10 janvier
VU AU THEATRE: "L'Illusion Comique" de CORNEILLE (Comédie-Française).
"Etrange monstre", semble s'étonner Corneille en s'attendrissant sur son beau génie. L'auteur se décèle dans sa "Dédicace": est-ce qu'il se vante? Non, il innove, il sait ce qu'il veut et ce qu'il vaut, il le dit. Rarement un auteur de théâtre a été aussi maître de soi, aussi assuré de ses moyens, aussi confiant dans ses ressources, au point de s'en amuser, de se citer et de se pasticher lui-même. Pour rire? Ca aussi, c'est un métier.
On l'oublie trop souvent, c'est lui qui invente la comédie à la française, et Molière avec tout son génie reste son débiteur. A 24 ans, petit avocat à Rouen, il connaît le succès avec sa première pièce "Mélite": "La nouveauté de ce genre de comédie, dont il n'y a point d'exemple en aucune langue, et le style naïf qui faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur qui fit alors tant de bruit", écrit-il avec la fière candeur du dramaturge qui se découvre démiurge. Notez que le "succès", Corneille l'appelle le "bonheur", et cela dit tout. Pour les spectateurs de l'époque, cela a dû paraître aussi rafraîchissant, et aussi neuf que pour nous les premiers Rohmer. Bref, c'est le début d'une longue histoire d'amour entre Corneille et son public (pas comme Madonna mais presque) qui ne s'assombrira que vers la fin de sa vie devant le beau Racine - aberration suprême devant quoi il devra plier, cédant un peu au ressentiment et à l'amertume, comme Dom Diègue.
Dans "L'Illusion Comique", c'est comme s'il ouvrait devant nous sa boîte à outils. C'est le premier artisan de France, Corneille: comédie, tragédie, tragi-comédie, pastorale, madrigaux, le sublime, l'épique, le burlesque, comme vous voulez. Avec lui, le client, pardon, le spectateur, est roi. Les doctes peuvent hurler, il s'en fiche.
Sans lui saurait-on ce qu'est un héros? Comment le voulez-vous? Suave? Brutal? Amoureux? Criminel? Pas de souci. Une femme? Tenez, en voilà deux, Lyse et Isabelle, déjà prêtes à échanger leur place comme chez Marivaux. Un magicien? Voilà Alcandre - c'est un peu Prospero en Touraine. Avec cela, Corneille est un des auteurs qui parle le mieux de la jeunesse. Je me souviens d'un "Clitandre" époustouflant au Français à la fin des années 90, mis en scène par Muriel Mayettte: dans une scène de carnage, on y entendait un morceau célèbre des Pink Floyd, "Be careful with that axe, Eugene", extrait de l'album "Umma-Gumma". C'était juste. Ce barbon fougueux avait une âme de rocker.
"L'Illusion comique", c'est ce qu'on appellerait aujourd'hui: une heroic phantasy. On oublie que ce classique fut d'abord un baroque, sauf que, chez lui, l'excès ne va pas sans la raison: il plaide, il argumente, il veut convaincre, il veut séduire. C'est un avocat, je l'ai dit. Avec le personnage de Matamore, emprunté à la Commedia dell'Arte, il se déchaîne, il s'enfle, il étire son éloquence jusqu'à la parodie. Tartarin de Tarascon en alexandrins et sous acide!
Alors? Alors, je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout cela. Le spectacle mis en scène par Galin Stoev, salle Richelieu, est désespérant de grisaille volontaire, à rebours de la magie, de la verve et du brio à quoi la pièce nous invite. On a transformé la forêt enchanté en deux-pièces-cuisine. C'est du Corneille sans cape et sans épée, sans fleurs ni couronne. Quand on pense que le poète a écrit "L'Illusion Comique" pour célébrer les mérites de l'art dramatique (et les vertus curatives du psychodrame), c'est à se flinguer.
s'il y a du rock dans le floyd, il ne dépasse pas le stade syd barrett, la suite ressort plutôt dans la rubrique mainstream gonflé aux stéroïdes:
http://fr.youtube.com/watch?v=8BptZA3qWBk#
http://fr.youtube.com/watch?v=bhJYqa_htCY#
http://fr.youtube.com/watch?v=2iA7wdO00VI&feature=related#
Rédigé par : gmc | 10/01/2009 à 09:36
Tiens tiens Corneille salle Richelieu !
De la grisaille pour l'illusion comique ?
Galin Stoev n'a pas décapé la pièce au moins, je suppose qu'on est bien loin de la fascinante et exceptionnelle beauté plastique et très baroque mise en scène de Giorgio Strehler ?
Corneille résiste à tout mais quand même !
Matamore dans un deux-pièces-cuisine c'est un peu prétentieux, non ?
Je ne sais pas pourquoi je pense à ça mais avez-vous vu La Divine Comédie revisitée par Roméo Castelluci si oui, j'aimerais avoir votre opinion.Je demande si j'ai raté quelque chose ?
A.
Rédigé par : Anne B | 10/01/2009 à 09:43
EN FANTAISIE BARBARE
Le rock'n'roll préfère
Le chant des corbeaux
Merveille de grincement
Qui plane insouciant
Sur les épaules velues
Des carnassiers de passage
Des corbeaux à Ravenne
On garde un souvenir ostrogoth
Dont Emily se réjouit
En psychédélie d'outre-rien
Qui éponge l'histoire
Avec les géographies de l'acide
Dans la perfection sereine
Du vol du corbeau
Les étrangleurs se souviennent
Des temps vikings
Où le fer chante les sagas
Des épouilleurs de vent
Rédigé par : gmc | 10/01/2009 à 11:14
Sans doute un ravage de plus du dogme qui impose un contre-emploi total du texte dès qu'on met en scène une pièce un tant soit peu distante de la modernité?
Rédigé par : GF | 10/01/2009 à 14:36
Justement j'ai lu il y a peu une critique de cette pièce, un peu moins dure que la vôtre, mais aussi peu engageante finalement...
http://culturofil.net/2008/12/19/l-illusion-comique-de-pierre-corneille/
Rédigé par : Kiki de chez PosutoTwo | 10/01/2009 à 16:52
J'ai vu cette lise en scène qui est, il est vrai surprenante. Les costumes et les décors sont loin d'etre très intéressants, les acteurs sont assez hétérogènes. Quelques trouvailles qui valent le coup d'oeil (comme Matador névrosé) mais après une absence depuis plus de 70 ans à la Comédie Française, on aurait pu espérer mieux pour cette immense pièce.
Rédigé par : Yohan | 12/01/2009 à 13:48
Pièce difficile parce que très (trop?) virtuose.
Au delà d'une quelconque critique, j'aurais aimé entendre un mot du mérite qui consistait à la produire, simplement.
Lyse et Isabelle très incarnées.
Je n'ai pas vu un deux pièces-cuisine mais un labyrinthe, écho au texte en plusieurs dimensions.
Rédigé par : Albertine | 28/01/2009 à 09:56