24 janvier
LU: "Tristes Pontiques" d'OVIDE, traduit du latin par Marie DARRIEUSSECQ (chez P.O.L.).
Les élégies d'Ovide, écrites en exil sous forme de lettres, sont habituellement présentées en deux parties, les "Tristes" et les "Pontiques"; Marie Darrieussecq les a réunies dans un recueil, "Tristes Pontiques" - joli titre! la romancière se souvient de son passé de latiniste et lance en passant une oeillade discrète vers Lévi-Strauss, l'auteur de "Tristes Tropiques" en 1955.
Par endroits, ce texte du Ier siècle tinte comme les "Ballades " de Charles d'Orléans, le plus décadent et le plus délicieux des poètes courtois: grand seigneur pas méchant homme, ce chevalier s'adonna à l'élégie après la défaite d'Azincourt, pendant les vingt-cinq années que dura sa captivité en Angleterre, oscillant entre Mélancolie et Nonchaloir. J'exagère avec ma comparaison? Un peu mais pas tant que ça! Ovide est aussi un homme de la bonne société, un poète de cour, déjà un peu Arlequin dansant sur le pouf de Cocteau, aimant à briller et y excellant. Le voilà soudain frappé par la foudre et condamné à l'exil - un châtiment pire que la mort pour un Romain. Adieu les plaisirs et les jours! Adieu aux belles, Corinne, Didon ou Phèdre! Il ne vivra que dans le souvenir, dans l'allégorie de ce qu'il a perdu, avec une tendre et poigante ironie.
Deux mille ans nous sépare de lui; la traduction limpide, légère, de Marie Darrieussecq nous le rend infiniment proche. Il y a dans sa traduction, très écrite (presque an an de sa vie, dit-elle) une sensualité que je ne trouve pas toujours dans ses romans. Ce qui touche d'emblée, c'est la simplicité de ce texte: un homme s'avance devant nous, élégant malgré sa toge qu'on imagine élimée, peut-être souillée de boue ou de crotte de poulet, il nous parle; il a été arraché à ses amours, à ses fontaines, à ses ivresses; il a été un auteur célèbre et fêté de son vivant. Un jour, en l'an 8, il a déplu à Auguste (qui cette fois a ignoré sa clémence): le poète est contraint de s'exiler à Tomes, en Mésie - l'actuelle Constantza en Roumanie - aux confins de l'empire, parmi les brumes du Pont-Euxin. Un pays hostile, marécageux, sans arbres, livrés aux oiseaux migrateurs, coin! coin!... où sont les oies grasses du Capitole qui cancanaient le romain couramment en cas d'urgence? "Plus loin il n'y a que l'eau / les marais du Tanaïs / les derniers noms épars / après on ne sait pas / Le froid inhabitable / rien".
C'est un peu comme si on envoyait Jean d'Ormesson vivre à Cuiseaux-Louhans ou Sollers chez les Tupamaros! Pire sans doute. (Les Indiens ont le câble et fument des Marlboro. Quant à cette commune de la Bresse, connue pour son Hôtel-Dieu médiéval et ses arcades, elle cache, parait-il, une vie mondaine brillante). Les habitants de Tomes sont des brutes vêtues de peaux de bêtes; ils ne savent ni lire ni écrire, ils ne parlent ni le grec ni le latin. Comment Ovide n'est-il pas devenu fou de retomber à l'âge de fer?
On sent que la dépression le guette: "Le barbare ici c'est moi / personne ne me comprend / et ces Gètes stupides / rigolent quand je parle latin". Alors, il écrit, il écrit, à l'empereur qui reste impavide, il écrit pour lui-même, il ne dort pas, il écrit encore, le jour, la nuit, comme un naufragé de son radeau jette une bouteille à la mer. Il lui reste un ou deux amis fidèles, les autres se taisent, l'oublient, le plaignent de loin, compatissent, pas si mécontents au fond, sans oser se l'avouer à eux-mêmes bien sûr, de cette disgrâce qui écarte un rival plus doué qu'eux en poésie.
