31 mars-1er avril
Invité à parler d'Oscar Wilde aux Rencontres de la Villa Gillet, dans la bonne ville de Lyon (www.villagillet.net), j'ai essayé de comprendre... Pourquoi, diable, lui ai-je consacré un livre (1)? Pourquoi lui? Oscar Wilde avait un faible pour les monstres, les salauds, les passions malheureuses - je professe à leur égard un respect convenable mais je juge excessif et monotone le rôle qui leur est constamment attribué. Je ne lui ressemble ni ne veux lui ressembler: il n'est pour moi ni un modèle ni un maître. Alors, quoi?
Je me suis demandé avec la naïveté du biographe attendri que je ne suis pas, si nous aurions pu être amis. Je dirais plutôt: non. D'ailleurs, quand je lis Oscar Wilde (hormis son théâtre), je me sens exclu, nié, hors-jeu: je n'ai pas de place, peut-être parce qu'il m'en assigne une d'autorité. Et puis son côté Socrate en bottines entouré de ses darling boys m'agace. J'ajoute que cet immoraliste qui vénère la reine Victoria - l'une des seules femmes qu'il aurait pu épouser, dit-il, avec Sarah Bernhardt! - est désespérément conservateur en politique.
Comment être de son avis, de son bord? Ses émois, ses prières comme ses négations et ses blasphèmes, annulent la possibilité de tout ralliement: on ne peut sans ridicule se réclamer d'Oscar Wilde. Il ne cesse de varier et fait de la contradiction même un principe de son esthétique. Alors quoi? On ne peut tout de même pas le suivre quand, par exemple, en pleine Affaire Dreyfus, il s'entiche du commandan Esterhazy, traître et faussaire: "... bien plus intéressant que Dreyfus qui est vraiment innocent. On a toujours tort d'être innocent. Pour être criminel, il faut de l'imagination et du courage"! Vraiment? Ne cherche-t-il jamais qu'à nous étonner? On dirait parfois qu'il renchérit dans l'odieux que pour ne pas nous décevoir ou ne pas se décevoir lui-même.
Et pourtant, je l'aime - dans sa tragique insouciance, dans la noblesse désespéré de ses refus et surtout dans son insistance inquiète, presque fanatique, à devenir celui qu'il aura toujours été. Oscar irrite ou séduit mais il n'est jamais médiocre. Et puis ce cabotin, ce phraseur, cet incorrigible histrion a défendu jusqu'à la fin une idée de la vérité, vécue comme un flagrant délit. Non pas seulement comme une impatience amoureuse envers la mort mais aussi comme une joie de l'instant, comme un assentiment frêle et risible à la vie comme elle va, au nez et à la barbe du néant.
Si je vous raconte cela, c'est que mon cher Oscar acquiert aujourd'hui un surcroît d'actualité. Gyles BRANDRETH a eu l'idée amusante de transformer Oscar en détective à la Sherlock Holmes. Après "Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles" (10/18), il nous propose "Oscar Wilde et le jeu de la mort", chez le même éditeur. Deux excellents romans policiers qui allient l'humour victorien, le suspense et l'érudition. L'auteur (qui a été tour à tour élève dans le même collège qu'Oscar, journaliste, homme d'affaires, acteur et même député conservateur au Parlement) a su parfaitement restituer le génie à facettes d'Oscar. Oui, je sais, les méchantes langues disent qu'Oscar avait plus de facettes que de génie!
N'empêche, si vous avez toujours rêvé de rencontrer Oscar Wilde, de jouir de sa conversation, lisez Brandreth! Un régal. Cette fois, Oscar propose à son cercle d'amis un nouveau "jeu": chacun ayant inscrit sur une feuille le nom d'une victime de son choix doit deviner qui va tuer qui. La plaisanterie vire au drame quand les victimes sur le papier sont assassinées pour de vrai les unes après les autres. Assisté de ses fidèles compagnons, Robert Sherard et Arthur Conan Doyle, Oscar enquête, avec d'autant plus de zèle que son nom et celui de son épouse Constance figurent sur la liste macabre!
Grâce à Brandreth, je comprends mieux la bizarre tendresse d'Oscar envers le pire: "Pour être criminel, il faut de l'imagination et du courage"... Oscar n'en manquait pas. Il avait aussi, comment dire, une sorte de sympathy for the devil. Brandreth la restaure en chair et en os dans l'allure d'un ingénieux pastiche.
(1) "Oscar Wilde ou les cendres de la gloire" (Mengès).