26 mars
Lu (et avec quelle joie!): "Vie du lettré" de William MARX (Les Editions de Minuit).
C'est un de ces livres qu'on croirait avoir été écrits tout exprès pour soi. Je ne connais pas William Marx, mais j'ose dire, ayant lu son livre sans avoir rencontré physiquement l'auteur, qu'il est devenu mon ami. Ca ne s'explique pas. J'obtempère, je range "Vie du Lettré" parmi les livres du premier rayon, auprès des "Notes de chevet" de Dame Sei Shônagon, du "Zibaldone" de Leopardi et du "Livre des amis" de Hoffmannsthal, pas très loin des oeuvres complètes de Michon, Echenoz et Quignard. A chacun ses petites manies, d'accord?
J'ai tout souligné de son Préambule et j'aimerais en apprendre chaque phrase par coeur. Qu'est-ce qu'un lettré? Quelqu'un dont la vie entière s'organise autour des textes et des livres, "vivant parmi eux, vivant d'eux, employant sa propre vie à les faire vivre et, en particulier, à les lire". C'est ce que William Marx, si scrupuleux dans ses émois, s'attache à décrire passionément.
N'allez surtout pas imaginer que le lettré, aussi savant et érudit soit-il, est un être exceptionnel: il est seulement infiniment docile à la pente la plus douce de sa durée. Ce n'est ni un sage ni un saint: il en est de fous, de vicieux et d'infréquentables. Il ne travaille pas, il rêve: c'est un égoïste impénitent. Notons qu'il est peu coutumier de voir un lettré repasser le linge ou nettoyer les vitres! Il doit cuver de l'encre dans son tonneau - avec l'âge, il se madérise, le processus est délicat, il exige du repos. Si vous insistez, il vous expliquera que la paresse est une épreuve de vérité, une ascèse.
Ce n'est pas toujours un philosophe, ni même un auteur: tous les lettrés ne sont pas forcément des écrivains, tous les écrivains ne sont pas forcément des lettrés. Le lettré se place "du côté du lecteur plutôt que de l'auteur".
Il y a une "mélancolie du lettré" qui naît du sentiment de "n'avoir qu'un strapontin dans la foule des vivants", avec peut-être la fragile espérance que d'autres, après lui, poursuivront sa quête. D'un côté, il serait fier qu'on cite son nom plus tard, dans une note en bas de page. De l'autre, il s'en fout, il aspire à l'oubli, ayant vécu sans luxe et sans estrade. La comédie littéraire - les ragots, les brouilles, les rixes - l'indiffèrent. Il préfère lire, étudier dans l'ombre et tisser des fils d'or autour de ses proies: des notules, des préfaces, des gloses.
A chaque page, avec un talent d'abeille, il capte un reflet du génie, pille un peu de parfum, dérobe un pétale, puis il encapuchonne son butin en lieu sûr. Alors, seulement, il embouche sa flûte et se fend d'une apostille. Il se croit plus heureux dans ses trouvailles infimes que tant d'autres qui se prennent pour des artistes. Il s'appelle Sylvestre Bonnard chez Anatole France ou Brichot dans "La Recherche". Est-il ridicule? Alors ça, il s'en contrefout.
Il y a des époques favorables aux lettrés. "Ils apparaissent de préférence aux périodes troublées, à la charnière des âges, dit Marx, lorsqu'un monde est près de s'engloutir et un autre d'apparaître: époque hellénistique, fin de la République romaine, crise de la Papauté au XIVe siècle, crise religieuse au XVIe, crise de la modernité au XIXe..." Aujourd'hui? Oui peut-être, et contrairement à ce qui se dit.
Les lettrés sont à la fois conservateurs et subversifs: ils permettent la constitution d'un ordre tout en contribuant à sa contestation. Car la "force des textes passés", dit William Marx, "c'est précisément d'avoir été, c'est à dire de n'être pas (ou plus); et si la révolution consiste à remplacer l'existant par du non-existant, rien n'est plus révolutionnaire que le passé". Guy Debord a dit quelquechose d'approchant: dans les époques sans mémoire, la seule façon d'être révolutionnaire est d'être réactionnaire. Et toc!
Quand le lettré naît en 551 avant Jésus-Christ, dans le pays de Lu, actuelle province du Shandong, il s'appelle Confucius. S'il est né le 3 janvier de l'an 106 avant notre ère, à Arpinum, il s'appellera Cicéron. Il en est de plus obscurs, ils n'en sont pas moins heureux.
D'habitude j'ai l'impression de tout comprendre mais là : "Il est seulement infiniment docile à la pente la plus douce de sa durée."J'avoue que le sens m'échappe...surtout "durée". Si vous pouviez m'éclairer...
Rédigé par : ororea | 25/03/2009 à 23:31
Ah ! j'aime bien cette idée d'époque favorable aux lettrés. Il me semble en effet que nous sommes en plein dedans !
