21 avril
Je ne vous ai rien dit de Maurice Druon, secrétaire perpétuel (honoraire) de l'Académie française, qui nous a quitté le 14 avril dernier, à l'âge de 91 ans. Lui, qui n'avait pas le mépris des pompes et des parades, a eu droit hier à des funérailles dignes d'un roi. Normal, grand seigneur - des lettres, entre autres -, et pas si méchant homme, il a été le roi de Paris. Primé, fêté, ivre de sa suprématie d'orateur, d'académicien, de preux chevalier, de joli coeur, de ministre! Avec cela, plusieurs corde à son arc, et parmi elles, une voix qu'il faisait sonner en cloche de bronze, avec emphase, en copiant Sacha Guitry.
Nous parlions récemment, à travers le beau livre de Philippe Le Guillou, des obsèques paisibles de Julien Gracq dans un petit cimetière de province, sans un képi ni une soutane. Là, pardon! ami, entends-tu le vol noir des corbeaux, on change de catégorie, d'échelle, de costume. Pas un seul dignitaire pour s'incliner devant la tombe de Gracq. Le président de la République himself, un flot de rubans et tout le gratin pour encenser le cercueil de feu Maurice.
J'ai toujours peiné, je l'avoue, à discerner dans ce gros homme imbu, péremptoire et buté, et qui a si bien su dissimuler sa carrière mitrée dans un destin, ne serait-ce que l'ombre du jeune héros qu'il fut. Que subsistait-il de ce bel instinct dans la fatuité du vieillard? Il y avait je ne sais quoi de gênant à voir ce beau parleur, ce patriarche provocant et rusé, jouir à vie des rentes du courage, fût-il le sien.
Rassurez-vous, je ne vais pas m'amuser à "gifler un mort", à la manière d'Aragon (dans un tract paru le jour de l'enterrement d'Anatole France) - je ne suis pas Dada, et je préfère en général parler des écrivains que j'aime; pour les autres, le silence et l'oubli, c'est assez. Pour une fois, néanmoins, je vais faire une exception en faveur de Maurice Druon: il le mérite. Relisant ce week-end les hommages quasi unanimes qui inondent la presse, et qui émanent en priorité, il est vrai, d'hommes politiques - on ne saura jamais, hélas, ce que pensent Modiano, Echenoz ou Marie N'Diaye de Maurice Druon -, je suis effaré.
Je résume. "Un grand écrivain, un grand résistant, un grand homme politique, une grande plume et une grande âme" (Nicolas Sarkozy): et puis quoi encore! "Un grand patriote..., une figure majeure" (Christine Albanel): vraiment? "Une personnalité hors du commun" (Michèle Alliot-Marie): mais de quoi se mêle-t-elle, Madame le ministre de l'Intérieur!). Question: l'ont-ils seulement lu?
Non, bien sûr. On préfère broder sur la légende dorée, la geste héroïque, Saumur, Londres (par les Pyrénées), la BBC, sous les bons auspices de ce doux ogre, Joseph Kessel, son oncle. On encense le jeune turc promu burgrave perpétuel de la république gaulliste et post-gaulliste. On cite ses bons mots, par exemple celui qui accueille gracieusement l'élection de la première femme, Marguerite Yourcenar, sous la Coupole: "D'ici peu, vous aurez quarante bonnes femmes qui tricoteront pendant les séances du Dictionnaire"! Ou encore celui-ci, sur Picasso, qu'il prononce, récemment nommé ministre des Affaires Culturelles sous Pompidou, en 1973, et qui est carrément idiot: "Il doit beaucoup à la France". Et lui donc!
Fascinante, son aptitude à tout ressentir sans s'émouvoir, comme un taureau dans l'arène; il était à la fois malin et bête, comme seulement certains artistes savent l'être. Tristement réactionnaire et férocement misogyne, aussi. Je me souviens pourtant que certains souriaient la peur au ventre devant ses grands airs de Zeus en pardessus, frappant le sol de sa canne à pommeau: sa brutalité et sa goujaterie, voyons, c'est de la franchise, seuls les gens distingués en sont capables!
