28 décembre
LU : « Un chien mort après lui » de Jean ROLIN (P.O.L.).
Le titre de son livre lui a été soufflé par une phrase de Malcolm Lowry.
Parenthèse : si vous devez lire en français « Under the volcano », lisez-le dans la traduction de Jacques Darras (Grasset, Cahiers rouges) qui a aussi retraduit « Feuilles d’herbe » de Walt Whitman. D’ailleurs, le titre, c’est ce que j’ai le moins aimé dans le livre de Jean Rolin. J’ai aimé tout le reste. L’exergue est emprunté à un livre de Clifford D. Simak, « Demain les chiens » », l’un des rares auteurs de science-fiction avec Ray Bradbury que j’arrivais à lire dans ma jeunesse : « Si l’Homme avait suivi une autre route, n’aurait-il pas pu, avec le temps, connaître un aussi grand destin que le chien ? ». Ce qu’il y a de bien avec la littérature contemporaine, c’est que les thèmes hallucinés de la science-fiction d’hier y sont devenus des sujets de reportage.
Dès la première phrase de Rolin, on est embarqué : « A peine étions-nous installés à l’hôtel Kasar que nous y avons reçu la visite des flics ». L’Hôtel Kasar, nous est-il précisé, est situé à Turkmenbachy (autrefois Krasnovodsk) sur le littoral de la Mer Caspienne.
Le littoral, c’est un motif qu’affectionne Rolin : il aime le vent, la pluie, les ports quand ils ne sont pas de plaisance, c’est à dire immobiles, disgraciés, industriels. Son rêve, c’était les gens qui ont une âme et de grosses mains, il y en a tant, et souvent oubliés, ivres, cabossés, ouvriers, aventuriers, syndicalistes, conteurs solitaire, parfois enclins à brandir leurs griefs et leurs poings. Fils de bourgeois, Rolin a travaillé jadis en usine par morale politique :peu dans sa génération ont eu ce courage, quoi qu’on dise ; il a raconté cet épisode de sa vie dans un roman « L’Organisation » (Prix Médicis en 1996). Rolin est resté un fanatique, par d’autres moyens, qui sont subtils et littéraires. Il incarne une forme de préciosité hyper-contemporaine, une élégance désenchantée devant les entropies du progrès (ou du capitalisme, si l’on veut), une exigence, qui font de lui un chouchou de « Libé » ou des « Inrocks ». A gauche, il a la carte, comme ont dit, et les snipers des pages « Lettres » l’épargnent. Il ne touche pas le grand public, il a une audience. Mieux que des lecteurs : des adeptes. C’est ça, la mode, ça peut frapper les meilleurs.
Ce n’est pas un roman mais, chez Rolin, la pente documentaire est un tremplin à fiction : pour le meilleur ou pour le pire, il y a plus d’imagination dans le réel que dans tous les rêves. Il montre ce processus chez Flaubert, lui aussi fasciné par les chiens errants, et qui note pendant son séjour en Egypte : « Des chiens libres dormaient et flânaient au soleil ; des oiseaux de proie tournaient dans le ciel. Chien déchiquetant un âne…, c’est toujours par les yeux que les oiseaux commencent, et les chiens généralement par le ventre ou l’anus ». Dans « Salammbô », cela devient : « Quand la nuit fut descendue, des chiens à poil jaune, de ces bêtes immondes qui suivaient les armées, arrivèrent tout doucement au milieu des Barbares. D’abord ils léchèrent les caillots de sang sur les moignons encore tièdes ; et bientôt ils se mirent à dévorer les cadavres, en les entamant par le ventre ».
Ce n’est pas non plus un récit de voyage ou alors, tout est voyage.
Donc oui, embarqués : Bangkok, Beyrouth, Mexico, Sydney, Moscou, le Lac Tanganyka, Le Caire, à la poursuite d’une population solitaire et hargneuse qui remplacera peut-être un jour les hommes : les chiens errants. On est toujours loin, dans les marges, dans la banlieue, dans la zone, à la limite du légal et du visible. J’insiste : le genre de Rolin, ce n’est pas la littérature de voyage à l’anglaise (où le monde est toujours plus riche et plus divers que soi, à l’envers du goût français où le moi prime). Le périple est intérieur. La pente pourtant ne devient pas mystique. Ce que décrit Rolin, ce n’est pas « l’usage du monde » comme Nicolas Bouvier, c’est sa disgrâce.
Par ailleurs, l’écrivain le plus aventureux peut être aussi le plus sédentaire : Proust par exemple que Rolin admire au même titre que Conrad ou Stevenson
A LA MESURE DU REGARD
Le chien errant
Trouve toujours
Le monde disgracieux
Preuve certaine
Qu'il ne l'a pas rencontré
Sur le littoral
Auprès duquel il cabote
Regardant l'ombre de ses cils
Défigurer le ciel vert
Et les couleurs du printemps
Rédigé par : gmc | 28/12/2008 à 22:19
Alertée par Eric Poindron, j'ai voyagé jusqu'ici. C'est un lieu qui me plaît beaucoup et je compte venir souvent me bronzer au soleil de la culture. Amicalement.
Rédigé par : ariaga | 29/12/2008 à 16:11
Merci à vous,aussi pour Malcom et Nicolas et merci aussi aux couleurs de gmc.
..."Whatever goes to the tilth of me, it shall be you!
You my rich blood! Your milky stream, pale strippings of my life.
Breast that presses against other breasts, it shall be you!
My brain, it shall be your occult convolutions."...
W.Whitman. (extrait de Song of myself).
Rédigé par : Sylvaine Vaucher | 29/12/2008 à 18:15
Lire une page de Whitman par jour: le meilleur anti-dépresseur que je connaisse.
L'idéal, évidemment, c'est de passer une nuit seul dans la forêt (ça, c'est le remède de Jim Harrisson), en déclamant les longues strophes de "Feuilles d'herbe", strictly for the birds, avec une tablette de chocolat et une bouteille de Gevrey-Chambertin en guise de viatique.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 30/12/2008 à 08:14
Bienvenue au club! Mais vous serez peut-être déçue: je ne me soucie pas de la culture, je ne m'intéresse qu'aux sensations.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 30/12/2008 à 08:18
Aah la sensation de FF qui [censuré, censuré, censuré, censuré), non scusez, je m'égare...sinon comme poète que j'aime bien ya Gongora, rien que le nom sonne...
Rédigé par : ororea | 30/12/2008 à 15:52
On the beach at night alone (je préfère la mer)
Pour l'antidépresseur oui c'est comme...
"This vast similitude spans them, and always has spanned,
And shall forever span them and compactly hold and enclose them"
Rédigé par : Sylvaine V. | 30/12/2008 à 19:14