14 janvier
Lu: "Une Histoire des haines d'écrivains. De Chateaubriand à Proust" d'Anne BOQUEL et Etienne KERN (Flammarion).
"Ne haïr que la haine", recommande Cocteau (dans "Journal d'un inconnu", 1953): c'est une prière, un voeu pieux. "Il n'y a que la haine pour rendre les gens intelligents", déplore Camus (dans "Caligula", 1948): ce n'est vrai, je le crains, que des imbéciles. La haine, donc. Spinoza la définit comme une "tristesse" qui ne serait qu'un passage d'une plus grande à une moindre perfection, je n'ai jamais compris pourquoi. Il y a une sorte de perfection dans la haine, quand elle est pure, comme la grâce. Elle éteint tout ce qui n'est pas elle, comme la volupté. Quoi de plus fécond qu'une bonne vieille haine, remâchée, recuite, cuvée dans l'encre, quand on cherche un bon sujet de tragédie ou de roman? Et que resterait-il de Genet, Céline ou Saint-Simon, si on les privait de ce fouet?
Est-ce que les écrivains (se) haïssent mieux que les autres? C'est une question à laquelle tentent de répondre deux jeunes universitaires, Anne Boquel et Etienne Kern, dans ce plaisant ouvrage. Rien de plus universel que la haine. Pourquoi les écrivains échapperaient-ils à cette loi? L'amour ne dure pas, la haine oui, qui peut se partager et se transmettre de père en fils. (Etrange, les Grecs ont des divinités de l'amour, Vénus ou Cupidon; ils n'ont pas de dieu de la haine!) Une chose est certaine, on ne hait vraiment que les siens: familles, clans , partis, académie, cénacles. A ce jeu-là, quand la presse, l'argent, les honneurs, la gloire font tourner les têtes, les écrivains sont suprêmes; le XIXe siècle fut peut-être leur âge d'or.
On croise ici, inévitablement, Victor Hugo (encore lui!) et Sainte-Beuve, les frères Goncourt et Léon Bloy, Baudelaire et Marie Dorval, les Dumas père et fils, George Sand et Louise Colet, comme dans un jeu de quilles. Médire, maudire, mépriser, combattre: c'est un peu leur métier, non? Eux qui savent si bien s'émouvoir connaissent aussi le dépit qu'ils pincent comme une corde. C'est au fond un mystère que nos deux auteurs tentent d'élucider: les abîmes d'envie, de frustration, de calomnie qui séparent les écrivains forment entre eux un lien plus solide que l'amour ou l'amitié. Même le bon Tchékhov note dans son calepin: "Rien n'unit aussi fort que la haine - ni l'amour ni l'amitié ni l'admiration". Et Lord Byron , entre une coupe de champagne et un bain dans le Grand Canal, y voit "le plus durable des plaisirs".
La cause de la haine, c'est le plus souvent la vanité blessée. Sur ce point, Chateaubriand et Victor Hugo sont invincibles: des paons. ("Le grand paon": c'était le titre de la préface aux "Mémoires d'Outre-Tombe" de Julien Gracq). Mais on découvre que le doux Mallarmé, Verlaine qu'on croyait plus affranchi, Vigny même, ne sont pas dépourvus de ce vice. Un vice ou une singularité nationale? Déjà, les faux Persans de Montesquieu nous ont expliqué que le roi de France est plus riche que le roi d'Espagne parce qu'il puise des richesses inestimables d'un trésor sans fonds: la vanité de ses sujets. Pour Stendhal, ce sont les femmes qui en devenant les arbitres souverains du mérite ont instauré "l'empire des rubans". C'est aussi ce qu'on appellerait aujourd'hui du "lien social": car l'écrivain vaniteux s'estime moins lui-même qu'il n'estime le suffrage de la majorité! La vanité, entre immortels, entre égaux, les rend solidaires, même s'ils refusent toute idée de corporation.