Les lettrés à la fois conservateurs et subversifs, ça aussi ça me plaît bien...
A mon avis Ororea, cela correspond à se laisser aller à son penchant naturel, en tous cas c'est ainsi que je reçois le message. Rien de tel que le plaisir de pouvoir vivre, et rêver aussi, le temps de sa durée, de sa vie.
Je note ce titre.
Rédigé par : Claire Ogie | 26/03/2009 à 04:51
Oui, confirmation Et loués soient-ils, Frédéric Ferney et William Marx !
Rédigé par : Critiquator | 26/03/2009 à 05:44
Oui, Claire, j'avais interprété comme ça aussi, mais c'est un peu ségrégant ;-)...Durée : vie.
Rédigé par : ororea | 26/03/2009 à 07:14
Les lettrés sont des gens seuls. Pareils à une marmite sur un feu vif, qui bouillonne, qui contient tant bien que mal ce qui l'anime, qui peut déborder à tout moment, pour un partage, mais qui ne peut déborder trop de peur que le feu en meure.
Rédigé par : miss glu | 26/03/2009 à 07:34
Encore un livre qui semble vous clouer au monde des livres dans une féerie de libellules. On se laisse happer et emporter à des milliers de mètres d'altitude par un appel d'air chaud et les mots planent comme des oiseaux pris par le vent dans de petits nuages de mots. Pardon, mais ça devient une manie de vous dire merci, il va falloir trouver une autre formule.
"Il ne travaille pas il rêve" "c'est un égoïste impénitent", les livres engloutissent son temps de sommeil,il se retrouve dans un autre espace,les livres l'avalent, dévorent ses nuits ?
Est-ce "une lecture qui fait que les heures vides sont pleines, que les clavecins noirs de l'insomnie cessent de battre contre les tempes" ?
(petites manies en commun, "Dame Sei Shônagon", le livre est tout usé, mais la Dame reste aussi fraîche qu'un nénuphar, et "Zibaldone", ça sonne bien "Zibaldone").
Rédigé par : Anne B | 26/03/2009 à 08:22
C'est vrai miss glu, "la solitude" du lettré, c'est son enveloppe intemporelle, sa vie qui se prolonge dans une autre vie, il laisse rythmer son coeur au tic tac du métronome des mots, et dans l'égoïsme qui le submerge il s'emmitoufle dans sa solitude comme dans une couverture de chair.
Rédigé par : Anne B | 26/03/2009 à 08:38
Une bien piètre définition de la révolution...
La révolution n'est pas un présent ou un avenir mais un perpétuel devenir. A ce titre, elle ne remplace pas l'existant mais le dévoile sans cesse.
Le passé forge le révolutionnaire autant que le réactionnaire. Mais la robustesse des racines est insuffisant pour celui qui est en quête du fruit.
Si le lettré se situe du côté du lecteur et de la conservation, la tâche de l'écrivain est toute entière dans la révolution.
Rédigé par : Gaspard | 26/03/2009 à 09:05
BRANCHES DE GUI
Les runes s'amusent
De ces enseignes polychromes
Que d'aucuns nomment lettrés
Prisonniers volontaires
Marqués au fer rouge
De l'absence de signifiant
Autre que le dédale
Dans lequel ils construisent
Des échelles vers des reliefs
Aux contours de leur approximation
Rédigé par : gmc | 26/03/2009 à 09:31
Petit détail sans importance. En vérité Lu était un état (魯國, "pays de Lu") à la période Printemps et automnes. Lettré, sanglier, "loup démeuté", cerf.
Rédigé par : jdk | 26/03/2009 à 10:01
je dis Miam.
(pas très brillant comme commentaire, mais très sincère)
Rédigé par : pagesapages | 26/03/2009 à 11:51
Bon, peut -être qu'un poème un peu leste...pas sûr qu'ils me prennent à la Musardine avec ça, mais bon, on fera mieux la prochaine fois :
Fascinée par vos mains velues
Je les suis partout du regard
Je déboutonne votre chemise bleue
J'admire vos manches retroussées
et je m'amuse à les déployer
Je caresse vos bras virils
je contemple vos épaules de sportif
je découvre votre torse caché
et vos abdos apparents 1
Vous voilà torse nu
juste un jean noir
et des chaussures noires
l'allure de Superman, en mieux
les yeux dans les yeux pour l'éternité
vous vous jetez
sur mon corps en transe qui ondule...
1 sinon c'est pas grave...mais normalement un superhéros en a....
Rédigé par : ororea | 26/03/2009 à 11:59
Wow ! Et moi qui me croyais trop osée avec mon délire à la Clooney ! Je vois qu’il me manquait quelques lettres ! Consonnes, voyelles, majuscules, minuscules, virgules, etc…. Sans parler des idéogrammes et autres calligraphies. Qui dira la beauté des hiéroglyphes ? Hein, qui?
