6 janvier
LU: "Nancy Cunard" de François BUOT (Pauvert).
Ah, la, la, Nancy Cunard! Sur les portraits de Man Ray, avec son oeil de louve, avec ses bracelets enfilés jusqu'au coude, le turban ou le bandeau faisant casque, on dirait une déesse inca. Je me suis un peu intéressé à elle quand j'écrivais sur Aragon (1) sans trop bien comprendre alors si elle était nodale ou adventice dans la carrière de l'écrivain. Une Parque ou une pimbêche?
Aragon rencontre Nancy en janvier 1926, à Paris, elle n'en fera qu'une bouchée. Un an plus tard, dans un hôtel de Madrid, il fait une tentative de suicide auprès d'elle après avoir brûlé le manuscrit de "La Défense de l'Infini" (dont seul un chapitre, "Le Con d'Irène", sera sauvé). Mais les circonstances de cet autodafé sont plus qu'obscures, et la confession d'Aragon, comme toujours, suspecte. On connaît sa manière: Aragon ne se souvient pas, il expie, entre la supercherie et l'extase, et dans une prose parfois aussi belle que le cinématographe à ses débuts.
A la fin de sa vie, moins dada que gaga, vieille cocotte cravatée en mylord sous ses airs de faisan neurasthénique, Aragon disait et faisait à peu près n'importe quoi. Le mentir-vrai, bien sûr! Constatant avec joie que le "vieux" était devenu à nouveau gay, après la mort d'Elsa, Jean-Louis Bory disait joliment, par antiphrase: "Aragon a retrouvé les pédales!".
Bref, grâce à François Buot, déjà auteur d'un "Tzara" et d'un "Crevel", qui lui consacre une passionnante biographie, cela devient un peu plus clair. J'avais imaginé une de ces femmes qui naviguent à vue et font des vagues - elle était l'héritière de la compagnie de transatlantique Cunard Line! -, mènent leur vie au galop et les hommes à la cravache en faisant: "Ha! Ha! Ha!". Une femme fatale, à la fois libre, belle et riche. "Une femme très singulière, grande, mince, un roseau pliant", précise Aragon qui n'en dirai jamais autant d'Elsa, préférant embaumer pieusement sa sainte moscovite avec un flots de rubans. Les yeux d'Elsa, mon oeil!
Nancy, Aragon l'a aimée ou plutôt, il l'a adorée, ce qui n'est pas pareil. Dans l'adoration, l'amour cesse d'être une quête ou un mystère, c'est un joug sacré. Pour une fois, il est explicite: "J'étais amoureux d'une femme extraordinairement belle. D'une femme en qui j'avais cru comme en la réalité des pierres. D'une femme que j'avais cru qui m'aimait. Je suis un chien, c'est ma façon". Aragon - c'est ainsi et cela éclaire un peu ses piteux abandons devant Breton, le P.C.F. ou Elsa - a un faible pour tout ce qui le blesse, l'opprime ou le glace. Avec Nancy, il se désespère mais il ne sera pas déçu.
Buot nous apprend qu'il n'est pas le seul: je savais qu'elle avait affolé les hommes (pas que les hommes) et collectionné les amants, comme de la volaille à qui on distribue des miettes; j'ignorais qu'elle eût laissé, cette muse irascible, une empreinte si violente dans le coeur d'autres écrivains, et pas des moindres: Aldous Huxley, Fitzgerald, Pound ou Neruda. Kokoschka a fait son portrait en 1924, Brancusi l'a sculpté dans le bois, comme une idole. Jouhandeau la voit comme "une ogresse maigre dont le long corps a la froideur envoûtante des serpents". Brrr!
D'un côté, il y a donc les folies, les frasques de Nancy, qui jouit de son époque: le jazz, l'opium, les bains de mer, et s'enchante de tous ses nerfs. Après Aragon, qui ne lui fit pas trop mal, elle couche avec un musicien noir, Henry Crowder, ce qui déplaît à sa mère: elle répond aussi sec à Lady Cunard dans un brûlot qu'elle intitule "Le Nègre et Milady" et qu'elle distribue à tout-va, puis elle enfonce le clou en publiant une énorme "Anthologie nègre"!
Mais Buot raconte aussi son engagement, ses lubies de mécène, ses combats. Une exaltée? Peut-être mieux que cela, et sa biographie permet de réviser notre opinion sur cette péronnelle. Parmi ses hauts faits: elle obtiendra une copie du film de Bunuel, "Le Chien andalou", interdit en France, et le fera projeter à Londres; elle deviendra l'éditeur des fabuleux "Cantos" d'Ezra Pound, puis des premiers vers de... Samuel Beckett (qui ne l'a jamais oubliée)! En politique, elle dénonce l'invasion de l'Ethiopie par Mussolini et décrit sans fard la misère des camps de réfugiés espagnols dans le sud de la France.
