25 novembre
Rien de plus périlleux que de vouloir définir l'identité française. Invinciblement, on oscille à ce jeu de dupes entre l'histoire et la langue, l'idéologique et le sentimental, le juridique et le culinaire, l'épopée et la farce, Braudel et Renan, Charlemagne et Fernandel, Valmy et Waterloo, Barrès et Marie N'Diaye, les Montagnards et les Girondins, De Gaulle et Pétain, Jeanne d'Arc et Lacombe Lucien, le chant de Craonne et la Marseillaise, etc. Bref, on a forcément tort, on exagère. Comment espérer être d'accord? Ce serait bien la première fois, entre Français, qu'on tait nos dissensions et qu'on conjure les extrêmes!
Ma seule certitude: la culture, en France, forme un lien plus solide que la religion, la peau, le sang. Rien n'est plus éloigné de la tradition française que ce que les Américains appellent "l'ethnicité". On peut devenir français si on le veut, d'où qu'on vienne.
Après, tout se complique, comme dirait Sempé. D'abord nous ne sommes jamais las de prouver qu'on ne peut rien prouver: les preuves fatiguent la vérité, disait Braque. Qu'est-ce qu'un sceptique? "Désigne l'état ou le mouvement d'un homme qui prétend tout examiner, c'est-à-dire qui n'admet aucun genre de chose jugée. Il met et remet en doute ce que tous croient et disent, ce qu'il croit et dit lui-même, et s'attaque même de préférence aux choses sacrées, c'est-à-dire qu'il est défendu d'examiner", nous dit le philosophe Alain. On dirait une définition du Français.
Ce qui nous caractériserait, peut-être, et puisqu'il faut malgré tout tenter de le dire, c'est le refus de l'unanimité. Est-ce une force ou une défaillance? Les Allemands pensent. Les Anglais constatent. Les Français contestent. La "main de Thierry Henry" aurait-elle suscité un esclandre et une polémique nationale ailleurs en Europe? (Il est vrai que l'inénarrable M. Domenech fait de son mieux pour paniquer le plus fidèle supporter et attiser la controverse: on veut de l'épopée, de l'art, du panache, il nous fait du Labiche!) Comme nous sommes la nation la plus divisée de la terre, nous ne parlons que de notre unité: est-ce afin de conjurer la menace? Allez les Bleus, tu parles!
L'histoire a montré que nous étions d'autant plus désunis que nous étions plus menacés. Nos litiges, nos rivalités, nos querelles, nous révèlent et nous enchantent. On pourrait dire des "courants" à l'intérieur du Parti Socialiste, aujourd'hui, ce que Jules César disait, hier, des Gaulois: "Ils diffèrent les uns des autres par la langue, les coutumes, les lois". C'est une culture, le conflit. Pas qu'au P.S.! Cela suppose entre nous des liens subtils, des degrés de voisinage, de parenté, de connivence. Ainsi faisons-nous carrière dans le dialogue, dans le duel, dans le doute. A moi, comte, deux mots! Avec cela, nous sommes sceptiques avec aplomb. Notre idée du pouvoir? Faible mais absolu.
Comme si une distance intérieure, qu'elle soit sincère, ironique ou frivole, nous séparait de nous-mêmes. C'est, je crois, cette distance envers soi qui nous distingue, nous Français. Car tout est là, et puisque nous avons décrété que tous les hommes étaient égaux, il faut bien qu'on se distingue.
J'appelle cela: la vanité. Vous me direz: c'est humain. Vous me citerez Pascal: "La vanité est si ancrée dans le coeur de l'homme qu'un soldat, un goujat, un cuisinier un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs, et les philosophes mêmes en veulent, et ceux qui écrivent contre veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit, et ceux qui les lisent veulent avoir la gloire de les avoir lus, et moi qui écris ceci ai peut-être cette envie, et peut-être que ceux qui le liront..." ("Pensées", 627-150). Non, ce n'est pas humain, c'est français, la vanité - c'est une singularité nationale, comme le camembert ou le Gevrey-Chambertin.
On peut d'ailleurs y voir, après Montaigne, Montesquieu ou Stendhal qui eux aussi s'en amusent, le commencement d'une vertu utile à la société. D'abord, ça ne coûte pas cher à la collectivité. La vanité se contente de petits rien et se paie de mots: il suffit de se croire beau ou intelligent (ou même très méchant, si vous le souhaitez), on vous le dit, vous l'êtes, le tour est joué, on jouit pleinement de ce qu'on n'a pas! C'est un puissant facteur de cohésion nationale et de paix civile: le vaniteux s'estime moins lui-même qu'il n'estime le suffrage de la majorité, elle le rend solidaire. A sa façon, comme le corbeau de la fable, il partage!