On hait aisément ceux qu'on connaît mal? Pas sûr. On hait mieux ceux qu'on a trop aimés. cela s'appelle: le ressentiment - le ressac amer du sentiment. Je ne vous fais pas un dessin, inutile de relire "Phèdre". Pour conclure, je vous invite à méditer cette furieuse tirade d'Emile Zola: "La haine est sainte. Elle est l'indignation des coeurs forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise. Haïr, c'est aimer, c'est sentir son âme chaude et généreuse, c'est vivre largement du mépris des choses honteuses et bêtes. La haine soulage, la haine fait justice, la haine grandit. Je me suis senti plus jeune et plus courageux après chacune de mes révoltes contre les platitudes de mon âge. J'ai fait de la haine et de la fierté mes deux hôtesses; je me suis plu à m'isoler, et, dans mon isolement, à haïr ce qui blessait le juste et le vrai. Si je vaux quelque chose aujourd'hui, c'est que je suis seul et que je hais". Peu importe l'objet de la haine; ce qui compte, c'est l'élan, la force, que cela donne.
La citation de Zola me replonge avec effroi dans le sinistre XIXème siècle. Suis-je le seul ?
Rédigé par : Christophe B. | 14/01/2009 à 00:15
La citation de Zola me replonge avec effroi dans le sinistre XIXème siècle. Suis-je le seul ?
Rédigé par : Christophe B. | 14/01/2009 à 00:16
"Le ressentiment, ce ressac amer du sentiment"...C'est de vous ?...En tout cas ça surnage.
Rédigé par : anonyme | 14/01/2009 à 07:05
Haïr pour marquer sa différence ?
Parce-que l'on s'enferme dans des certitudes absolues, que l'on se replie sur soi même avec un mépris total pour tout ce qui est différent ?
Les écrivains français usent de stratégies pour se hair, ils le font avec brio, duels et guerres de mots, de proses et de vers interposés, les haines se déploient belles parfois dans leurs cruautés.
"Ses haines" Zola les a lues avec passion, elles l'aident à "venir au monde, à construire son
laboratoire d'idées.En littérature on se hait mieux qu'ailleurs parce que l'on sait se haïr!
N'est-ce pas Victor Hugo qui appelait Sainte Beuve :
Sainte Bave alors qu'il l'avait tant admiré ?
Rédigé par : Anne B | 14/01/2009 à 08:48
STERILITE DES AGITATIONS
La seule pureté de la haine
Est pureté de la confusion
Brillant à son paroxysme
Sensation irréelle
Magnifiée par l'arrogance
Dans des effets de style
Dont ne voudrait pas
Le dernier des miséreux
La poussière dans les yeux
Les marionnettes se la jouent royale
Au bout des fils épileptiques
Qui guident leur chant cramoisi
Rédigé par : gmc | 14/01/2009 à 09:30
Merci, cher Frédéric Ferney, pour cette belle lecture d'un livre que son éditeur aime tout particulièrement...
Rédigé par : Hélène Fiamma | 14/01/2009 à 09:59
Les gens haineux à fréquenter, berkkkk.
http://anthropia.blogg.org
Rédigé par : Anthropia | 14/01/2009 à 11:55
Un peu de pommade en réponse à votre dernière réponse : Vos sujets et lectures F.F. ne peuvent m’abandonner à une solitude banale, en tous les cas devant l’écran.
Au contraire j’y trouve un écho, des peurs, des frustrations refoulées, de la force à me muter hors du soi et ses duperies. J’ai envie d’avoir un peu de sympathie pour ma mémoire, une libido d’abc (pas AVC) qui investisse mes sens et mes tourmentes.
Quant à La haine je dirais, en cet instant, qu’elle est à "l’amour-psyché" ce que la houle est aux marées. Un va et vient de ritus et de sempiternel inéluctables.
Je pense à Kierkegaard qui dit dans « Le journal d’un séducteur » : Oderint, dum metuant, comme si la crainte et la haine étaient connexes, et la crainte et l’amour étrangers l’un à l’autre, comme si ce n’était pas la crainte qui rend l’amour intéressant ?...
