1er février
LU: "La Confession négative" de Richard MILLET (Gallimard).
Quoi de plus excitant pour un auteur que d'être pris pour le Diable! Certains en rêvent, d'autres tueraient pour en voir le bout de la queue, la plupart n'en demandent pas tant. Cette fois, Richard Millet a décroché la timbale: c'était couru, il aime les femmes laides et la musique contemporaine, il est l'éditeur des "Bienveillantes" de Benjamin Littell, il est nostalgique des croisades. Après "Ma vie parmi les ombres", en 2003, il lance un nouveau pavé dans la mare: "La Confession négative". Un titre patibulaire à la Blanchot mais on se demande illico quelles fascinations lourdes et secrètes se cachent dessous, l'eau nous vient à la bouche.
Voilà. C'est un livre qui ose dire (je résume bien sûr): "Oui, la guerre du Liban, m'a permis d'être plus libre, plus heureux, plus vivant, et amoureux". Scandale. L'a-t-il désiré? On l'en soupçonne volontiers car dès la première phrase de ce "récit", il nous provoque: "J'ai dû tuer des hommes autrefois, et des femmes, des vieillards, peut-être des enfants". Vous avez bien lu. Dans la position de confesseur, on est aussitôt tenté de lui demander: "Combien de fois, mon fils?..." Au vrai, il me semble que Richard Millet agite un chiffon rouge sous notre nez en espérant qu'on va charger comme un bestiau cornu dans l'arène. C'est gagné. De l'encre coule, après le sang.
S'il y a un problème, il est ailleurs. L'auteur brandit la tête de Méduse (le réel, la guerre, l'histoire), et il nous dit calmement: "Moi, je l'ai regardée en face!" Sans blagues! Personne ne croit qu'on peut regarder en face le soleil ni la mort ni les dieux mais reconnaissez que c'est vendeur. Lui, oui, il peut. Pas de bouclier, pas d'écran, pas de sandales ailées. Impavide. Evidemment, on récalcitre un brin: chaque fois qu'un écrivain nous dit: "Ceci est réel, et je vous le montre", c'est soit un menteur soit un farceur. Richard Millet est trop bon écrivain pour n'être pas un peu les deux à la fois. Est-ce une kalachnikov ou une machine à écrire, un luth, un livre de poèmes qu'il promène parmi les décombres?
Son "Voyage en Orient", il l'a fait dans les kataeb, les phalanges libanaises. Pas comme un sahafi, un journaliste, un Européen. Lui, le "montagnard limousin" est devenu un milicien dans une faction chrétienne. Il faisait croire aux siens, dans ses lettres, qu'il étudiait l'arabe littéraire dans un couvent. Le risque, c'était de devenir un bon jeune homme mort trop tôt. L'intérêt, c'était d'en revenir. Bon, on se dit qu'il n'a pas dû rigoler tous les jours. Aujourd'hui, vu de son bureau de Gallimard, il peut méditer sur ses bravades, ses filiations, ses erreurs passées.
Avec cela, un petit côté Cyrano, c'est plus beau quand c'est inutile. Par endroits, il plane, il gravite, il songe: "Ah! que la guerre est jolie!". Il s'enchante. Il se désespère. Il se réjouit de nous entendre hurler. Quoi, vous avez vomi? Ca peut arriver, c'est ça, la littérature, la vraie.
Sauf que: il y a ce qu'il dit ("J'ai dû tuer...", ce qui est pire, comme s'il n'en était pas sûr, comme s'il avait pu commettre des crimes par inadvertance) et il y a ce qu'il fait: ce livre qui est une construction, un bel objet littéraire. Entre la montagne de Zarathoustra et la plaine de la Bekaa, il hésite, il frotte son archet au bord des ruines. Quand on lit "Kaputt" de Malaparte ou le "Journal" de Jünger, on éprouve parfois le même effroi teinté de dégoût, la même griserie, la même nausée.
