Lu: "Contre la barbarie, 1925-1948" de Klaus MANN, traduit de l'allemand par Dominique Laure Miermont et Corinna Gepner, Préface de Michel Crépu, (Phébus).
Il y a dans l'antinazisme viscéral et précoce de Klaus Mann (1909-1949) moins la force intellectuelle d'un refus qu'un invincible dégoût et une obscure nécessité. Tant d'intellectuels, en Allemagne ou en France, ont été lâches ou aveugles. Lui, si peu sage, si fragile, si frivole, par un subtil instinct, par une conviction qui n'est ni esthétique ni morale, il sait d'emblée. Ca ne se discute pas. Il flaire l'infamie comme une truie sent la truffe.
C'est la vérité, l'immonde vérité, qu'il veut dire, et il veut la dire toute, dès le début des années trente: à l'Allemagne, à l'Europe, au monde mais surtout à son père, Thomas Mann, "le Magicien", le grand chroniqueur des déclins (Prix Nobel de littérature en 1929), qui la sait déjà, merci mon petit garçon! cette vérité, et qui le fait se sentir un nain, et aussi à son oncle, Heinrich, l'auteur de "Professor Unrat" (dont Josef von Sternberg fera au cinéma "L'Ange bleu").
Comment grandir dans l'ombre imposante de ces deux Burgraves? On peut comprendre que Klaus ait pas mal déconné dans sa jeunesse: avec sa soeur Erika comme compagne de débauche - ils se font passer pour jumeaux -, il parcourt le monde en dilettante, s'enivre de toutes les secousses, se drogue à mort. Klaus Mann n'a rien tu de ses errements, rien caché de ses goûts: il a écrit le premier roman homosexuel allemand, "La Danse pieuse", en 1926. A-t-il séduit le futur mari d'Erika, l'acteur Gustaf Gründgens, qui se compromettra avec le régime nazi et lui inspirera le personnage de "Méphisto"? C'est probable. En tous cas, on ne peut lire ses carnets de voyage, "A travers le vaste monde", et son autobiographie, "Le Tournant", sans être touché et même effrayé par son étourdissante sincérité. Difficile d'oublier devant le récit de ses frasques qu'il s'est donné la mort, en 1949, sur la Côte d'Azur.
Ce recueil de textes (essais, conférences, lettres, chroniques) intitulé "Contre la barbarie", corrige singulièrement l'image qu'il a lui-même fabriqué dans ses écrits de jeunesse. Ce dandy est un procureur; cet esthète est un soldat. Ce qui domine, c'est la lucidité, et l'ardeur au combat. Voilà un homme (il ne sont pas si nombreux dans cette catégorie) qui a su protester et rompre. Très tôt, en toute clarté. Exilé en mars 1933, déchu de sa nationalité allemande en 1935, il renonce solennellement à sa langue maternelle, l'allemand, en 1939, comme on se coupe un bras - même Thomas Bernhard n'a pas pu. En décembre 1942, il s'engage dans la Ve Armée, combat en Italie et acquiert la nationalité américaine un an plus tard.
Dans ces différents textes, il se montre toujours intransigeant. Deux mois après le raz-de-marée national-socialiste aux élections législatives en Allemagne, le 14 septembre 1930, il s'oppose même à Stefan Zweig, son ancien maître et son ami, qui ne voit dans ce résultat qu'une "révolte de la jeunesse". Il attaque Gottfried Benn, jadis admiré, qui trouve que le chancelier n'a pas que des défauts. En 1935, il félicite ironiquement dans une lettre ouverte la comédienne Emmy Sonnemann, qui vient d'épouser le maréchal Goering.
Lisez-le, ça redonne confiance dans l'humanité.
Klaus Mann,
La révolte, l'intelligence, la grâce, la fascination de l'ange rebelle, l'enfant terrible qui fuit pour vivre...
Rédigé par : Anne B | 20/03/2009 à 00:42
Magnifique souvenir du "Méphisto" en version théâtrale (années 70) !
Rédigé par : Critiquator | 20/03/2009 à 05:38
Devrais-je peindre le portrait de Klaus Mann, qu'il me faudrait essentiellement me concentrer, sur son beau regard d'éternel adolescent. Ses yeux, intenses et lumineux, qui expriment l'écrivain, plus attentif aux autres et à son époque qu'à lui-même.
Au peintre de choisir intelligemment ses couleurs !
Rédigé par : Anne B | 20/03/2009 à 08:37
GENE ACIDE
L'immonde vérité s'amuse
A jongler gaiement
Avec les concepts
Que formulent les alambics
Dont la gnôle sent
Le fruit mathématique
Comme une serrure
Qui attend encore
Sa clé de contact
Nitroglycérine d'expansion
Rédigé par : gmc | 20/03/2009 à 10:50
"comme une truie sent la truffe", question poésie, vous baissez. Bon, faut que je vous laisse, j'apprends l'italien, pour pouvoir rivaliser avec Anne B. (fan de FF, c'est une ascèse)
Rédigé par : ororea | 20/03/2009 à 16:04
I'm not eislay impressed but you've done it with that posting.
Rédigé par : Heidi | 30/12/2011 à 06:24