24 avril
Lu: "Un Don" de Toni MORRISSON, traduit de l'américain par Anne WICKE, (Christian Bourgois).
Dès la première page, elle vous prend par la main et vous entraîne au diable qui, en Amérique, habite au coin de la rue. Un roman de Toni Morrisson, ce n'est pas seulement une bonne histoire, c'est comme entendre des voix. Des voix fantômes, inouïes, parce qu'elle se sont tu, et que sans son truchement de pythie noire, parlant le langage viscéral des ombres, elles seraient perdues à jamais.
Un personnage, une voix. Comme si on assistait à une résurrection. Nous sommes dans la primauté de l'Amérique: rurale, pionnière, coloniale, vers 1690. Nous faisons la connaissance d'un fermier d'origine anglo-néerlandaise, Jacob Vaark, de sa femme, Rebekka, et de toute leur maisonnée, serviteurs, esclaves. Blancs, noirs, indiens. Naissance d'une nation. Ils ont toujours été là, et nous, lecteurs, nous avons toujours su qu'ils étaient là, nous l'avions seulement oublié.
"Je m'intéresse, dit la romancière (et comme ce mot lui va bien), à ce qui déclenche et rend possible ce processus: entrer dans ce qui nous est étranger". C'est ça, la mesure de la sensibilité d'un écrivain, et cela donne une idée de son pouvoir magique - "cette faculté à imaginer autre chose que le soi, à familiariser l'étrange et à mystifier ce qui est familier". Tout s'insinue par l'oreille. Les voix se croisent, se répondent, se contredisent pour former un choeur tantôt discordant, tantôt harmonieux, qui réflète la barbarie ordinaire des hommes.
Profession: démiurge ou mieux, chaman en prose. Toni Morrisson se comporte avec chaque personnage, comme une mère aimante et dure - une louve. Elle ne réprouve pas le faible, l'avide, le méchant ou le lâche, elle leur rend la parole, elle les jette dans la balance et les pèse. Ce n'est pas l'heure de plaisanter. On a beau faire, le prophétique appelle le solennel.
Toni Morrisson est raide comme la justice, sans pitié, et en même temps, elle ne peut s'empêcher de relever ceux qui tombent: les consoler? Non, ils sont seuls et inconsolables mais comment ne pas leur pardonner? Ils auront tous une place à sa table au jour du Jugement. Ils sont le fond vivant de l'humanité, ils sont de sa famille; elle ne les hait pas, c'est bien assez de comprendre.
Les images, le décor, l'argument viendront ensuite. Toni Morrisson cite volontiers cette strophe de T.S. Eliot dans les "Préludes": "Je suis troublé par des rêveries qui s'enroulent / Autour de ces images, et s'accrochent: / La notion d'une sorte de chose infiniment / douce / Infiniment aimante".
La fiction s'insinue d'abord par l'oreille, puis par la vue. Il faut l'entendre lire elle-même des passages de son livre - j'ai eu ce privilège. Tout s'émeut, tout s'enchante de contradictions louches et de redoutables virtualités. C'est bien sa voix à elle, Toni Morrisson, qui s'incarne dans ces pauvres créatures, et qui produit une sorte de rumeur et d'effroi. Un bourdonnement épique.
Un Français écrirait cette histoire, ce serait un effroyable mélo, un pamphlet ou un roman à thèses. Là, non, c'est une fable, et qui songe, une peinture allégorique. Une annonciation. Le thème, toujours le même: la perte de l'innocence. On est bien en Amérique, dans ce pays rêvé, cette terre promise, où la pastorale vire au cauchemar. C'est étrange, ça commence mal, ça finit mal, mais le rêve subsiste - comme dans les westerns!.
Un Nathaniel Hawthorne féministe.
Je vois Toni Morrisson comme une montagne biblique avec de la neige au sommet: on dirait que c'est accroché en haut au lieu d'être enraciné en bas.
J'ai découvert Toni Morrison depuis peu, et l'ai entendue récemment à la télévision. Je ne pourrai donc pas dire grand chose d'intelligent mais je trouvais fort triste que votre billet la concernant ne trouve aucun écho.
Alors, je dirais que... J'ai été immédiatement conquise... Assurément une figure incontournable de la littérature américaine.
Elle a une vision panoramique de la vie, des gens, et un regard empli de générosité.
Elle m'a rappelé un roman magnifique, exceptionnel, de Richard Powers « Le Temps où nous chantions », l'histoire d'une famille dans les années 1940, dont le père juif allemand et la mère noire américaine élèvent leurs trois enfants dans l'amour et la beauté, en dehors de toutes considérations raciales (enfin je fais très court, c'est beaucoup plus que ça !).
Bref, il y a dans ce roman une puissance et une grâce, voilà exactement ce que j'ai ressenti lorsque j'ai entendu cette grande dame : la puissance et la grâce.
Rédigé par : Anne Burroni | 26/04/2009 à 01:50
"L'oeil le plus bleu" est le premier roman de Toni Morrison que j'ai lu, "Le Chant de Salomon" et "Beloved" et "Jazz" sont en attente dans mes rayonnages. Oui, les deux mots "puissance et grâce" sont une caractérisation que j'ai ressentie aussi. L'impression que T.Morrison peut faire chanter le moindre détail de voix, de vêtement, que tout est roman "en puissance" sous ses yeux. Après avoir succombé récemment à "Une Odyssée américaine" de Jim Harrison, que notre hôte avait si bien chroniquée (puis à "Dans la brume électrique" de James Lee Burke), je ne tarderai plus à retrouver T.Morrison. Pour une autre expédition dans ce pays qui a trouvé les écrivains qu'il mérite, mais chaque artiste n'est-il pas un inventeur de pays ? Le sien ou un autre ? Aux Etats-Unis, en France comme ailleurs ?