Notre Fabrice corrézien est-il réac, islamopobe, misogyne? Là où Richard Millet est habile, c'est qu'il fait tout pour qu'on se pose la question. On ne se demande pas si Ramon Fernandez ou Robert Brasillach étaient fachos! Là oui, on doute, on s'interroge. Si Richard Millet était facho, il ne s'en vanterait pas, il jouerait au plus fin. Mais non, il met les pieds dans le plat. C'est beaucoup plus suspect, plus malin. Mais qui a dit que ce gars-là était bête?
Aujourd'hui, dans les journaux, on ne l'appelle plus que: M. le Méchant, M. le Maudit. Il s'en fout, il s'en félicite, comme vous voulez: il aime ce qui sépare, ce qui distingue. Cet irrégulier est trop chrétien pour être antisémite. Il se défie des gens qui bêlent. Pour lui, ils sont plutôt à gauche, même s'il reconnaît qu'il y a des cons partout, surtout à droite. Disons même qu'ils sont : la majorité - nous sommes en démocratie.
Quand Richard Millet adopte un masque de gravité bouffonne, assumée, libre, c'est qu'il s'impatiente devant les stupidités du temps. Ce n'est pas un révolté (sauf contre lui-même) ni un matamore; il se sent égaré, prêt à en découdre encore, avec des mots, il est orphelin des "grandes constructions lyriques"; il n'a jamais douté que le gaullisme était un romantisme. Il a lu Breton, Guyotat, Bataille, Artaud, Klossowski. "C'est beau mais ça ne nous sauvera pas", pense-t-il. Richard préfère Jésus - le Christ-soldat armé d'un glaive plutôt que le charpentier céleste qui tend l'autre joue au centurion.
Là-bas, au Liban, il ne va pas mentir, il a aimé la déchirure, il a connu l'ivresse. On peut être ivre de vin, de fête, de chagrin, de piété, de plaisir, de colère, de cruauté. Beyrouth en 1975, c'était un peu tout cela à la fois: la mort, le sexe, le whisky, les amphé, le hasch. Tartempion en Iliade. Enfin, c'est ce qu'il raconte. Et il le raconte plutôt bien, le bougre.
J'ajoute que Richard Millet écrit un français souverain, immobile, parfois radieux, où persistent sans peser les imparfaits du subjonctif. Il rêve d'un monde où l'on mourrait pour une faute d'adverbe et il songerait: "Mon petit, si tu utilises un adverve, c'est que tu n'as pas le bon verbe".
J'ai noté ce passage qui le récapitule assez bien: " "- Si tu retrournes là-bas, tu ne te reposeras pas. Ici, chez Abou Youssef, tu seras tranquille. Yalla, ya amné, nous allons dîner puis nous distraire". J'ai encore une fois noté qu'il usait à bon escient du pronom personnel nous, alors que les Français tendaient déjà à lui substituer le pronom indéfini on, plutôt vulgaire, en vertu de cette loi de simplification syntaxique qui est le signe d'une fatigue linguistique autant que d'un déclin spirituel, ou de la veulerie propre aux périodes de décadence". On voit que Richard Millet n'est pas un garçon dissimulé. Auprès de lui Sénèque et Juvénal sont cool!
Ce bécassin, qui fut un soldat perdu et un conquérant en songe, est d'abord un grammairien. Il a écrit ce que j'appelle un vrai livre, je n'en démordrai pas. "Vivre, c'est s'occuper de la merde. Ecrire, c'est la remuer", a-t-il dit dans une interview. Sur les mauvaises odeurs, il écrit en toute sincérité.
SOUS LE STYLE
Les mauvaises odeurs
Ne proviennent que du nez
Qui les invente
A sa hauteur de vue
Plutôt haute généralement
Surtout pour lui
Qui ne voit pas le vent
Les mauvaises odeurs
Se reconnaissent aisément
Au chatoiement précieux
Qui égaie de son prestige
Une bouche aux contours
Et aux effluves dignes
D'un caniveau purulent
Rédigé par : gmc | 31/01/2009 à 23:26
Merci pour cette phrase : "chaque fois qu'un écrivain nous dit: "Ceci est réel, et je vous le montre", c'est soit un menteur soit un farceur." Cela nous change de la posture de Busnel (François œuf corse)qui voit des autobiographies partout.
Certains disent que "on" est un pronom imbécile qui qualifie celui qui l'emploie.
