyager selon Yourcenar", que j'ai trouvé d'ailleurs intéressant.
Voilà encore une fois le commentaire:
Ce que vous décrivez, n'est-ce pas l'équilibre que chacun de nous doit atteindre, et si vous le comprenez et le décrivez si bien, c'est qu'au fond vous l'avez aussi, je présume.
La littérature, n'est-elle pas, en fin de compte, le meilleur espace pour communiquer, s'afficher et afficher ses convictions et ses idées, instruire et éduquer.
Merci pour tout cela.
Rédigé par : Fadila Ghanem | 12/05/2009 à 13:38
"Comment Wang-Fô fut sauvé" ou, comment faire pour qu'un petit garçon de dix ans et sa maman lisent ensemble Marguerite Yourcenar et découvrent avec plaisir les dessins de Georges Lemoine.
"Tu sais maman, hier au soir, après l'histoire de Wang-Fô, j'ai bien dormi ! ça m'a aidé à m'endormir. C'était beau."
Rédigé par : Claire Ogie | 13/05/2009 à 13:37
Dearest Friend, I knew I was in for a treat when I saw your header! I don't think I've ever seen cloeor cools in a photo before! Yet here they are, in one image after another. This sensitive exploration of the "humble" leaf so exquisite and delicate; it's shape like little flames, the details of the nourishment gathering veins, the light, and the awakening red buds. I rejoice in your sensibilities and revelations!
Rédigé par : Princess | 30/05/2012 à 05:26
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Rédigé par : Delly | 19/04/2013 à 08:58
Bien que la collection de sixbag sera exposée dans l'espace minimaliste, dans un contexte de troncs historiques LV, ils ne seront disponibles que sur commande spéciale. Les clients doivent passer leur commande en personne à la Louis Vuitton à Comme des Garons stocker pas de téléphone ni Internet les commandes doivent appliquer et en retour, ils recevront un titulaire de la carte spéciale en cuir naturel traditionnel de BT, en relief avec le Louis Vuitton à Comme des Garons signature . Après plusieurs mois, le sac (s) sera livré à leur magasin Louis Vuitton de choix.
Rédigé par : laboutin | 23/11/2013 à 20:19
L'art de voyager selon Yourcenar - Le Bateau Livre. Le blog de Frédéric Ferney
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Rédigé par : wpytbnmmxx | 01/12/2013 à 09:59