Des amis m'ont dit que j'avais été sévère et même injuste avec le spectacle d'Arthur Nauzyciel (Voir mon blog d'hier, 12 juillet: "Jan Karski, le cavalier blessé"). Je les entends. Je leur réponds.
J'ai relu cette nuit un petit texte de Kundera "Oubli de Schönberg" (publié dans son recueil "Une rencontre", Gallimard, 2009) qui place notre débat autour du livre d'Haenel et du spectacle de Nauzyciel dans une autre lumière.
Peu de temps après la guerre, Kundera, encore adolescent, rencontre un jeune couple: ils sont juifs, ils ont passé leur jeunesse à Terezin, puis dans un autre camp. Kundera est plus qu'intimidé par ce destin qui le dépasse mais son embarras les irrite: "Arrête, arrête!". Ils lui font comprendre que la vie là-bas gardait, écrit Kundera, " tout son éventail, avec des pleurs aussi bien que des plaisanteries, avec de l'horrible aussi bien que de la tendresse". Par "amour de la vie", ils refusent d'être transformés en "légendes" ou en "statues du malheur".
Terezin: "Une ville transformée en ghetto que les nazis ont utilisé comme une vitrine, où ils laissaient vivre les détenus d'une façon relativement civilisée pour pouvoir les exposer aux nigauds de la Croix-Rouge internationale". Il y avait là beaucoup d'intellectuels, des compositeurs, des écrivains, rapporte Kundera. Ils vivaient sans illusion dans l'antichambre de la mort en sachant que leur "vie culturelle" servait la propagande nazie mais devaient-ils pour autant refuser cette liberté précaire et surveillée? Ils jouaient ainsi en concert des oeuvres de Mahler, Schönberg, Zemlinsky ou Haba sous l'oeil des bourreaux.
Kundera poursuit: "Un jour, débattant de ce sujet, j'ai demandé à un ami: "...et est-ce que tu connais Un survivant de Varsovie? - Un survivant? Lequel?" Il ne savait pas de quoi je parlais. Pourtant, Un survivant de Varsovie (Ein Überlebender aus Warschau), oratorio d'Arnold Schönberg, est le plus grand monument que la musique ait dédié à l'Holocauste. Toute l'essence existentielle du drame des Juifs du XXe siècle y est gardée vivante. Dans toute son affreuse grandeur. Dans toute sa beauté affreuse. On se bat pour qu'on n'oublie pas des assassins. Et Schönberg, on l'a oublié".
Au-delà des discours sanctifiés et convenus, je crois que le théâtre permet de montrer cela. Dans le même volume, Kundera exprime son admiration pour Tolstoï et pour Francis Bacon qui se fâchait quand on parlait d'horreur à propos de sa peinture. Kundera écrit ceci: "Il y a aujourd'hui trop de peintures qui veulent nous effrayer et nous ennuient. (C'est moi qui souligne). L'effroi n'est pas une sensation esthétique et l'horreur qu'on trouve dans les romans de Tolstoï n'y est jamais pour nous effrayer; la scène déchirante où on opère sans anesthésie André Bolkonsky, mortellement blessé, n'est pas privée de beauté; comme jamais n'en est privée une scène de Shakespeare; comme jamais n'en est privée un tableau de Bacon".
Oui, je crois que le théâtre - comme Kundera a raison de citer Shakespeare! - est le seul lieu qui permet d'inventer des formes capable d'accueillir cela, "dans toute sa beauté affreuse". Arthur Nauzyciel en a-t-il les moyens? Oui, oui, oui! C'est pourquoi j'ai été déçu. A-t-il craint les foudres de Lanzmann?... A moins que la mémoire des camps - qui lui a été transmise par un oncle et un grand-père ayant survécu à Auschwitz - ne le touche de bien trop près.
Trouver la bonne distance, c'est ça la question.
Je rentre de Prague, relu Kafka et Kundera, c'est pas original mais ça fait du bien !
Rédigé par : Anne B | 20/07/2011 à 17:06
Good day! I know this is kinda off topic but I was wondering if you knew where I could locate a captcha plugin for
my comment form? I'm using the same blog platform as yours
and I'm having difficulty finding one? Thanks a lot!
Rédigé par : Banana Kong Cheats | 05/01/2014 à 14:22