Rédigé par : Critiquator | 26/04/2009 à 06:48
Anne Burroni, j'ai eu la même réaction que vous en voyant ce billet sans commentaires depuis deux jours, mais pour ce que j'avais à en dire, je ne voulais pas être la première. Je trouvais que d'autres feraient bien mieux que moi, et j'avais raison. :o)
Je n'ai toujours rien lu de Tony Morrison et pourtant, depuis cette émission spéciale du bateau livre sur T. Morrison je l'avais noté dans ma longue liste de livres à lire.
Alors, am stram gram pic et pic et... je ne sais pas encore lequel choisir en premier. Je vais voir. Il va bien falloir que je me décide !
Si quelqu'un à des conseils à donner, qu'il ou elle ne se gène surtout pas !
Il me semble en effet que c'est une grande dame.
Rédigé par : Claire Ogie | 26/04/2009 à 08:05
Pour les strasbourgeois (et les autres), Toni Morrisson à la librairie Kléber mercredi 13 mai à 17 h 30. Qu'on se le dise !
Rédigé par : Chr. Borhen | 26/04/2009 à 22:00
@ Claire Ogie
Les conseils de lectures amicaux sont toujours bons à prendre,et, comme vous, je m'en saisis, de sorte que certains choix personnels se trouvent souvent repoussés à plus tard ! Exemple avec les trois Toni Morrison que j'ai stockés.
Autre défaut, celui d'être comblé par la qualité au point de craindre d'en abuser : il m'est même arrivé de ne pas aller jusqu'à la fin d'un livre, non parce qu'il manquait de force mais parce qu'il procurait un degré de poésie qui ne pouvait pas être dépassé. Est-ce le cas avec "L'Oeil le plus bleu" de T.Morrison ? Je le crois.
Je suis donc mal placé pour vous conseiller un T.Morrison précis, mais pourquoi ne pas commencer par celui que chronique F.Ferney, "Un Don" ?
Mais, si vous n'avez rien d'elle sous la main, en attendant, et puisqu'il s'agit d'une femme écrivain aussi, tenez, lisez " Le Coeur Cousu" de Carole Martinez, de toutes façons, vous l'aurez sans aucun doute avalé, dégusté, savouré en un rien de temps ! Je vous assure.
Rédigé par : Critiquator | 27/04/2009 à 14:54
Et bien merci pour ce conseil Critiquator, je crois que je vais commencer par Beloved en ce qui concerne T. Morrison (et j'évite les fautes d'orthographe, honte à moi), de plus, je note Le Coeur Cousu, car j'aime bien ce que je viens d'en lire en cherchant sur le net. Merci encore ! :o)
C'est curieux, il ne m'est encore jamais arrivé d'être comblée au point de ne pouvoir aller au-delà, avec un auteur. Il m'arrive de me dire que tel ou tel autre ouvrage était bien meilleur, mais cela ne m'empêche pas de continuer à fouiller, enfin, sauf cas de déception intense. lol
En fait, les livres, je les prends comme des gourmandises, il n'y en a jamais assez...
Rédigé par : Claire Ogie | 27/04/2009 à 15:49
Merci Christophe Borhen pour l'info.
Les strasbourgeois ont beaucoup de chance, mais certains "autres", comme moi, sont beaucoup trop loin pour en profiter ! Tant pis. Vous nous raconterez !
Ceci étant dit, donner ce genre d'info est plutôt une bonne idée, on ne sait jamais !
Rédigé par : Anne Burroni | 27/04/2009 à 21:21
BSC NEWS, Le magazine littéraire et culturel en ligne consacre, en partie, son numéro d' avril au phénomène "Littérature et Internet".
L'édition en ligne, la littérature et le numérique, les médias littéraire du web, la promotion des livres sur internet et les blogs littéraires, ... Faîtes un tour d'horizon en lisant les interviews de plus de 20 invités qui nous parleront de cette nouvelle vague.
On y retrouve aussi, d'après BSC News, des entretiens avec les bloggeurs littéraires les plus influents sur la toile française :
Frédéric Ferney - Le Bateau libre, Bartleby les yeux ouverts, Christian Cottet-Emard, Marc Villemain, Laure Limongi, lecabinet de curiosités de Eric Poindron, etc.
Pour découvrir le Magazine (gratuit) :
http://www.bscnews.fr/
P.S.
Cher Christophe Bohren, vous êtes strasbourgeois, donc, comme mon cher Sebastian Brandt ?
Eric Poindron
Rédigé par : Éric Poindron | 28/04/2009 à 12:46
Blacks vote Democratic because they are lbareil on economic and social issues (except on gay marriage). Coming largely from poverty, they understand deeply the importance of economic justice, and having been an oppressed minority, they understand more than anyone else (maybe with the exception of Jews, who are also a historically brutally oppressed group) the importance of equal rights. Black churches, more than any other churches, focus on the concepts of justice, social liberation, and equal rights. So the reason for blacks being Democrats has little to do with personality. It's about needs, and at least as importantly, their lbareil values. Even when black Republicans run against white Democrats, they almost never get more than 25% of the black vote (just as you mentioned with your Michael Steele example). I don't see how Colin Powell could even remotely have gotten anywhere near 90% of the black vote, let alone 35%.
Rédigé par : Gusto | 13/04/2012 à 06:46