Qui lui rendra le Tibre et le Mont Palatin? Il se souvient de l'eau si pure des sources de Rome, des bibliothèques, des vignes, des "corps nus dans les moissons", de beaux esclaves. C'est un petit Timon d'Athènes, amer mais veule: il ne se sent pas, mais alors pas du tout, l'âme d'un héros! Il est malade de nostalgie. Il se sent merdique. Il est un pantin, et il le chante. Il module sa plainte en rêvant mollement d'un monde où les amours et les dieux lui sourient. J'ai parlé de Charles d'Orléans, on songe aussi parfois, dans la nostalgie des étés, à Garcia Lorca, je le jure!
C'est peut-être à cause de la douceur. Il a aussi un petit côté André Chénier levant sa coupe à Optimus Maximus et Junon, allongé sur un coussin. Il y a une sorte de fraternité immédiate entre les poètes élégiaques. La corde qu'ils pincent est universelle.
J'crois bien que c'est Louhans-Cuiseaux, cher Frédéric Ferney, et j'crois même que ce n'est pas une commune mais la réunion de Louhans et de Cuiseaux pour faire un club de foot, mais est-ce bien important ? je me le demande.
Hier Berthet, aujourd'hui Pline le Jeune :
"Quant à moi, je pense que sont heureux les gens à qui il a été donné par la faveur des dieux soit de faire des choses à écrire soit d'écrire des choses à lire, et que sont les plus heureux les gens à qui ces deux facultés ont été données."
Lettres, VI, 16
Rédigé par : julien de kerviler | 24/01/2009 à 03:27
Ces deux textes avaient déjà été rassemblés chez Actes Sud Thésaurus, mais une nouvelle traduction réussie c'est bon à prendre
Bravo pour ce blog qui comble l'absence de votre émission télé
Rédigé par : Dominique | 24/01/2009 à 08:33
Pauvre Ovide, lui qui a consacré sa jeunesse à célébrer l'amour!
Il est loin de ses premiers succès chez les rétheurs, de ses voyages, quelle brutale disgrâce!
Errer, s'enliser, douter, pleurer sur les bords inhospitaliers du Pont-Euxin, en effet c'est difficile de ne pas sombrer dans la folie, les muses furent sa seule consolation.C'est terrible l'exil !
C'est Dantesque!
Poverino!
(Sollers laissez-le-moi)
Rédigé par : Anne B | 24/01/2009 à 09:05
MANGER DES FRAGRANCES
L'exil est un parfum
Dont s'enivrent les escort girls
Hétaïres aux seins lourds
De tous les arômes
Portés par l'évanescence
Des faubourgs d'empire
L'exil est une caresse
A l'onctuosité prégnante
Pure invention sexuelle
Dont la saveur palpébrale
Fait frissonner les lèvres
D'une humide ferveur
Les mondains s'oublient
Dans leurs exils dorés
Qu'ils jugent saumâtres
Par manque d'un public
Pour admirer les exploits
Qu'ils croient réaliser
Rédigé par : gmc | 24/01/2009 à 09:48
C’est vrai il ne faut pas oublier ces évêques qui parlent latin, ce n’est pas que de la cendre et du menu fretin. Dois-je lire ici une apologie sur la réécriture des genres ou une nécromancie post champs-élyséenne.
Rédigé par : Sylvaine | 24/01/2009 à 13:40
@ Julien....faites-vous partie du PSG année 1971 ?
@Anne je vous renvoie Pétrarque..."Duolsi che morte abbia estinto il sol dell'umana bellezza, e che egli non ha altro confortato che di vederla, o in sogno o nell'imaginazione"
@gmc...sans m'exiler je préfère "Le Parfum"
Rédigé par : Sylvaine bis | 24/01/2009 à 13:59
Je vois, je vois..., Ovide a fait un blog depuis la Roumanie (commentaires fermés et avec les moyens de l'époque). Pour se consoler d'avoir été renvoyé.
Rédigé par : mme petit poisson | 24/01/2009 à 16:26
C'est par l'écriture qu'Ovide parvient malgré tout à tenir le coup et
il le dit clairement. Il écrit en pleine tempête sur le bateau qui le
conduit vers l'exil, il écrit quand il découvre cette terre
inhospitalière qu'est l'embouchure du Danube, il écrit pour
interpeller ses anciens amis, il écrit pour continuer à exister au
milieu des « Barbares » qui ne parlent même pas latin. C'est à un exil
culturel qu'il a été condamné et c'est par l'écriture qu'il tente de
survivre. Son message est saisissant de modernité. A lire absolument.
Rédigé par : Feuilly | 28/01/2009 à 08:45
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