Claudel contre les salopards

2 janvier

LU : « Psaumes, Traductions 1918-1943 » par Paul CLAUDEL (Gallimard).

Claudel : oui, je sais, oubliez le personnage, ses lâchetés envers sa sœur Camille, l’ode au maréchal, passons.

Je vous parle du poète.

Psalmiste, il l’est de tout son cœur, qu’il chante ou qu’il ronchonne, au service de Dieu et de la France.

La Bible, évidemment, il connaît par cœur, il en remâche les prières et les imprécations, le miel et le venin, la vieille pythie, bavant, crachant, trépignant sur son trépied.

Les « Psaumes », il les parle, il les hurle, il les fredonne. Il ne traduit pas, il répond.

Démodé ? Non mais vous rigolez ! Lisez donc cela, oubliez vos préjugés contre ce sale bonhomme : ça vous réveille, ça vous soulève la paupière amoindrie par les agapes de Noël.

Exemple : « Va, ne les envie pas ! Ne te ronge pas à regarder le succès des salopards. C’est une moisissure qu’un rayon de soleil étanche » (Psaume 36).

Par endroits, ça frise le slam ou le rap.

Guy Goffette, le verlainien, dans sa belle préface, imagine la tronche des fidèles si le curé leur balançait ça le dimanche à la messe. On ne peut lire ces « Psaumes » sans être effaré, tremblotant comme un satyre de bas-relief devant l’orteil d’un Cyclope. Vous êtes mécréant? Pas grave. Claudel vous absoudra en prose d’un coup de hache.

Paysan suprême dans l’abstraction charnelle et qui brandit sa fourche vers les hauteurs, il tutoie le Bon Dieu. C’est son sparring-partner. Entre poids lourds, on se parle franchement. Il l’appelle : « Yahvé » ou encore mieux « Yah », comme une idole.

« Yah, force, ma force ! » : c’est son écueil, son roc, sa seule bouée.

Et lui, le catholique, il prie parfois comme un petit enfant juif: « Libère, mon Dieu, Israël, de ses embêtements ».

Que personne ne s’y trompe, c’est lui, le démiurge.

C’est lui qui commande. (« Je dis que », dans sa langue, ça signifie : « Je veux ».)

C’est lui qui brandit la foudre et les poings, tour à tour suave et bourru, trivial et sublime, brutal et tendre, toujours capable avec des mots de susciter l’essor ou la chute, et toutes les frayeurs qui montent de la terre jusqu’au ciel.

Lui aussi, seul l’excès l’apaise.

Il avance à pas de colombe, il sautille et soudain il grogne, il charge, il laboure, sanglier ténor, sans égards, sans patience envers la langue qui jaillit sous ses gros sabots.

Il y a, dans ces « Psaumes », des saveurs ivres et dansantes, des flammes bleues comme l’enfer, des relents païens qui lui viennent de Rimbaud et que la religion ne peut contenir. A moins que sa foi ne rende plus délicieux certains péchés, comme par exemple l’adultère qu’il appelle « l’ineffable iniquité » mais ça, c’est dans « Partage de midi ».

Il n’est jamais content, toujours inassouvi, Claudel.

A qui songe-t-il celui qui s’écrie : « Ah, tu n’es pas le bonheur, tu es cela qui est à la place du bonheur » ? A Dieu, à lui-même, à la femme défendue, à la fois interdite et secourue ? Qu’importe, Claudel semble toujours prêt à relever ce qui tombe, à se battre de toute l’instigation de son âme, à outrance. Avec cela, on ne sait jamais s’il se morfond ou s’il jouit, s’il s’insurge ou s’il s’abaisse, s’il exulte ou s’il se rend, sous l’emprise du philtre qui lui ameute le sang.

Quelle santé !

Comments

[Rédigé par : FB]

me souviens avoir lu ça à voix haute, une fois, dans une série qu'on faisait sur les traducteurs de la Bible ("l'apocalypse" de Bossuet, dans les costauds aussi), j'étais sorti des Psaumes Claudel avec l'impression que plus rien du réel n'était en place - bravo pour ce début en haut style, Frédéric, et bienvenue au pays (ex-)virtuel ! (dans la série des écrits "inspirés" de Claudel, son livre sur Isaïe avec à l'intérieur la photo d'une nonne exhumée, toutes gencives retroussées...

[Rédigé par : Loïs de Murphy]

En effet c'était un sale bonhomme et j'ai du mal à avoir envie de le lire. Par contre j'aime les écrits de Guy Goffette, découvert tardivement il y a quelques années avec "Un été autour du cou". Ferais-je un effort au moins pour sa préface ?