Pour le reste, je ne peux saluer un homme qui prend de telles postures (assumées ou pour choquer m'en fiche) sous prétexte qu'il est cultivé et écrit dans un français quasi parfait.
Rédigé par : Loïs de Murphy | 01/02/2009 à 08:53
...Et si c'était une fiction, malgré tout ? Puisque Millet veut souvent aller à contre-courant, alors qu'il est de bon ton de faire passer l'autobiographique pour de la fiction, il pourrait pratiquer l'inverse...
Rédigé par : Fuligineuse | 01/02/2009 à 09:20
Alors, si le mensonge existe, la vérité existe aussi. ? .Diable, c'est cela. "On" peut toujours courir, l'instant fuit déjà, lui aussi, à toute vitesse.
Je ne comprends rien à ce que vous dites (Mais Qui parle ?) mais je suppose que vous ne comprenez rien non plus à ce que j'entends... par là...
Quel Schmilblick !
Je reprendrai bien un Babibel
...
Rédigé par : Alistrid | 01/02/2009 à 09:28
Richard Millet est un grand auteur, un stylisticien magistral. De lui, j'ai adoré "La Gloire des Pythre", "la Vie d'alto", "Ma vie parmi les ombres" ou encore "le Renard dans le nom". Autant de textes exigeants appelés, je crois, à devenir de vrais classiques. Et puis, petit à petit, l'homme des histoires, le conteur, l'écrivain s'est mis à céder le pas au provocateur. A trop vouloir être (ou jouer ?) celui qui ose dire des vérités politiquement incorrectes, celui qui ose la pensée paradoxale (au sens premier du terme) donc celui qui s'autorise à aller à rebours de la pensée commune (donc forcément suspecte parce que partagée par une majorité), Millet s'est, je pense, égaré. Il y a dans son discours, dans ses déclarations des relents aigres qui peuvent faire frémir. Certes la provovation est salutaire mais quand elle devient systématique et qu'elle en arrive à soutenir des idées "extrêmes" elle tourne au mieux à l'exercice, au pis à l'agression. J'ai adoré l'écrivain qui a un sens de la langue admirable ; l'idéologue qui prend le dessus dans ses derniers livres (depuis "Harcèlement littéraire" ?) me met de plus en plus mal à l'aise.
Rédigé par : Franck Bellucci | 01/02/2009 à 09:55
"..celui qui ose la pensée paradoxale.."
merci pour le sourire, franck belluci (je n'ose pas dire "la rigolade", ça pourrait paraître déplacé)
voyez-vous, pour faire un parallèle, plutôt flatteur pour millet, faulkner a dit un jour "vous me prenez pour un bon écrivain, mais moi, je sais n'être qu'un poète raté" (ce que bien sûr tout le monde s'empresse de ne pas entendre ou d'imputer aux ravages de l'alcool :-)).
quand croyez-vous que richard millet saura dire une phrase de ce style?
Rédigé par : gmc | 01/02/2009 à 11:11
il y des mots qui tuent, ceux à l'oral que j'ai entendus lors de conférences de Richard Millet m'ont à ce point submergée que j'ai dû me lever pour aller vomir.
Peut-être parce que j'ai un lien tout personnel au Liban et à la guerre.
Peut-être parce que le racisme cru, l'usage de mots comme négresse, ont ce pouvoir de lever tout ce qui en moi s'oppose au colonialisme.
Je sais moi aussi faire preuve d'ambivalence, Frédéric Ferney, mais que cet homme soit pape chez Gallimard ne me rendra jamais complaisante à son égard. Et je trouve que vous l'êtes.
http://anthropia.blogg.org
Rédigé par : Anthropia | 01/02/2009 à 11:33
" Là où ça sent la merde, ça sent l'être ", écrit Artaud. En effet.
