23 janvier
LU : "Journal de deuil" (26 octobre 1977-15 septembre 1979) de Roland BARTHES (Seuil/Imec).
Roland Barthes a commencé ce journal le 25 octobre 1977, au lendemain de la mort de sa mère qu'il n'avait jamais quittée, et avec qui il vivait en symbiose depuis de longues années. Il écrit à l'encre, parfois au crayon, sur des fiches qu'il découpe lui-même (au format 100x150mm), chez lui à Paris, en voyage ou dans sa maison familiale à Urt, près de Bayonne. Mariée à Louis Barthes à 20 ans, mère à 22, veuve de guerre à 23, Henriette née Binger avait 84 ans. Pour Roland, orphelin et définitivement seul, la question n'est plus désormais: comment vivre? mais: pour qui? Rien ne peut plus s'accomplir, tout lui paraît futile et vain, et pourtant, aux plus bas étages de l'abandon, il se ressemble, il se décèle à son goût de l'introspection inquiète, à certain émois qui sont son style même, comme s'il était depuis toujours décharmé du monde sans être dégoûté de soi. Sa mère morte, il lui survivra trois ans.
Le journal intime, ça part des lacs de montagnes et de l'immobilité de la neige (1), ça se souvient de Rousseau, d'Amiel et de Benjamin Constant, faux maris, pères nuls, amants distraits, avec des rêves de séminaristes et des odeurs de vieux garçons. N'est-ce pas, à l'origine, le maigre tribut du calvinisme genevois, épris de confession publique, à l'écriture du moi - toujours grave, chuchotée, confidentielle, à la fois piteuse et triomphale? Ca vient d'un siècle qui a allumé les lumières, fait couler les larmes et rouler les têtes. Ca passe par les ancêtres Hugo et Chateaubriand, puis Gide et Barrès, puis Aragon, Drieu La Rochelle et Malraux, avec leurs ambitions dévoyées, fascistes ou libertaires. Parfois, on ne sait plus s'ils sont purs (et durs) ou malsains, ces doctrinaires de l'âme. Et l'on s'étonne qu'ils fassent encore battre notre coeur à une vitesse exagérée.
Par réaction, cela rendra possible l'ère du soupçon, dévastée par la mort de l'auteur et le déclin du romanesque, où Barthes paraît, inactuel comme une rose en hiver - tel qu'en lui-même, médiatique et secret, magistral et sentimental, méditatif et charnel, moderne et vieux jeu, draconien et douillet. D'un côté, chez lui, le structuralisme, la quête de l'invariant, la thèse (et quelques foutaises); de l'autre, l'aléa, le trait subjectif, le haïku, l'amitié, l'aveu, le pli, la panne, la mère, le désir de roman, la diction du désir, la déception amoureuse, le ravissement érotique, etc. (Le "etc." faisant lui-même partie de l'inventaire).
Au moment où Foucault prononce la mort du sujet, comme l'effacement d'une trace chétive sur le sable, Barthes écrit "R.B. par R.B.", prenant à la lettre le titre de la collection du Seuil: "Les écrivains par eux-mêmes". En étant à lui-même son sujet préféré, Barthes a su mettre un nom sur nos mythologies, nos fantasmes, nos défaillances. Il est le seul héritier des "Genevois", impudiques mais convenables, rougissants et enclins à polir leurs émois en cachette. Après lui viendra le temps de l'autofiction, ce sera autre chose.
L'examen de conscience: qui dira la jouissance de ce rite puritain dans le coeur d'un intellectuel et d'un homme sensible? Il met "sa volupté à surveiller ironiquement son âme si fine et si misérable", dira Barrès de Benjamin Constant. On pourrait en dire autant de Roland Barthes. On se palpe, on se hume, on se caresse. On est à soi-même la faute, le fauteur et le confesseur. On a commis en songe des actes abominables, il faut les dire, non c'est trop horrible, si! non! c'est ma très grande faute, mon Dieu, je ne puis, je ne veux, bon, si vous insistez... non pas de photos s'il vous plaît!
Le Moi comme un supplément exquis accordé à l'intelligence critique, comme un spectacle, offert aux happy few. Il y a aussi, chez Barthes, hanté par le soupçon permanent de l'imposture (et de la "banalité"), une sorte d'entrain à s'accabler, à se morfondre, à se montrer défaillant et nul, avec lequel il lui est difficile de rompre. (Drieu fut sans doute le plus doué, le plus extrême dans le dénigrement narcissique). Il va sans dire qu'à ce jeu-là, il faut être sincère jusqu'à avouer des turpitudes imaginaires, et consentir à être soi, comme à une fiction: "Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman...", ben voyons!.