Elle s'est beaucoup battu après avoir beaucoup scandalisé et beaucoup séduit. Elle meurt le 16 mars 1965, à 69 ans, à l'Hôpital Cochin. Je crois bien qu'Aragon ne l'avait jamais revue. "Je renie ce jouet sans mystère, qui fut votre camarade, en qui je ne reconnais pas un seul de mes traits éternels"... C'est cela, oui.
(1) "Aragon, la seule façon d'exister", Grasset, 1997.
Le grand Beckett n'a jamais oublié quiconque. Et le lecteur que je suis n'oubliera jamais Beckett.
Quant à Aragon...
Rédigé par : Christophe B. | 06/01/2009 à 00:21
Bienvenu dans la blogosphère (blog très très intéressant!) Aragon, Beckett, Man Ray...que de jolies références qui ne peuvent qu'inciter à se plonger dans ce roman. J'en note les références.
Rédigé par : Fanyoun | 06/01/2009 à 07:15
Nancy Cunard s'impliqua avec une passion sincère et absolue dans les défis politiques des années trente, et puis être l'éditeur des "Cantos", ce n'est pas rien.Pour cela je l'admire.Du portrait de Brancusi émanent son élégance et sa force, c'est une femme de l'ailleurs...(mais ça c'est personnel).
P.S Je pensais que la tentative de suicide d'Aragon c'était à Venise.
Rédigé par : Anne B | 06/01/2009 à 08:51
LA CROISIERE DE NANCY
Ni parque ni pimbêche
Juste une collectionneuse
De timbres affranchis
Un sarment de désespoir
Qui oublie de parler
Mais cherche aveuglément
A retrouver dans les reflets
Son intuition originelle
Le regard chaloupé dans l'écume
Par les bracelets qui l'enchaînent
Rédigé par : gmc | 06/01/2009 à 08:51
Monsieur,
Pouvez-vous me faire suivre votre email ?
Merci.
Rédigé par : serge | 06/01/2009 à 10:16
Belle, libre, et pas si folle… pour le Chien Andalou la cornée et l’humeur aqueuse de l’œil d’Elsa ont du en prendre un sacré coup ; pour sa prise de position sur les spaghettis en Ethiopie, Rimbaud lui, préférait négocier à Harar, et moi je buvais du café salé avec du cat en parcourant la guerre Erythrée-Ethiopie (1978) souvent mitraillettes au dos. Editrice, non pas des Histoires d’Ô, mais de Pound et son ménage à trois, un peu comme Miller; cette amazone n’est pas dépourvue de flèches, elle donne envie d’être « beau et con à la fois » et cocu ; de lire cette biographie. Vos choix Frédéric F. ne détonnent pas, ils m’enchantent agréablement, comme « Un cœur sous une soutane » « Quand le zéphyr lève son aile, Dans sa retraite de coton,… Quand il court où la fleur l’appelle, Sa douce haleine sent bien bon…(Rimbaud). gmc…j’adore.
Rédigé par : Sylvaine Vaucher | 06/01/2009 à 10:52
Merci de partager cet extrait entre autre qui chatouille à propos d'Aragon ...
J'avais lu, une fois un texte comme ça, très drôle, qui démolissait René Char, un autre sur Duras (je crois qui la traite de Marguerite Duraille) ... ça chatouille beaucoup !
Cependant ... je ne peux m'empêcher de songer que les personnes et peut-être, de surcroît, les grands poètes sont complexes.
Quand on imagine qu'Aragon est né d'une très jeune mère qui a dû se faire passer pour sa soeur tout en étant la servante de son amant et de sa femme ... il est plus aisé de comprendre comment cet homme fut un écorché vif, une blessure ouverte qui ne cicatrisera pas. C'est quelque chose n'avoir jamais pu appeler enfant sa propre mère, maman.
Voici son poème "Le mot", chanté qui exprime si profondément sa peine, c'est beau.
http://share.ovi.com/media/blaise.public/blaise.10016
Je dis cela en passant, sans faire le procès d'intention à quiconque de ne savoir être touché par l'oeuvre d'Aragon.
Rédigé par : ardente patience | 06/01/2009 à 14:48
EAU SAUVAGE EXTRÊME
Tout poète sait gré
D'être une plaie ouverte
A jamais dévorée par les vers
La poésie efface les scripts
Des antériorités malhabiles
Au scénario de paille
Aux parfums étourdissants
Et à l'oubli notoire
Comme sous l'effet
D'un baume régénérateur
Rédigé par : gmc | 06/01/2009 à 15:33
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エルメス シューズ
Rédigé par : エルメス シューズ | 29/11/2013 à 21:04