Rédigé par : Sylvaine | 14/01/2009 à 12:11
tout dépend de ce que vous placez dans ce sac à main qualifié d'amour, sylvaine ;-)
Rédigé par : gmc | 14/01/2009 à 13:11
Cher Frédéric,
Ce n'est pas sans Haine que je laisse transparaître quelque émois virulents depuis la disparition du Bateau-Livre. N'en déplaise à votre successeur parachuté ! Tombé dans l'Ivresse d'une trop grande Liberté, cette émission fut un précieux ornement dans un format réellement différecié....Je sais que vous nourrissez aucun esprit de revanche à cet égard, ce qui fait votre élégance et raffinement natruel. Alors, continuons, ou continuez, hors polémique irrévérencieuse,de travailler et partager cette culture littéraire à déchiffrer ou défricher le terrain parfois miné de la langue singulière et si secrète. L'art n'est fait assez rarement que de Haine mal édifiée.
Très cordialement.
Hubris.
Rédigé par : Hubris | 15/01/2009 à 13:42
Cher Christophe B.,
Je ne suis pas sûr que la citation de Zola ne puisse être revendiquée, ici ou là, dans ce siècle. Elle est seulement mieux écrite que les discours de fureur mondialisée qui résonnent aujourd'hui dans un anglais sommaire, le plus souvent.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 16/01/2009 à 01:05
Chère Anne B.,
Je crois que les mots peuvent blesser, tuer. A ce jeu-là, les écrivains sont mieux armés. Et puis il y a aussi une part de jeu, de duel viril, de bravade, dans certaines brouilles publiques. On s'insulte, on se nomme. Le parterre s'esclaffe. Ca fait partie des moeurs. On a le choix des armes: le harpon ou l'épuisette.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 16/01/2009 à 01:14
Sylvaine,
Le désir et la peur forment un couple. Dans le bouddhisme, on supprime les deux, ça ne va pas. Il faut juste que le désir soit plus fort que la peur. Bref, je ne suis pas bouddhiste.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 16/01/2009 à 01:18
Cher Hubris,
Vous portez bien votre nom de fureur et d'excès. Comptez sur moi pour me battre. Le monde est ce qu'on veut. Grâce à vous tous, (vous êtes environ entre 800 et 1000 par jour), je me sens de moins en moins minoritaire. Je ferai bientôt une nouvelle émission littéraire sur le web, c'est promis. On va bien s'amuser.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 16/01/2009 à 01:26
Cher Anonyme,
J'adore fabriquer des définitions qui ne sont pas celles du dictionnaire. J'ai eu jadis un prof de philo qui nous disait: "Philosopher, c'est penser les mots qu'on dit". C'est mon côté philosophe du dimanche.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 16/01/2009 à 01:30
FF,
le désir et la peur forme un couple pour vous peut-être. néanmoins, le fait de dire que le désir doit être plus fort que la peur ne signifie rien, éros (c'est le sens du mot désir que vous avez employé) n'étant qu'un fils illégitime d'aphrodite... illégitime est à retenir.
(petit conseil: ne parlez pas de bouddhisme sans bien connaître de quoi il en retourne, vous allez perdre en crédibilité, même si le ridicule ne tue pas)
Rédigé par : gmc | 16/01/2009 à 12:21
FF,
le désir et la peur forme un couple pour vous peut-être. néanmoins, le fait de dire que le désir doit être plus fort que la peur ne signifie rien, éros (c'est le sens du mot désir que vous avez employé) n'étant qu'un fils illégitime d'aphrodite... illégitime est à retenir.
(petit conseil: ne parlez pas de bouddhisme sans bien connaître de quoi il en retourne, vous allez perdre en crédibilité, même si le ridicule ne tue pas)
Rédigé par : gmc | 16/01/2009 à 12:22