Rédigé par : Yasmine | 26/03/2009 à 12:21
Si c'est trop osé, il effacera...Tfaçon, c'est pas mon meilleur...
Rédigé par : ororea | 26/03/2009 à 12:32
J’espère bien que non ! Vous m’avez fait beaucoup rire ! Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi personne ne délire sur moi ! Moi aussi, j’ai un torse velu et des bras virils ! Quelle injustice!
Rédigé par : Yasmine | 26/03/2009 à 12:52
Mdr. Ouais, je peux pas vous expliquer. J'ai toujours trouvé débile les "fans" de célébrités. Je n'allume jamais ma tv le matin. Or un dimanche matin, j'ai du allumer mon poste plus tôt pour attendre Arrêt sur images, je suis tombée sur Droits d'auteur et j'ai été immédiatement fascinée ça ressemblait tout à fait à un séminaire de recherche (à l'époque j'assistais tous les mois à ce genre de réunion) et l'animateur ressemblait à mon homme idéal. Je suis rapidement devenue complètement accro. Pour moi qui ne suis addict à rien, sauf au coca light et aux sushis, c'est devenu une vraie drogue....
Rédigé par : ororea | 26/03/2009 à 13:26
Chère Ororea,
Merci pour ce poème.
Les collants et la barboteuse de Superman? Suis pas sûr... J'ai un cou de héron et des mains de charcutier! Quant aux abdos, hum! on peut toujours rêver.
F.F.
Rédigé par : Frédéric Ferney | 26/03/2009 à 17:35
samedi 28 mars 2009
France culture, jeux d'épreuves, 17H-17H55
> Emission du samedi 28 mars 2009
La Maison Maupassant, de Patrick Wald Lasowski (Gallimard)
Le lièvre de Patagonie, de Claude Lanzmann (Gallimard)
Nous voilà, de Jean-Marie Laclavetine (Gallimard)
La fabrique des jeunes gens tristes, de Keith Gessen (Editions de l’Olivier).
Avec Frédéric Ferney, Josyane Savigneau, Sébastien Le Fol, Alexis Lacroix.
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture/emissions/jeux_epreuves/avenir.php
Rédigé par : ororea | 26/03/2009 à 17:39
Ah bon, quand j'allais sur le forum d'asi il y a quelques années, je peignais Daniel Schneidermann en Spiderman, et il adorait ça : on s'est un peu fâchés par mail quand il a voulu m'engager comme forumancière, il m'a dit que j'avais des problèmes psychologiques, j'ai pas trop apprécié, en fait il avait raison (mais je me soigne).
Je trouve que vous avez des mains épouvantablement sensuelles, surtout quand vous manipulez des bouquins (que ça donne envie d'être un livre)...Le cou on s'en fout un peu (je trouve que vous avez un cou masculin) et les abdos,c'est pas grave(pourtant tennis, golf, ski, plus tourner les pages des bouquins...)
Rédigé par : ororea | 26/03/2009 à 18:32
Ororea,
Merci pour l'info, on peut toujours compter sur vous!
Contente de retrouver Josyane Savigneau
Rédigé par : Anne b | 26/03/2009 à 21:13
La Barque. Pour les abdos, c’est la Barque. Je vous épargne le nom en Sanskrit. Et puis, ça tombe bien, c’est assorti avec le bateau. Je crois que je vais finir par ouvrir un blog sur le Yoga. Des lettres aussi belles que celles-là, ce serait dommage quand même !...
Rédigé par : Yasmine | 26/03/2009 à 21:21
Et moi un blog sur l'aïkido!
Rédigé par : Anne B | 26/03/2009 à 21:35
J'ai fait un stage d'aviron sur l'Odet l'année de l'agreg : j'aimais bien mais je ramais plus fort d'un côté que de l'autre et je me suis vite retrouvée dans les berges. Et puis moi mes abdos sont très très bien cachés!
On ne va pas obliger FF à travailler ses abdos, il est déjà très beau...Genre Pierce Brosnan dans James Bond... Pis il en profiterait pour aller draguer toutes les belles actrices de théâtre et délaisserait ses fans...
Rédigé par : ororea | 26/03/2009 à 21:38
ororea a dit : "il est déjà très beau.."
beau, pas beau... J'arrive plus bien à discerner si un mec est beau ou pas beau. Je me soigne pas. Je devrais?
Le fond du décor étant bleu, c'est dommage mais la chemise toute bleue c'était peut-être pas possible, d'où le pull?
Moi je suis pour une chemise rouge foncée, la prochaine fois. Une chemise rouge sombre, c'est beau.
Rédigé par : mme petit poisson | 26/03/2009 à 22:58
Oui, pourquoi pas rouge, c'est coloré. Ca va lui donner bonne mine...Je suis d'accord...Avec son petit paletot noir là, je sais pas comment ça s'appelle. Et un pantalon noir. Ca fera andalou.
Rédigé par : ororea | 26/03/2009 à 23:20