Parlons un peu de ses livres. On évoque à l'envi "Les Grandes Familles", premier tome de sa trilogie "La Fin des Hommes", et Prix Goncourt en 1948: a-t-on vraiment envie de relire ça? Non, j'ai essayé, j'ai abandonné: ça se veut racé, seigneurial, c'est affreusement rance, daté, vieille ganache. Son succès populaire, d'ailleurs, le livre le doit pour beaucoup à Gabin qui incarnera le banquier Schoulder au cinéma avec son accent canaille. Quant aux "Rois Maudits", cycle historique en sept volumes, qui lui ont valu fortune et renom, on sait aujourd'hui que c'est une oeuvre collective (Druon ne l'a d'ailleurs pas nié) à laquelle ont participé Edmonde Charles-Roux, Mathieu Galey, Jacques de Lacretelle. Ben quoi, Dumas et Feydeau n'avaient-il pas des brigades de nègres!
Dans "Qu'est-ce que la littérature", Sartre se moque de ces écrivains qui ont "pris la précaution de donner à leur vie un tour et une allure à la fois typiques et exemplaires, afin que leur génie, s'il restait douteux dans leurs livres, éclatât au moins dans leurs moeurs". La phrase semble écrite tout exprès pour Druon. Ces deux-là se détestaient.
Du côté des essais, la pilule est plus amère encore. Je passe sur "Notions et Maximes sur la France" (1965), "Attention la France " (1981), "Réformer la démocratie" (1982): laborieux pamphlets où s'affichent jusqu'à la parodie les convictions les plus lourdement passéistes. Dans "L'Avenir en désarroi", publié en 1968, Druon écrivait ceci: "L'art abstrait chasse l'homme de la peinture, le nouveau roman chasse l'homme de la littérature, le nouveau scientisme (là, c'est le biologiste Jacques Monod qu'il visait!) le veut esclave de la science, le nouvel humanisme ne fait plus place à l'effigie du génie et des héros". Oui, c'est bien triste. Dieu merci, il y a les droits d'auteurs, ça console, quand on a du génie et qu'on est un héros.
Druon s'est illustré dans la défense de la langue française par un intégrisme absurde; il détestait en vrac l'existentialisme, l'art contemporain, le Nouveau Roman, les Editions de Minuit et les producteurs "levantins". Il excellait dans le faste et les simagrées. Avec cela, rantanplan, hâbleur, vindicatif. Et habile. En prime: un goût de chiottes. Bon, les hommes politiques n'ont peut-être pas tort, je ne vais pas tout relire.
Ferney, le lucide et la verve ...
Rédigé par : Critiquator | 21/04/2009 à 08:11
ha FF, si vous aviez eu l'idée de faire un post sur kessel en guise de nécro lumineuse..
Rédigé par : gmc | 21/04/2009 à 09:06
Pendant ce temps-là, Bourgeade et Ballard jouent au ballon sur la grande plage ouverte.
Remarquez, ils avaient commencé ici-bas.
Rédigé par : Christophe Borhen | 21/04/2009 à 10:18
Le problème avec les vieux cons, ceux qui ont vécu la guerre comme Druon c'est qu'ils sont intouchables. Quand bien même ils ont été des jeunes courageux et héroiques comme Druon, celà ne les a pas empécher de devenir des vieux cons. Pour lui, il ne lui restait que son lien familial avec Kessel pour se prétendre écrivain. Kessel reste un grand écrivain, Druon nous l'oublirons vite.
Merci de souligner qu'il n'y a eu que les politiques pour l'encenser et un peu Chancel, mais Chancel c'est qui?.
Merci Frédèric Ferney . Les politiques a la politique et les écrivains à l'écriture, pas de confusion!
Rédigé par : Geneviève | 21/04/2009 à 10:25
@ Geneviève : "Les politiques a la politique et les écrivains à l'écriture, pas de confusion!"
Vous êtes priée de rappeler d'urgence Malraux et Vaclav Havel (sourire).
Rédigé par : Christophe Borhen | 21/04/2009 à 10:46
Et sinon, les restos indiens, vous aimez les restos indiens? (non c'est trop lourd pour un FF, c'est plein de crème, c'est le rateau assuré)
Rédigé par : ororea | 21/04/2009 à 13:21
Ça fait du bien de lire ce portrait. Ça fait du bien d'être un peu méchant, et à la fin de cette lecture, on est tellement convaincu qu'il le mérite, Maurice Druon, qu'on absout Frédéric Ferney.