Hier, les Français se croyaient le centre du monde, aujourd'hui ils doutent d'eux-mêmes. Sauf qu'hier ils doutaient déjà et qu'aujourd'hui, c'est plus fort qu'eux, ils se croient toujours le centre du monde. Rien ne change. Nous avons une fâcheuse tendance à prendre nos souvenirs pour des droits (de l'homme). Au-delà des contradicions ou des conflits qui l'affectent, la France demeure identique à elle-même: idéale, désenchantée, décevante, ancestrale, enracinée dans ses abstractions, réfractaire aux dialectes, aux tribus, aux idoles.
Et si, au fond, il ne s'agissait pas de rester français mais de le devenir. Européens, nous le sommes déjà. La France est un espace mental plutôt que natal, un objectif plutôt qu'un résultat, une illusion. Attention, une illusion, ce n'est pas la même chose qu'une erreur! C'est une idée enfermée sur elle-même, une subjectivité désirante, une croyance. Disons: une idéologie, il ne faut pas avoir honte. On peut par exemple croire à la révolution ou au paradis, jouer au loto, attendre le prince charmant, rêver de mettre une pâtée aux All Blacks... Personne ne pourra jamais vous prouver que vous avez tort. Je crois même que toute les valeurs (qui, paraît-il foutent le camp) sont des illusions. Peut-on s'en passer? Oui bien sûr, il suffit de renoncer au désir. L'humanité n'y survivrait pas, pas grave, mais la France!...
Pour finir, non pas pour clore le débat mais pour faire retomber la fièvre, écoutons ce cher Bardamu: "La race, ce que t'appelles comme ça, c'est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C'est ça, la France, et pis c'est ça, les Français". Belle devise pour un "ministère de l'immigration". Qu'en pense M. Besson?
"L'identité nationale" me déprime, mais votre billet m'achève...(aller, trois petits points...), Frédéric.
Sans doute un jour mauvais, où je pense à "ma" France "Moisie"!
Rédigé par : Anne b | 24/11/2009 à 21:18
Le souci c'est qu'on dit "identité française" et que la majeur partie du monde pense "identification du français". La France a-t-elle une identité ? Certainement, mais elle ne peut pas se concevoir par une appartenance de chaque partie, sinon ce ne serait qu'un ramassis d'identités individuelles. Qu'est-ce qu'une identité en fait, collective ou individuelle ? Il faudrait poser cette question avant de réfléchir à sa représentation ou son processus de construction. De quoi parle-t-on, l'identité est-elle une dynamique réflexive ou au contraire se projette-elle, socialement, vers une alterité ? Il me semble en tous cas que l'Etat tel qu'il est organisé depuis quelques siècles est le dernier des points de vue duquel on peut entrevoir quelque chose sur cette question. Il est même possible que la France n'existe plus, qu'il ne s'agisse plus que d'une entité vaguement délimitée territorialement, je préfère personnellement, et c'est d'autant plus vrai lorsque voyageant je retrouve tous ces exilés français, autrefois cerveaux en fuite désormais simple classe moyenne, l'idée de Nation comme projet culturel, projet d'échange et de diffusion de représentations du monde et non comme un musée dont les oeuvres bâchées hanteraient des esprits insomniaques.
Rédigé par : ropib | 24/11/2009 à 23:23
Nous passer au crible.
Ceux qui sont vaniteux à droite, les autres à gauche.
Ceux qui pensent que le monde tournent autour de notre pays, à droite. Ceux qui pensent que la terre tourne et puis c'est tout, à gauche (ceux qui pensent que le soleil tourne autour de la terre, à gauche, incultes).
Ceux qui ne s'intéressent pas au foot : qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de vous? Faites un effort, on vous met tout à portée de main. C'est quand même un monde de ne pas arriver à se positionner, au moins sur la couleur d'un maillot quoi.
Faudrait le recoudre, Mr Ferney votre texte, et bien le repasser, parce que là, il n'est pas plié comme il faut le débat.
Je radote mais c'est pas l'identité qui est nationale, c'est la carte. Regardez ce que recopie la caissière au dos du chèque : CNI N° 000XXXXXXX.
Le "N" est au milieu. Pourvu que ça ne change pas.
Tous parents, tous différents.
Tous français, tous fromages.
Rédigé par : mme petit poisson | 25/11/2009 à 10:26
Un de vos plus remarquables billets...Un mélange aristocratique de Fink et de Bhl, sans l' aigreur du premier ou l'emphase du second...
