6 avril
Rencontré: l'écrivain algérien (je ne sais pas dire: écrivaine), Assia Djebar, quelle femme! et qui récapitule en elle tous les âges de la femme, petite enfant et dame, pleine et entière, et quand elle dit: "mon pays", je me demande toujours si elle veut dire l'Algérie ou la langue française. Elle a écrit de nombreux romans, récits et nouvelles où elle explore, à travers sa propre histoire, celle de son pays, sans les confondre. Et cela, du point de vue des femmes, comme un choeur soyeux et discordant, comme s'il fallait absolument donner un nom, une voix, un chant, à ces oubliées, tout en questionnant la langue qui est elle-même un champ de bataille.
Nous avons parlé ensemble de son dernier roman, "Nulle part dans la maison de mon père" (qui est paru chez son nouvel éditeur, Fayard, en 2007). Le titre sonne comme une dénégation et un aveu, il tient sa promesse. Mais ce livre de mémoire, de colère, de combat a une valeur de délivrance, il s'achève dans une sorte de sagesse lasse et d'apaisement. Il récapitule tous les autres, il remonte à la source: l'enfance.
Première vision, comme un coup de soleil, une crise de blancheur, un éblouissement: une fillette surgit, elle a deux ans et demi, peut-être trois, trottinant en sandalettes au bras de sa jeune mère, presque sa soeur, vêtue de blanc, dans les rues de Césarée, et l'on dirait une reine de Racine avec sa suivante, et l'on devine les chuchotements de la rue, et les regards obliques des hommes. De sa mère, qui n'a que dix-neuf ans à sa naissance, la fille ose dire qu'elle était "la plus belle" et "la plus désirable". C'est son paradis perdu, un oasis de lumière. Et en même temps, c'est là, ça ne la quitte pas.
L'enfant livrée à la promiscuité bavarde des femmes semble déjà une étrangère. Et d'emblée, elle nous offre une clef (un peu inutile tant sa langue est claire): "Moi, silencieuse dans ce patio bruissant des voix de ces femmes de tous âges qui ne sortent qu'ensevelies de la tête jusqu'aux pieds... je me sens la fille de mon père. Une forme d'exclusion - ou de grâce?"
Il lui faudra près de quatre cents pages pour répondre à cette question: en quoi mon enfance me distingue et m'élève? et quel est mon islam, moi, fille d'un instituteur arabe et socialiste?
Au-delà de cette austère filiation oedipienne (on dirait parfois que le père la surveille encore, jugeant sévèrement que sa fille fasse du vélo en dévoilant ses jambes, projetant sur elle des peurs inavouées), ce livre capte des rumeurs, des soupirs, des sanglots. Certains souvenirs affleurent: l'écrivain n'a qu'à se servir et nous asperger de parfums. D'autres sont enfouis, comme murés, et l'on devine que tout ne fut pas si facile à écrire. Il y a chez Assia Djebar une mémoire plus risquée dans laquelle elle pioche. C'est une Iphigénie en songe. Même si elle a fait Normale Sup et siège à l'Académie.
Sublimes pages sur la mort de la grand-mère, comme chez Proust: "Qu'est-ce que cela veut dire: "elle est morte", sinon que je ne serai plus rien pour elle, que je ne pourrai plus jamais traverser la nuit dans ses bras, que personne ne m'aimera , que ma mère!" Plus tard, Assia Djebar apprendra que "les morts habitent leurs enfants, les soutiennent pour les calmer, peut-être, surtout pour les redresser".
Je lui ai dit: Assia, c'est doux. Djebar, c'est dur. Elle m'a répondu en rigolant: Assia, c'est la douceur, en arabe. Djebar, c'est l'intransigeance.
Grandir, est-ce apprendre à désobéir? Et comment grandir sans (se) trahir? Comment être fidèle à soi sans renier les siens? Assia Djebar a cette phrase: "Se dire à soi-même adieu" que chacun est libre d'interpréter comme il veut.
Ecrire, c'est rivaliser avec le silence, c'est ça, l'objectif.
J'ai oublié de dire que cette rencontre a eu lieu dans le cadre du Franco-Irish Literary de Dublin (qui fêtait ses dix ans), sous l'égide des services culturels de l'ambassade de France et de l'Alliance Française. Nous y avons passé cette année un joyeux moment avec les écrivains irlandais, toujours hilares et tragiques, Dennis O'Driscoll, Claire Keegan et Joseph O'Connor, entre autres. Le thème, c'était: "Love and Death", "Grà agus Bàs", en gaélique - en arabe ou en berbère, il y aurait aussi de quoi dire.