Au sein d'une panoplie du plaisir et du texte, Barthes semble, après la perte de sa mère, s'adonner à une liturgie célibataire vécue comme une sécession désespérée: à la fois il souffre, il pense, il se souvient, il se contemple, il se dorlote. "Désespoir: le mot est trop théâtral, il fait partie du langage. Une pierre". Il préfére: le chagrin, l'abandon, les larmes. La couleur du deuil, chez Barthes, c'est le blanc - celui de la page qui l'attire de sa viduité tourbillonnante, comme la nageoire mortelle de Moby Dick. Il dit ne plus vouloir ni ne plus aimer. Il ne sait plus qu'attendre et frémir. Au vrai, il travaille, il n'a jamais autant travaillé, comme s'il était soudain dégrisé, curieux, insatiable et sans illusion sur ce qui sera, sachant le temps compté. Orphelin et roi, comme Proust?
Plusieurs de ses travaux, de ses livres, de ses conférences, à cette époque (dont "La Chambre claire" et son cours du Collège de France sur le "Neutre") sont écrits sous l'ombrage de la mère morte. "On ne lit pas ici un livre achevé, dit Nathalie Léger (qui a établi et annoté le texte), mais l'hypothèse d'un livre désiré par lui". Désirer une hypothèse, c'est tout Barthes, cela. Pour le reste, il sent bien que le "deuil" (il dit: "la dépression") est autre chose qu'une maladie: "De quoi voudrait-on que je guérisse?.." Un psy dirait qu'il est éperdûment amoureux de ses symptômes. Il renonce et il consent, il prend le voile: "C'est ici le début solennel du grand, du long deuil". Et il ajoute: "Pour la première fois depuis deux jours, idée acceptable de ma propre mort". Il feint de guetterr la naissance d'un désir d'après-la-mort-de-la-mère. Il n'y croit pas trop. Il s'oblige à vivre. Il sait qu'il va sombrer corps et âme, et que rien ne peut plus le sauver, comme Lewis Payne, ce jeune homme si beau, condamné à mort en 1865 et photographié avant son exécution par Alexandre Gardner: "Il est mort et il va mourir", écrit Barthes dans "La Chambre claire".
Même quand il se révolte, il reste grammatical: "Dans la phrase << Elle ne souffre plus >>, à quoi renvoie : << Elle >> ? Que veut dire ce présent?" Avec lui, il s'agit toujours de conjuguer l'auxiliaire être (plutôt qu'avoir), à tous les temps, en variant les adverbes: toujours, jamais, souvent, parfois ou peut-être. "Je ressens toujours d'une manière poignante que souvent j'écris pour être aimé, parfois de tel ou tel, et en même temps je sais que cela ne se produit jamais, qu'on n'est jamais aimé pour son écriture", dit-il (en février 1977, dans un entretien avec Jean-Marie Benoist et Bernard-Henri Lévy).
Sur le premier point, il avait raison; sur le second, il avait tort.
(1) Proust parle subtilement de "cette tristesse annonciatrice de la neige". Voir "Précaution inutile" de Marcel Proust, édition présentée par Frédéric Ferney, Le Castor Astral, 2008.
"Et l'on s'étonne qu'ils fassent encore battre notre coeur à une vitesse exagérée",oui, oui, pour moi c'est ça Roland Barthes, c'est ma vie d'étudiante, des nuits d'insomnies avec ses livres à mon chevet, des discutions qui semblaient n'avoir ni commencement ni fin avec les amis, ma petite révolution littéraire me propulsant chez Bataille, Ponge et Sollers, un monde en plus, un monde en trop, un monde nouveau.
Une nouvelle vie pour moi, alors que lui avait déjà perdu la sienne.
Pourquoi dit-il que l'on n'est jamais aimé pour son écriture ? C'est bien Roland Barthes, non ?
"Journal de deuil", c'est un inédit pourquoi apparaît-il si tard ?
Rédigé par : Anne B | 23/01/2009 à 00:54
"Par trois fois : j'entre dans un restaurant, plusieurs salles, un long couloir, des escaliers, et là-dessus je tombe, quand même stupéfait, sur Roland Barthes. Il est assis à une table, en train de dîner avec quelques personnes.
L'atmosphère est, comment dire, balzacienne. Car la réunion est secrète. Ce genre de clandestinité que Balzac s'inventait.
— Ah, vous voilà !
— Mais, vous n'êtes pas mort !
— Bien sûr que non. Asseyez-vous. Surtout, n'en dites rien.
— Comptez sur moi.