...Manque plus que le commentaire enamouré d'or,eau et Râ
Rédigé par : hanse | 25/11/2009 à 13:17
J'ai l'impression que j'écris trop donc je vais m'absenter un peu du blog.
A bientôt!
Rédigé par : ororea | 25/11/2009 à 18:04
Ce billet est fiévreux, température élevée, brûlante, un souffle de révolte, une fébrilité inspirée. Magnifique.
Ah non, ne jamais "renoncer au désir".
"J'appelle cela: la vanité. Vous me direz: c'est humain. Vous me citerez Pascal..."
Non non, je ne vous dirai rien du tout, je vous lis et c'est jouissif.
Rédigé par : Ambre | 25/11/2009 à 18:23
Chez Marie NDiaye et sa « France monstrueuse de Sarkozy » qui semble inclure les électeurs qui l’ont élu Président, dans son refus de nuancer ses propos suite à l’intervention d’un Raoult plus opportuniste que jamais, et qui, du coup, prend pour cible une bonne partie de la France, on pourra y voir un lapsus qui nous donnera à comprendre ce qui suit : l’ambivalence chez un citoyen français issu de la colonisation et de l’immigration de ses sentiments à l’égard de son pays d’adoption - pays autre que celui de ses origines…
Citoyen français qui peut aussi avoir été en partie lésé, sinon abandonné, par l’histoire culturelle de cette autre identité dont il lui faut, non sans difficulté, assumer bon an mal an l’héritage ; difficulté à la racine de laquelle on trouvera un pays des origines dont les mœurs, us et coutumes à la fois sociales et politiques lui sont étrangers ; et parfois même : pays de la honte car entaché de non-droit, corruptions, injustices sans nombre, pauvreté et parfois misère que des médias impitoyables ne manqueront pas, sans retenue ni nuances, de relayer jour après jour ; médias qui ne s’occupent que des crimes et châtiments de l’homme qui n’est qu’un loup pour quiconque a la faiblesse de se montrer brebis…
Et alors que ce Français du Maghreb ou d’Afrique noire aura pour principal référant la figure d’un homme blanc au passé colonial couvert d’opprobre, pour un peu détestable, mais qu’il ne peut décidément pas se résoudre à haïr, sinon au prix d’un préjudice moral important, étant lui-même ce que l’on pourrait appeler un noir-blanc, parfois plus blanc que noir ; sans compter les fois où il peut être plus blanc que blanc, tout en restant, néanmoins, confronté, encore et toujours, à cette identité des origines d’une inutilité patente telle un boulet et handicap majeur…
Français à qui il peut être donné de réussir, ici, dans ce pays qui l’aura nourri, et qui se trouve bien en peine de lui rendre quoi que ce soit puisque c’est ailleurs qu’il lui faudra aller chercher ce qu’il pourrait lui offrir en retour, et que ce pays, qui peut être la France, refusera très certainement de recevoir de lui qui s’interdira alors une telle démarche pour toutes les raisons énumérées précédemment.
***
Ne finit-on pas toujours par mordre la main qui vous a nourri quand le destin vous a refusé une autre main qui aurait dû, elle aussi, vous soutenir et contribuer à faire de vous un adulte et un tant soit peu autonome ? Une main qui, pour votre malheur, n’aura ni su ni pu le faire…
Car…
Derrière chaque adoption il y a toujours un abandon ; et rien ni personne, jamais, ne peut remplacer ce qui aurait dû être sa famille, qu’elle ait été absente ou bien, écrasée par le poids culturel d’une autre famille dite d’accueil, et plus encore lorsque l’histoire et la culture de cette famille des origines sont jugées par l’intéressé même et toute la société avec lui, infréquentables jusqu’à… l’irreprésentable.
Reste alors ce lapsus compensatoire : « La France monstrueuse de Sarkozy » sans autre formalité.
Aussi…
Pas de re-connaissance à attendre de qui que ce soit, avant une bonne dose d'injustice.
Souvenons-nous : qui que nous soyons, quelle que soit notre histoire, n’est-ce pas là le prix que l'on se paie à soi-même et que l'on fait payer aux autres, sans toutefois jamais cesser d'éprouver à leur égard cette re-connaissance que l’on s’interdit encore, pour l’heure, et à notre issu, d’exprimer, aveuglé par ce vertige qu'est la vie qu'il nous faut construire, seul et tragiquement responsable dans la réussite comme dans l'échec, dans l'harmonie comme dans le chaos.
Rédigé par : Serge ULESKI | 27/11/2009 à 21:37
It's wodnefurl to have you on our side, haha!
Rédigé par : Lorena | 19/04/2013 à 07:26
What a neat atcrile. I had no inkling.
Rédigé par : Xannon | 19/04/2013 à 07:26