11 avril
Lu: "Les Poèmes solaires", précédé de "Le Poète en voie d'extinction" et suivi de "Baleine grise", d'Homero ARIDJIS, traduit de l'espagnol (Mexique) par Ivan Alechine, préfacé par Yves Bonnefoy (Mercure de France).
La poésie, c'est rare, il faut un ton, une voix. Un don. C'est comme le duende, ça transperce l'écorce des choses. Ca ronge et ça apaise, comme un alcool. Je n'avais rien lu d'Homero Aridjis, c'est un bel auteur, et oui, il mérite d'être appelé un poète, et ça traverse la sobre traduction d'Ivan Alechine.
Yves Bonnefoy, dans sa préface, tient que "les mots de la langue de Cervantès, de Jorge Guillén et aujourd'hui d'Homero Aridjis ont quelque chose de plus substantiel que nos vocables français", comme s'ils étaient plus près des choses, et qu'ils ont "poids autant que lumière". Peut-être. Chacun a son trébuchet intime sur ce chapitre. Par exemple, je me suis toujours étonné que certains étrangers soient émus par la musicalité du français, qui est dénué d'accent tonique. Je n'ai pas leur oreille, ils n'ont pas la mienne, ce n'est pas grave, l'oreille est le vestibule de l'âme, chacun la sienne.
Piedra, sol, viento: mots plus lourds que pierre, soleil, même vent. "Mots si denses que je suis tenté de ne pas les croire plus nombreux que les choses que la vie aurait besoin de rencontrer, de comprendre", dit étrangement Bonnefoy - une sorte de bagage vital, en somme. "Et comme la poésie, c'est vouloir retrouver ce plein, cette immédiateté, que voilent ordinairement dans la parole autant que dans l'existence les représentations simplifiées que la pensée conceptuelle impose, poètes seraient donc, en langue espagnole, ceux qui se porteraient d'emblée à ces mille mots, et les laisseraient se déployer libres dans les poèmes".
Nous sommes au Mexique où les morts hilares sont invités à la table des vivants et où l'on fait exploser des pétards dans les cimetières. En lisant Homero Aridjis, on songe à ces crânes de cristal de l'art précolombien qui font de la mort un spectacle, une parodie, une fête. "Le dieu du feu est mort dans les bras de ses propres flammes", écrit Homero. Dieu, bras, flammes...
Des mots comme des pierres, qu'il ramasse et qu'il jette - pierres tâchées de sang indien qui ont été des haches et qui deviennent des fétiches. Sagesse de ces pierres vouées au désenchantement, au musée, à l'oubli.
Le jaguar, la pluie, le papillon entrent dans la danse, ils ne cessent de franchir sans s'en apercevoir, sans même se prendre pour des symboles ou des blasons, "l'invisible frontière entre ces remarquables poèmes et ce qu'il nous reste du monde", dit encore Bonnefoy.
Dans la cage d'Homero, il y a l'insomnie, "ce soleil malveillant des dernières heures", un vieux ciné, des centaines de Draculas et même un vrai Baudelaire "perdu dans le labyrinthe de l'azur tardif". C'est beau comme une plainte, bref comme un cri. C'est sec, dur, compact. Pas une larme. Par endroits, on dirait des poèmes-cailloux comme ceux d'Ungaretti. Questa pietra dura...