Dites donc Éric Naulleau, là-bas, pas loin, ne vous sentez pas encouragé, vous c'est différent, il y a méchant et méchant, nuance.. Vous n'attendez même pas qu'ils soient morts, pfff, aucun tact.
Rédigé par : mme petit poisson | 21/04/2009 à 14:23
Voilà une petite analyse bien vissée, qui a d'abord le mérite d'être sincère et peut être aussi celui d'éclairer les raisons d'un attrait qui n'a jamais existé...
...Et j'aime beaucoup Naulleau !
Rédigé par : Anne Burroni | 21/04/2009 à 15:38
Je trouve Naulleau cohérent et grâce à lui j'ai découvert le magnifique roman "une vieille petite fille" de Vladimir Charov, un chef d'oeuvre.
Rédigé par : ardente patience | 21/04/2009 à 15:47
Moi j'aime pas trop Naulleau, je ne comprends pas ses reproches style, "n'avez vous pas écrit ce livre trop tôt?" Nanméo, on écrit quand on a envie d'écrire, c'est quoi ces critères. Enfin voilà, je trouve qu'il a de drôles de critères...
Rédigé par : ororea | 21/04/2009 à 17:38
Pourquoi Druon me fait-il irrésistiblement penser au Champfleury de Cyrano?...
Rédigé par : hanse | 21/04/2009 à 17:57
Voilà qu'il s'appelle "mettre les points sur les "i" et les barres aux "t".... Merci !!
Rédigé par : Miss Pompadour | 21/04/2009 à 18:32
Hummm, le belle chemise bleue toute déboutonnée. En avril, ne te découvre pas d'un fil, en mai fais ce qu'il te plait : en mai,la même chose sans le tshirt...Ca mérite un petit poème ça (tous aux abris)
Piou, le pov' Lanzmann, vous ne l'avez pas ménagé, c'est très drôle:
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=1888
Rédigé par : ororea | 21/04/2009 à 21:16
Cadeau pour les fans, une photo collector de FF en Dieu Eros de ma collection de 2006 :
http://paris.onvasortir.com/sortie_photos_gestion.php?sortie=257041#CommOk151011
Rédigé par : ororea | 22/04/2009 à 00:37
euh non 2003, ça nous rajeunit pas..
Rédigé par : ororea | 22/04/2009 à 00:38
Je partage avec FF une petite tendresse pour Druon grâce à son roman pour enfant "Tistou les pouces verts", oeuvre étonnamment progressiste de sa part et malgré le dénouement maladroit et daté; c'est une petite fable écologiste, tendre et antimilitariste, un tantinet naïve, mais qui conduit à une vision contrastée de l'auteur. Un roman apprécié par les élèves de Cours Moyen des écoles primaires. Une oeuvre à ne pas négliger pour connaître Druon.
PS: le Bateau-Livre me manque cruellement...
Rédigé par : sacrovir | 22/04/2009 à 18:14
Back to Sainte Anne
J'irai quai des fleurs
voir si FF existe
je crierai : " scélérat!"
il se retournera
sur mon bras il plaquera sa main
brutal et doux
je deviendrai planète
tournant parmi les planètes
pour l'éternité
je reviendrai à moi
quai des orfèvres
les policiers seront là
les hommes en blancs aussi
ils crieront harcellement
il m'arracheront sa chemise bleue
dédicacée pour mettre dans mon dossier...
Rédigé par : ororea | 22/04/2009 à 21:32
Quelle fantaisie Ororea !
Et qui a la faculté de nous faire patienter jusqu'au prochain billet... avec le sourire !
Rédigé par : Anne Burroni | 22/04/2009 à 22:00
C'était sensé vous tirer des larmes! ;-)
Rédigé par : ororea | 22/04/2009 à 22:03
Oh, une maladresse...?
Désolée Ororea, mais grâce à votre humour et malgré une certaine auto-dérision, il semblerait que vous ayez des prédispositions naturelles à nous amener vers les sourires et la bonne humeur !
Rédigé par : Anne Burroni | 22/04/2009 à 22:40
Ben déjà à Sainte Anne il m'ont piqué ma photo dédicacée de FF : chuis traumatisée. Mais je suis d'un naturel optimiste et j'aime bien faire rire...