Les cris de l'écrit, la voix des femmes sans alphabet, c'est ce que j'ai entendu dans les livres de Assia Djebar. Elle semble écrire avec les ombres, la couleur du deuil, elle possède cet art des nuances même dans la révolte. Curieusement, je préfère ses oeuvres de jeunesse, ("La soif", et "les impatients"), peut-être parce que l'on ressent ce violent désir qu'à la femme de se créer, que la découverte du corps est une révolution importante. C'est vrai que ce roman d'intrigues qu'est "La Soif" a une coloration "Saganienne."
Peut-être, écrit-elle aussi pour que ni les mères, ni les filles, ni les morts, ni les rêves ne disparaissent.Mais, je peux me tromper, je n'ai pas tout lu.
Rédigé par : Anne B | 06/04/2009 à 14:50
FRICASSEE DE DOUCEUR
Douce est l'intransigeance
Un roc de velours
Une mer câline
Comme au tout premier jour
Avant la descente aphrodisiaque
Des parachutes dorés
Sur Kolwezi la souriante
Parapentes en bannière
Sur les paupières du vent
Qui sourit sur son cap
En voyant les épées gondoler
Sous les masques vénitiens
Rédigé par : gmc | 06/04/2009 à 18:30
Est-ce vrai , ce qu’on dit des Irlandais, “qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent et sont malheureux tant qu’ils ne l’ont pas eu ?"
Rédigé par : Yasmine | 06/04/2009 à 19:02
C’est vrai, les voix qui bruissent dans le silence. Il m’arrivait de dormir chez ma grand-mère, une petite femme de Fèz, très coquine, et qui se fendait la poire en discutant le soir, tard jusque dans la nuit, avec ses copines grand-mères, et bien sûr, parlaient des hommes, des femmes, et de ce qui va avec. De temps en temps, elle s’inquiètait de savoir si je dormais et me le demandait innocemment, (car elle était coquine et innocente), ce à quoi je me gardais bien de répondre, ayant à coeur d’en apprendre un maximum sur toutes ces questions très importantes n’est-ce pas. Rassurée par mon silence, elle reprenait ses chuchotis, et je tendais fortement l’oreille, bien sûr. C’est l’oreille de Charles d’Angleterre qu’il m’aurait fallu...
Rédigé par : Yasmine | 06/04/2009 à 19:11
Le droit d'auteur avec Assia Djebar, j'ai trouvé que c'était un des meilleurs. FF tout seul une heure avec un écrivain (j'ai aussi du mal avec écrivaine) c'est un régal...En plus au soleil sur la péniche qui descendait la Seine, avec FF avec ses cheveux courts et sa chemise bleue. Et puis la romancière qui dérape en disant qu'elle est nulle en gym, et FF qui lui dit qu'on s'en fout. C'était féérique...
Rédigé par : ororea | 06/04/2009 à 19:14
Je n'ai encore rien lu d'Assia Djebar mais je sors tout juste de chez Chloé Delaume, "Dans ma maison sous terre" et, à la lecture du billet de FF, je pressens comme un lien, une passerelle, un fil. De même qu'avec Boris Cyrulnick, sur un autre mode, "Autobiographie d'un épouvantail". Quand le web réseau met les livres en réseau...
Rédigé par : Jean-Louis B | 07/04/2009 à 12:03
Merci à vous Monsieur Ferney pour votre blog
Je suis impatiente de découvrir ce livre et aussi celui d'Avital Ronell
Rédigé par : K | 09/04/2009 à 19:14
Bon, je vais faire tout ça depuis mon bureau actuel à Montreuil, mais ca le fait quand même!
Rédigé par : coach shoes | 17/11/2010 à 02:33
C'est un livre très interessante... je trouve que la situation des jeunes filles algériennes est traitée dans le moyen le meilleur. L'ecrivain est reuissie a décrir ses sentiments avec les yeux d'une petite fille et la trasparance qu'elle a utilisé, la richesse de ses pensées m'a fait reflechir.
Rédigé par : maria carla | 23/05/2011 à 18:48
Put on‘g rubbish your efforts on your gentleman/gal,people who isn‘t able to throw away his or her precious time you.
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Rédigé par : Tee Shirt Dolce Gabbana Pas Cher | 09/09/2013 à 03:11
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Rédigé par : louis vuitton outlet corset | 12/09/2013 à 16:10
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Rédigé par : ejrxlhosnp | 22/09/2013 à 16:51