[Rédigé par : gmc]

MY GENERATION

Toujours jeune est la pythie
Dont les runes et les osselets
Ne connaissent que le neutre
Comme base de dilatation

Jeune comme un tout premier son
Qui ruisselle sur l'arc-en-ciel
En pluie de missiles insouciants
Sur les tropiques sensuels

Jeune comme vingt millénaires
De fêtes aux yeux d'argent
Assise au pied d'un olivier
La douceur en guise de culture

Les cils créent des mouvements
Dans les textes immobiles
Repeignant de leur exaltation
La tranquillité des Bohèmes

[Rédigé par : Sylvaine Vaucher]

Votre plaidoyer pour un hypocrite est vraiment raffiné.
Vous avez décidé de me faire souffrir ?
c-f : EX IMO
« O Jésus, vous m’avez puni moralement
Quand j’étais digne encor d’une noble souffrance ;
Maintenant que mes torts ont dépassé l’outrance,
O Jésus, vous me punissez physiquement. » Verlaine
(Hôpital Broussais, 1893)
Plutôt que de le relire, je préfère
Être guillotinée
c-f Dialogue des Carmélites.
Et pour l’ "abrégé" d’anglais je vous retourne la balle :
In the Refreshment Room

"I’M bor’d immensely
In this buffet of Calais
Supposing to be, me your lover
Loved-if, true ?-you are please
To weep in my absence
(Which) aggravated a telegram
Tiresome where I count and count
My own bores for your sake…” Paul V. (1893 aussi)
Ed. Pl, poèmes divers ou d'hiver.

[Rédigé par : Anne B]

Oui, oui il faut oublier le sale bonhomme !(il n'est pas le seul dans la grande littérarure).
Je partage votre enthousiasme,merci pour cet article pétillant...
N'est-ce pas Ph.Sollers qui a écrit : "Claudel ce génial emmerdeur"

[Rédigé par : ororea]

Moi j'aime bien l'oeil écoute de Claudel, c'est sur la peinture...

[Rédigé par : ororea]

Arrêt sur images invite FF dans son émission sur le net!
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=1502

[Rédigé par : Christophe B.]

Comme quoi, chez vous aussi l'oeil écoute...

Merci pour ce blog que je découvre et meilleurs voeux pour 2009.

[Rédigé par : Frederic ferney]

Cher gmc,

J'aime beaucoup vos réactions. Continuez s'il vous plaît.
Je vous trouve à la fois pertinent et hermétique.

Merci,
F.F.

[Rédigé par : Frederic ferney]

Chère Sylvaine V.,

Faut-il choisir entre Claudel et Verlaine?
Et puis on n'écrit pas avec des idées, vous êtes d'accord?
Balzac croyait défendre le trône et l'autel, Marx le lit comme un allié. Claudel qui vante Dieu, la France et le Maréchal a écrit "L'Echange": la pièce la plus brechtienne écrite en (bon) français.

[Rédigé par : rocheclaire]

Quel plaisir inattendu de lire quelque chose sur Claudel. Mon adolescence m'a conduite à vivre des rencontres près du Château de Brangues ; nous avions l'autorisation de nous détendre dans le parc. Nous avons même participé à des messes dans la chapelle au centre du parc ! Naturellement nous allions sur sa tombe et celle de son petit fils... Concernant son théâtre je ne me lasse pas de "la jeune fille Violaine"...
Quand au mal que l'on peut dire ou penser de lui, il faut le replacer dans le contexte de son époque... Et chacun de nous a sa part d'ombre, n'est-ce pas ?
J'apprécie beaucoup ce moment de littérature dans la journée et je regrette votre absence sur la Cinq !

[Rédigé par : Une Ville Un Poème]

Je regrette aussi ce moment de grâce et de littérature...

[Rédigé par : ororea]

Et moi, pas un petit mot gentil? Si ça continue, je vais faire fan de Luchini, faudra dire à DA de lui ouvrir un blog...;-)

[Rédigé par : Anne B]

Dans quelle mise en scène avez-vous vu l'échange ?

[Rédigé par : eric dubois]

Paix à l'âme de Claudel ( ce grand fan de Rimbaud qui jamais ne le surpassera) qui là où il est peut-être expie-t-il ses fautes ( et son style lourd, lourd, lourd ...)
Parlons svp des poètes vivants!!!!
Et de tous ceux ignorés des médias!

[Rédigé par : Shantall]

Adorei, embora nao tivssee condie7oes de ver na hora pq Panqueka e Petie queriam agradecer pessoalemnte. Todos nf3s gostamos vou tirar uma foto e passar pru povo do abrigo .Como fae7o, pra junto a escultura, colocar um relato sobre vc??? vou providenciar, me diz como se faz .bjus vizinho, cada dia eu te admiro mais

[Rédigé par : louis vuitton sac a main]

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