Rédigé par : ororea | 22/04/2009 à 22:45
J'avais remarqué !
D'ailleurs, je profite de cette petite conversation pour vous demander quelques infos sur l'émission "Dans le texte" à propos de Lanzmann. Je serai ravie d'avoir un petit compte rendu !
Rédigé par : Anne Burroni | 22/04/2009 à 23:28
C'est vrai, moi ça me pique plutôt les yeux votre poème.
*
L'entretien avec Claude Lanzmann j'avoue ne pas l'avoir trouvé drôle non plus. Malgré les précautions oratoires on avait le sentiment que ni l'un ni l'autre animateur ne l'appréciait tellement, du moins son écriture ; ce qui est bien leur droit mais du coup l'interview était comme orientée pour le confirmer. Et puis ... je ne suis pas à une foudre silencieuse près ... mais ... il y aurait sans doute eu tellement à dire à propos de cet ouvrage et les mondanités autour du trio l'auteur, Sartre et Beauvoir me sont apparues relativement superficielles ; est-ce vraiment cela qui est à retenir de cette vie ? On n'a pas su tellement qui était cet homme finalement, on a surtout eu le sentiment qu'on ne le considérait pas comme un écrivain.
Finalement, Monsieur Ferney vous gagnerez à avoir votre émission ; y a t il la place dans "Dans le texte" pour deux amoureux du verbe !? Peut-être est-ce une alchimie selon moi qui manque ou bien que l'entretien est un exercice qui selon moi requiert un ton confidentiel qui ne souffre pas la bagarre pour avoir la parole. Même si je salue au passage la verve brillante et rigoureuse de votre collègue qui serait donc la première femme en France à animer une émission audio-visuelle littéraire ? C'est chouette. Mais chacun a besoin d'avoir son espace à mon sens et se suffit à soi-même pour entrer dans le vif du sujet ... sérieusement.
Oh, hé, ohmaisoh, mais de quoi je me mêle ? Elle est pas gênée celle-là ou quoi, pour qui elle se prend, purée de saindoux.
Rédigé par : ardente patience | 22/04/2009 à 23:54
Alors, dans le texte, les avis sont plus partagés sur les forums que pour les dernières émisions, certains allant jusqu'à qualifier l'émission de "casse -couille" et "narcissique" (FF a dit que certaines personnes trouvent Lanzmann casse couille, et Judith a embrayé en le traitant de narcissique vers la 42EME minute). D'autres disent que c'est la meilleure émission. FF et Judith se chamaillent comme un vieux couple, c'est très amusant (enfin y'en a qui n'aiment pas) en particulier sur la relation Sartre Beauvoir, FF assimile la papesse du féminisme à une femme romantique et servile qui a souffert avec ce macho de Sartre (enfin si j'ai bien compris), et Judith fait les gros yeux. Lanzmann, j'ai trouvé qu'il se foulait moins que les précédents invités pour répondre pendant quarante minutes, et après il se fait traiter de casse couille et narcissique et demande des compliments : il est pas drôle mon bouquin? Il en profite pour draguer Judith (à 80 ans, il ne doute de rien, il a raison),et se fait renvoyer vite fait dans ses 22. Il parait qu'il y a une aventure sexuelle non consommée passionnante avec une infirmière coréenne mais Lanzmann n'a pas voulu beaucoup évoquer ce passage. Sinon, ils ont parlé de guillotine, de fulgurance, d'incarnation, de Shoah, du trio sans triolisme Castor Sartre Lanzmann, de sa secrétaire à qui il dicte tout. Voilà. Judith était tout en blanc, Naullaud a posé un lapin au lièvre de Patagonie (blague de DS) et FF était tout déshabillé, avec une chemise bleue ouverte sur un tshirt blanc, comme s'il avait croisé un groupe de fans et qu'il n'avait pas eu le temps de se réajuster. (faut vraiment s'abonner rien que pour voir ça)
Rédigé par : ororea | 23/04/2009 à 00:11
Ororea
Merci beaucoup, je savais que je pouvais compter sur vous ! Et j'ai encore beaucoup ri...
Merci pour ce résumé très... pétillant !
Rédigé par : Anne Burroni | 23/04/2009 à 01:02