Et je comprends, tout est limpide maintenant, que sa mort n'a été qu'un complot, un stratagème ourdi par lui, pour avoir la paix, recommencer sa vie."
Frédéric Berthet, "Roland Barthes" in "Paris-Berry", Gallimard, 1993
Rédigé par : julien de kerviler | 23/01/2009 à 05:16
"Julien de Kerviler" ?...
Joli ce pseudo - si c'est un pseudo ?!
Ce qui expliquerait ton élégante chevalière, ton aristocratie innée et inouïe...
Bises.
Eric - alias l'autre fantôme de l'opéra.
Rédigé par : Eric Poindron | 23/01/2009 à 08:27
J'aime bien ce texte de Frédéric Berthet !
Rédigé par : Anne B | 23/01/2009 à 12:09
Mystère
Qui est Julien de Kerviler? Un pote breton à FF ou la partie bretonne refoulée de FF? Ca voudrait dire toute une oeuvre inexplorée...et de ma communauté, en plus...
Rédigé par : ororea | 23/01/2009 à 15:49
STRUCTURALISME DES NOIX DE CAJOU
Le journal du deuil
C'est l'album Panini
De Roland Barthes
Un sale garnement
Appelé destin
Arrache un décalcomanie
Et voilà le bambin
Qui se morfond
Confondant paluchage
Et implacabilité
Rédigé par : gmc | 23/01/2009 à 16:28
J'avais trouvé son adresse dans un Paris Boum Boum, celle de Jean-Louis Bouttes, maître de conférence en Littérature comparée à Nanterre qui avait été un fervent disciple de Barthes, parce que je ne comprenais rien à mon cursus par téléenseignement de Lettres Modernes à Paris III. J'étudiais Iphigénie que je trouvais sublime mais j'étais incapable de faire un commentaire composé. Il m'a donné le Sur Racine de Barthes ainsi que ses oeuvres complètes ... que je trouvais fascinantes bien que cela me barbait aussi, n'étant pas bien constituée pour les études. Je me souviens aussi que pour contrebalancer l'étude structuraliste des textes, monsieur Bouttes m'avait aussi donné un livre de René Pommier qui est aussi bien intéressant, une autre école, (dont on trouve le site en ligne de ses écrits qui démontent beaucoup de la foutaise qui fait aussi partie de cette approche du langage dans les grands textes). Même ses fragments d'un discours amoureux n'ont pas réussi à me transcender, je me disais que quelque chose en moi devait clocher tout bonnement, à l'époque. Et souvent encore quand je lis comment on désosse des textes, ça me fait mal pour l'auteur ! Pauvres squelettes !
En revanche, une seule ligne de Proust et je me pâme !
L'article que Jean-Louis Kuffer consacre sur la Toile à ce livre, "Précaution inutile" que vous présentez donne l'eau à la bouche. Je vais le lire.
Incroyable cette phrase : "la tristesse annonciatrice de la neige" ... quand on aurait pu penser l'inverse.
Rédigé par : ardente patience | 23/01/2009 à 17:45
Julien de Kerviler est auteur. A le lire, on croirait difficilement qu'il soit le "pote" à qui que ce soit. Rare et discret, profond, familier des abîmes, c'est l'impression que m'a laissé feu son blog.
Rédigé par : ardente patience | 23/01/2009 à 17:47
Ah dommage, un FF au pseudo breton, ça me faisait rêver...
Rédigé par : ororea | 23/01/2009 à 19:34
Je me demandais si ce n'était plutôt Kervile n
Rédigé par : RomainM | 23/01/2009 à 20:33
non non Kerviler :
http://www.lequartanier.com/auteurs/kerviler.htm
Ils se ressemblent de dos...
Rédigé par : ororea | 23/01/2009 à 21:31
Présence des happy fews, ascèse individuelle. Vive le numérique et l'immédiat. Toujours une question de vitesse. Jolie interview sur FInter, merci à David d'avoir aidé à mettre le bateau à l'eau.
Au plaisir de vous lire.
Rédigé par : Raphaël Labbé | 28/01/2009 à 08:50
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ルイヴィトン ファスナー http://www.theenidi.com/%e3%83%ab%e3%82%a4%e3%83%b4%e3%82%a3%e3%83%88%e3%83%b3-%e3%83%95%e3%82%a1%e3%82%b9%e3%83%8a%e3%83%bc-2013%e4%ba%ba%e6%b0%97-%e7%b4%a0%e6%99%b4%e3%82%89%e3%81%97%e3%81%84%e8%a3%bd%e5%93%81
Rédigé par : ルイヴィトン ファスナー | 09/09/2013 à 06:37