Quant à lévinas, il attaque direct (si j'ose dire) :
" Le visage, c'est ce qui interdit de tuer. "
(merci, FF, pour l'éclairage Weil)
Rédigé par : Christophe Borhen | 01/02/2009 à 12:10
En effet, gmc, "paradoxale" était sans doute un adjectif peu approprié ou disons trop faible au regard de certains propos de Millet, lesquels propos ne sont hélas pas que paradoxaux, j'en conviens. Quant à la phrase de Faulkner, je n'imagine pas un Millet capable de la prononcer au vu de la haute estime qu'il a de lui-même. Mais il n'empêche qu'il écrit, ou a écrit, de beaux romans (je dis bien romans !).
Rédigé par : Franck Bellucci | 01/02/2009 à 12:25
A force d'entendre des réquisitoires contre la littérature contemporaine, on finirait par ne plus y faire attention, sauf que "Désenchantement de la Littérature" est un livre d'angoisse.La littérature a t-elle fait son temps ? R. Millet ne nous cache pas que la déperdition linguistique est révélatrice d'une crise extrêmement violente,Millet agace, il a raison, mais là où il a tort c'est de mêler les considérations sur la littérature des idées politiques, du système démocrate.
Je suis assez sensible à l'alliance de la pensée et de la phrase, de R. Millet, sorte de mélodie qui
plie le lecteur à sa nostalgie inventive(surtout dans "Le goût des femmes laides"), il nous désarme face à sa vérité, même si on finit par se sentir, se reconnaître étranger.
Avec un récit comme "La Confession négative",il me semble assez "suicidaire" ?
Rédigé par : Anne B | 01/02/2009 à 19:28
Murakami entre deux, j'aborde le Millet dès aujourd'hui. Je verrai rapidement où je m'embarque.
Rendez-vous à.
Rédigé par : Machinechose | 03/02/2009 à 15:49
"Oui, la guerre du Liban, m'a permis d'être plus libre, plus heureux, plus vivant, et amoureux".
Oui, la guerre, que ce soit celle du Liban ou d'ailleurs, rend LIBRE. Terriblement libre. Libre de tuer, liibre d'être tué. Sans restrictions, sans brides. Des tranchées à la cuvette, les hommes se sont précipité sur cette liberté.
L'homme est une merde. Millet l'a compris. Et il nous le rappelle.
Rédigé par : Thierry MELLAREDE | 23/05/2010 à 23:54
MMM! I looove the Van's (have been a FB fan for some time now)products I have tried, but am very ineeresttd in having a yummy breakfast consisting of Van's English muffins toasted and smeared with some almond butter and a sprinkle of ground flax. Slap on some banana slices and wash it down with a glass of o.j.! Hungry just thinking about it.
Rédigé par : Marleidys | 28/05/2012 à 14:12
perfect: toasted van's gluetn-free waffles made into a breakfast sandwich. toasted waffle w/drizzle maple syrup, fried egg, bacon/fried ham, slice of cheddar, topped w/toasted waffle w/maple drizzle. mircowave for about 30-60 seconds to melt cheddar. maybe tuck some spinach leaves in there
Rédigé par : Marcelo | 28/05/2012 à 20:08
This kind of game gives a real experience of building a farm and planting trees.
At present, you have the opportunity not only to communicate but also to have fun
in social networks. Gone are the days when the evening, go out Night Weekend and hard rock festivals organized
a burst of freshness and energy, which allows people to face the
Blues on Monday, with confidence and determination.
Rédigé par : star wars mini death star review | 25/11/2013 à 20:20
I believe what you wrote was very logical. However,
think on this, what if you typed a catchier post title?
I ain't saying your information is not good, however suppose you
added a post title that makes people want more?
I mean Richard Millet, un fauteuil pour le Diable! - Le Bateau Livre.
Le blog de Frédéric Ferney is kinda vanilla. You should
peek at Yahoo's front page and see how they create article titles to get viewers to click.
You might try adding a video or a picture or two to grab readers excited about everything've
got to say. Just my opinion, it might make your posts a little livelier.
Rédigé par : Modern Combat 4 Android | 17/12/2013 à 15:38
Simply wanna remark on few general things, The website pattern is perfect, the content is really fantastic. "The reason there are two senators for each state is so that one can be the designated driver." by Jay Leno.
ブーツ 通販 http://genvex.dk/kutu2.html
Rédigé par : ブーツ 通販 | 07/01/2014 à 15:16